La
plupart des gens libres acceptent de remettre, pour de bien faibles
avantages, leur vie et leur personne à la discrétion d'autrui.
(Montaigne,
Les
Essais,
II, 12, Apologie
de Raymond Sebond)
Bien
entendu, j’ai vu à Venise des films, puisque j’y étais allé
pour la Mostra, le fameux festival de cinéma, dont c’était la 74e
édition cette année. Fût-ce une bonne cuvée ? Je n’en sais
bigrement rien, car sur la centaine de films projetés, je n’en ai
vu que 20 %. Je
n’ai notamment pas vu la plupart des films primés. Et, dans l'ensemble, ce n'était pas très gai. Beaucoup de films sur les adolescents à la dérive, par exemple.
Essayons
de dire un mot de ceux qui m’ont marqué (en bien pour la plupart, en mal pour le dernier).
D’abord,
les films italiens ; j’en ai vu quatre. Trois comédies et un
mélodrame. Parmi les comédies, Brutti
e cattivi
[Brutes
et mauvais], de
Cosimo Gomez,
m’a frappé par sa virulence, c’est Affreux,
sales et méchants
transportés dans le monde de Freaks.
Quatre de ces freaks, un homme en fauteuil roulant sans jambes (chef
du groupe), sa femme qui n’a pas de bras, leur ami rasta
complètement défoncé et un nain lubrique, décident de réaliser
un hold-up, qu’ils réussissent d’ailleurs : une mallette
contenant 4 millions d’euros leur échoit. C’est après que tout
se complique. Chacun voudrait avoir l’argent pour soi tout seul,
donc ils finissent par s’entretuer, aidés, il faut le dire, par la
mafia chinoise à qui appartenait la mallette. Je n’en dis pas
plus. Pour ceux qui aiment le grotesque et le sublime, voilà un
objet filmique qui devrait faire un tabac, si jamais il sort en France. Fort
bien joué et réalisé, sans un temps mort... Évidemment,
faut aimer le thème. J’étais plié.
La
vita in commune
[La vie dans une commune] d’Edoardo
Winspeare,
est une sorte de Clochemerle
à l’italienne, avec des personnages déjantés et un maire dépassé
par les événements dans ce village perché sur une commune en bord
de mer. Bien aimé aussi. Happy
winter,
de
Giovanni Totaro [les Italiens aussi succombent à l’américanisation
des titres !], est une sorte de Camping
à l’italienne. Les vacanciers italiens sont aussi abrutis que les
Français. Quant au mélo, histoire d’amour contrarié entre une
ostéopathe aveugle trentenaire et un publicitaire quadragénaire et
volage qui, pour la première fois de sa vie, tombe vraiment
amoureux, Emma,
de Silvio Soldini, c’est un très beau film que le Gide de La
symphonie pastorale
n’aurait pas renié.
Films
français : Mektoub,
my love, chant 1,
d’Abdellatif Kechiche, se laisse voir sans ennui, mais sans
enthousiasme non plus. Ces histoires d’hommes, souvent machos, qui
tournent autour de femmes du côté de Sète, avec un héros jeune et
timide qui les observe, tourne un peu en rond (et pendant 3 h 15 !). Film ambitieux, mais qui m'a paru moins réussi que les précédents.
J’ai
beaucoup plus apprécié le film nettement plus modeste de Rachid Hami, La
mélodie,
qui conte le combat des professeurs créant une classe de violon dans
un collège de banlieue. C’est sans doute le seul film qui m’a
tiré des larmes, mélange de comédie (avec tous ces jeunes
collégiens d’environ 13/14 ans) et de finesse (Kad Merad parfait
en prof de violon) : ou comment tirer des élèves perdus vers
le haut ! Les
bienheureux
est un film franco-algérien de Sofia Djama, avec Sami Bouajila. Le
titre doit être pris à contrepied, car en fait, il montre
l’impossibilité de s’en sortir dans une Algérie gangrenée par
la corruption et les passe-droits. Espèces
menacées,
de Gilles Bourdos est un film assez marrant sur les amours des jeunes
déplaisant à leurs parents. Grégory Gadebois est
magnifique dans un des rôles de père. Ce même acteur est encore
plus époustouflant dans le rôle d’un prolo (on dirait que le rôle
a été écrit par Emmanuel Macron !) père d’un homosexuel
dans Marvin,
le nouveau et superbe film d’Anne Fontaine.
Film
suisse de langue française et allemande, Sarah
joue un loup-garou,
de Katharina Wyss, conte l’histoire de Sarah, jeune lycéenne
complètement étouffée par un père qui
sait tout et une mère trop effacée. Elle espère trouver son salut
dans l’atelier-théâtre du lycée. Mais ce n’est pas gagné.
L’excellent
film marocain Volubilis,
de Faouzy Bensaïdi, a été une des bonnes surprises du festival, et
un des films les plus longuement applaudis. C’est un film très dur sur les
conflits de classes sociales dans un pays où l’écart entre
immensément riches et la majorité de la population est criant !
J’espère qu’ils sortira en France...
L’Anglais
Stephen Frears présentait son dernier film, Victoria
& Abdul,
un biopic des dernières années de la reine Victoria, qui semble
retrouver une nouvelle jeunesse grâce à son serviteur indien, qui
se moque à juste titre de l’étiquette de la cour royale. Les
acteurs sont fabuleux, c'est très drôle. Va sortir en France sous le titre Confident royal
au mois d’octobre.
Under
the tree,
de l'Islandais Hafstein Gunnar Sigurõsson, est une excellente étude
sur les mauvaises relations de voisinage dans un quartier de banlieue
résidentielle de Reykjavik. Un vrai thriller ! Une fin "gore" !
Deux
films argentins : Temporada
de caza
[saison de chasse], de Natalia Garagiola, déroule dans les
magnifiques paysages de Patagonie les affres d’un adolescent mal
dans sa peau et violent, placé dans une famille d’accueil qui va
lui faire accepter de se confronter à lui-même. Invisible,
de Pablo Giorgelli (dont j’avais beaucoup aimé il y a quelques
années Les
acacias),
s’attache à narrer les aventures d’une adolescente de seize ans,
enceinte, qui continue à vivre comme si de rien n'était...
No
date, no signature,
de l’Iranien Valid Jalilvand, raconte la tempête sous un crâne d’un
médecin face à une mort accidentelle dont il est peut-être la
cause. Filmé en couleurs très proches du noir et blanc, c’est un
bon film.
The
insult,
du Libanais Ziad Doueiri, évoque les traces laissées dans le Liban
d’aujourd’hui par les guerres fratricides des années 90. Un des
meilleurs films de ceux que j’ai vus. L’acteur principal a obtenu
la Coupe Volpi d’interprétation masculine.
Deux
films asiatiques : Angels
wear white,
film chinois de Vivan Qu, nous conte l’histoire d’une jeune fille
témoin d’un crime, mais qui est obligée de se taire pour éviter
de perdre son emploi. Impressionnant. Le
troisième meurtre,
du Japonais Hirozaku Kore-Eda, est une sorte de polar, dans lequel un
avocat mène l’enquête et s’interroge sur les responsabilités de la justice.
Efficace.
Los
versos del oblivion
[La poésie de l’oubli ?], du Chilien Alireza Khatami, se passe
dans une morgue en voie de désaffection et le cimetière qui lui est contigu. Le
héros, retraité, mais qui a gardé une clé de la morgue, découvre
qu’on y a laissé le cadavre d’une jeune fille : il va
s’efforcer, avec la complicité du fossoyeur, de lui offrir une
sépulture. Impressionnant, malgré son thème un peu macabre !
Je
n’ai vu qu’un seul film restauré, une rareté signée James
Whale, un film gothique intitulé The
old dark house,
datant
de 1932, avec Boris Karloff et Charles Laughton. Deux couples anglais
perdus dans une nuit de tempête sont contraints de passer la nuit
dans une grande maison étrange. Dans le style des films horrifiques
de cette époque, il se laisse voir avec gourmandise, pour peu qu’on
aime le genre, ce qui est mon cas. Noir et blanc splendide.
Je
garde pour la fin le seul film que j’ai trouvé nul, absurde et
idiot : Loving
Pablo,
avec les inénarrables Javier Bardem et Pénélope Cruz, réalisé
par l’Espagnol Fernando León de Aranoa. C’est l’histoire du
baron de la drogue colombien, Pablo Escobar. Le seul mais énorme
défaut du film est qu’il est joué en anglais presque tout le
temps, alors qu’il est censé se passer en Colombie. On voit donc
les chefs du cartel de la drogue qui discutent le bout de gras en
anglais, les députés colombiens qui font leurs discours en anglais
à la Chambre des députés, et ainsi de suite. C’est totalement
absurde ! À moins qu’on ne nous ait présenté que la version
destinée au public US et qu’il existe peut-être une version en
espagnol...
Voilà
en gros ma Mostra de Venise !
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