Simone
Bach, âgée de 42 ans, s’est suicidée à Noël 2010 après avoir
envoyé un message à ses 1048 amis sur Facebook : « Pris
tous mes médicaments serai bientôt morte bye bye tout le monde. »
Aucun ne s’est déplacé, ne lui a téléphoné ni n’a appelé
les secours alors que 148 commentaires ont été envoyés sur son
post...
(Cédric
Biagini, L’emprise
numérique : comment internet et les nouvelles technologies ont
colonisé nos vies,
L’Échappée,
2012)
le Campo San Stefano (proche de mon hôtellerie) sous la pluie
C’est
pas le tout, mais Venise, ce n’est pas seulement la Mostra, ni la
Biennale. C’est, avant tout, n’en déplaise à tous ceux qui sont
sous l’emprise numérique et ne s’aperçoivent même pas qu’ils
sont là, c’est d’abord une ville extraordinaire, une cité
chargée d’histoire et de sens, un labyrinthe dans lequel toute
promenade devient une lecture géographique (les
îles, la lagune, le cordon littoral, les canaux, la végétation),
architecturale (les
maisons, les tours penchées, les palais, les hôtels, les places de
toutes dimensions, les ponts),
religieuse (les
innombrables églises de toute époque), artistique (les musées, les
fondations, les églises et les palais aussi, les théâtres,
l’opéra), ludique (découverte des jardins, des jeux d’enfants,
des terrasses de café, des balades en vaporetto, en traghetto ou en
gondole)
et bien sûr historique.
le Canal Grande et la colonne dorée (Biennale d'art contemporain)
J’avais
reçu en prix (à l’époque où il y avait des prix pour les
scolaires), sans doute en classe de seconde, un livre sur Venise
publié chez Nathan dans le collection Pays
et cités d’art.
Assez curieusement, je ne l’avais pas lu à l’époque, alors que
j’avais lu le Florence
paru dans la même collection. Pourtant, je ne suis jamais allé à
Florence. Ce livre en tout cas avait résisté à tous mes
déménagements, tris et éliminations, et je l’ai lu passionnément avant d’aller
à Venise avec Claire en 2002 pour la première fois. C’est souvent
de la petite histoire (style Alain Decaux ou Stéphane Bern), mais on ne
boude pas son plaisir. L’histoire de la République de Venise, de
sa flotte militaire, de ses doges, de ses bâtiments, et
par suite, de la ville elle-même, m’a
fasciné autant qu’elle a envoûté les romantiques anglais (Byron
a écrit une pièce, Marino
Faliero, doge de Venise,
que j’ai enregistré sur ma liseuse, et lue précisément à Venise
il y a quelques années) et français : rappelons-nous George
Sand et Musset. Je n’aurais garde d’oublier le maître du
roman-feuilleton historique du début du XXe siècle, Michel Zévaco,
et son diptyque palpitant Le
pont des soupirs
et Les amants de
Venise.
Et ce cher Rezvani qui a longtemps passé une longue partie de
l’année à Venise, comme Philippe Sollers.
la Tour (légèrement penchée) de l'Arsenale
Bref,
se promener dans Venise, s’y perdre même, est un art que je
pratique volontiers. Même pour aller voir mon opéra annuel (cette
année, Madama
Butterfly,
de Puccini) à la Fenice, j’ai trouvé moyen de faire de la
rallonge, alors qu’à vol d’oiseau, il était à 200 m de mon
hôtel, tout en indiquant la bonne direction de l'église-Musée consacrée à
Vivaldi à un couple de Français perdus. Mais c’est bien en se
perdant qu’on découvre ici une petite église ou une cour intérieure, là un canal ou une
ruelle extraordinairement étroits, des maisons qui penchent, du
linge humide qui pend au-dessus de nous, un
café surprenant sans touristes, une boutique d’instruments anciens
ou une librairie qui vend quelques livres en français, une
perspective imprévue sur l’île de San Michele (le grand
cimetière), et pour la première fois depuis que j’y viens, des
mendiants. En petit nombre certes, mais dans une des villes les plus
chères du monde (au restaurant, on vous fait payer en sus les
couverts, le pain et les boissons, pas de carafe d’eau ici), ça
fait tache.
superbe maison au Lido
Je
m’y suis baladé un peu en soirée (je rentrais toujours avant 22 h
à l’hôtel, l’opéra débutait à 19 h) et, quand je pouvais,
dans la journée, prenant quelques photos (mais de moins en moins
d’année en année) et quelques notes pour un écrit ultérieur que
je rumine depuis trois mois. Étrangement, moi qui dors si mal ici,
j’aurais là-bas
fait le tour du cadran et j’étais obligé de mettre le réveil à
sonner si je voulais traverser la lagune pour aller au Lido voir un
film projeté le matin. Ainsi, je pouvais finir ma journée
« cinéma » assez tôt pour revenir à Venise et m’y
balader encore de jour, en attendant l’heure de chercher un lieu où
dîner.
Lido : la plage
J’ai
un peu lu aussi. Et je continue mes classiques italiens. Après Dante
lu
l’an passé, je me suis attelé à L’Arioste, dont le Roland
furieux
(qui d’ailleurs, en dehors d’être écrit en italien, ne fait que
de brèves incursions dans ce pays) est une épopée héroïque et
d’amour courtois qui se déroule au temps de Charlemagne. Très
connu en Italie, notamment par les adaptations des troupes de marionnettes de
Palerme, ce livre se lit comme un roman de cape et d’épée, avec
de multiples rebondissements, et aussi comme une légende, car les
héros, y compris les femmes, sont plus grands que nature. Je me suis
dit que le Corneille du Cid
devait connaître cette œuvre, car sa Chimène est de la taille de
Bradamante et
de Marphise (qui terrassent les hommes dans les tournois),
tandis que Rodrigue se hausse sans effort au niveau de Roger, Roland,
Renaud,
Rodomont (d’où vient le mot rodomontade) et autres paladins qui
peuplent cet univers héroïque. Quand on retombe sur notre pauvre
terre, on se sent petit, tout petit, minuscule, étriqué...
L'Arioste : Roland furieux (Gallimard, collection Folio, même traduction que sur ma liseuse)
l'illustration de couverture est une partie du tableau d'Ingres : Roger délivrant Angélique
Bref,
j’ai passé neuf jours excellents...
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