La mort ne me fait pas peur, ce n’est pas elle qui va me forcer à utiliser l’imparfait.
(Pierre Bottero, Le garçon qui voulait courir vite, Flammarion, 2002)
J’ai découvert que Victor Hugo avait écrit un poème intitulé Claire, après la mort de Claire Pradier, le fille unique de Juliette Drouet, survenue peu après la mort de Léopoldine, la fille chérie du poète. Je vous le soumets aujourd’hui, en hommage au grand amour de Victor Hugo et de Juliette, et en souvenir aussi de ma Claire à moi.
CLAIRE
Elle
semblait porter de radieuses gerbes ;
Quel âge hier ?
Vingt ans. Et quel âge aujopud’hui ?
L’éternité. Ce front pendant une heure a lui.
Elle avait les doux chants et les grâces superbes
Rien
qu’à la voir passer, on lui disait : Merci !
Qu’est-ce
donc que la vie, hélas ! pour mettre ainsi
Les êtres les plus
purs et les meilleurs en fuite ?
Et, moi, je l’avais vue
encor toute petite.
Elle me disait vous, et je lui disais tu.
Son accent ineffable avait cette vertu
De faire en mon
esprit, douces voix éloignées,
Chanter le vague chœur de mes
jeunes années.
Il n’a brillé qu’un jour, ce beau front
ingénu.
Elle était fiancée à l’hymen inconnu.
A qui
mariez-vous, mon Dieu, toutes ces vierges ?
Un vague et pur
reflet de la lueur des cierges
Flottait dans son regard céleste
et rayonnant ;
Elle
était grande et blanche et gaie ; et, maintenant,
Allez à
Saint-Mandé, cherchez dans le champ sombre,
Vous trouverez le
lit de sa noce avec l’ombre ;
Vous trouverez la tombe où gît
ce lys vermeil ;
Et c’est là que tu fais ton éternel
sommeil,
Toi qui, dans ta beauté naïve et recueillie,
Mêlais
à la madone auguste d’Italie
La Flamande qui rit à travers
les houblons,
Douce Claire aux yeux noirs avec des cheveux
blonds.
Elle s’en est allée avant d’être une femme
;
N’étant qu’un ange encor ; le ciel a pris son âme
Pour
la rendre en rayons à nos regards en pleurs,
Et
l’herbe, sa beauté, pour nous la rendre en fleurs.
Les
êtres étoilés que nous nommons archanges
La bercent dans
leurs bras au milieu des louanges,
Et, parmi les clartés, les
lyres, les chansons,
D’en haut elle sourit à nous qui
gémissons.
Elle sourit, et dit aux anges sous leurs voiles :
Est-ce qu’il est permis de cueillir des étoiles ?
Et
chante, et, se voyant elle-même flambeau,
Murmure dans l’azur
: Comme le ciel est beau !
Mais cela ne fait rien à sa mère
qui pleure ;
La mère ne veut pas que son doux enfant meure
Et
s’en aille, laissant ses fleurs sur le gazon,
Hélas ! et le
silence au seuil de la maison !
Son
père, le sculpteur, s’écriait : - Qu’elle est belle !
Je
ferai sa statue aussi charmante qu’elle.
C’est pour elle
qu’avril fleurit les verts sentiers.
Je la contemplerai
pendant des mois entiers
Et je ferai venir du marbre de
Carrare.
Ce bloc prendra sa forme éblouissante et rare ;
Elle
restera chaste et candide à côté.
On dira : - Le sculpteur a
deux filles : Beauté
Et Pudeur ; Ombre et Jour ; la Vierge et
la Déesse ;
Quel est cet ouvrier de Rome ou de la Grèce
Qui,
trouvant dans son art des secrets inconnus,
En copiant Marie, a
su faire Vénus ? -
Le marbre restera dans la montagne
blanche,
Hélas
! car c’est à l’heure où tout rit, que tout penche ;
Car
nos mains gardent mal tout ce qui nous est cher ;
Car celle
qu’on croyait d’azur était de chair ;
Et celui qui
taillait le marbre était de verre ;
Et voilà que le vent a
soufflé, Dieu sévère,
Sur la vierge au front pur, sur le
maître au bras fort ;
Et que la fille est morte, et que le
père est mort !
Claire, tu dors. Ta mère, assise sur ta
fosse,
Dit : - Le parfum des fleurs est faux, l’aurore est
fausse,
L’oiseau qui chante au bois ment, et le cygne ment,
L’étoile
n’est pas vraie au fond du firmament,
Le ciel n’est pas le
ciel et là-haut rien ne brille,
Puisque, lorsque je crie à ma
fille : —Ma fille,
Je suis là. Lève-toi ! — quelqu’un
le lui défend ;
Et que je ne puis pas réveiller mon enfant !
—
Juin 1854.
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