mercredi 3 décembre 2014

3 décembre 2014 : racismes


le danger, élément indispensable de tout voyage digne de ce nom. Parce que le plaisir, me suis-je dit, s'accommode toujours du plaisir d'avoir peur. Et la peur est fantastique, surtout la peur de tomber sur quelque chose de bizarre, d'étrange, de non familier, peut-être même de nouveau.
(Enrique Vila-Matas, Impressions de Kassel, trad. André Gabastou, C. Bourgois, 2014)


De retour à Bordeaux, après mon escapade de Strasbourg, (très bien accueilli en chambre d'hôte à Kehl, via Airbnb), et m'étant un peu éloigné des préoccupations locales, voici que, parmi les premiers mots que j'entends ici, dans mon quartier, c'est : « Les ratons, les nègres, y en a marre ! » Sans doute les mêmes qui, manifestant dernièrement, clamaient haut et fort : « Les pédés, les gouines, y en a marre ! » Tout un vocabulaire que je croyais révolu, et qui signale par son inélégance une montée formidable de la haine, largement entretenue par les grandes chaînes d'info télévisée, et même les radios, sans parler d'une large majorité de la presse, qui ne cessent d'inviter ceux qui entretiennent ces idées racistes (le FN en particulier, mais aussi bien une partie de la droite, et la gauche se tait) à déverser leur venin tous azimuts. Par contre les antiracistes ne sont quasiment jamais conviés à causer... Ça sent la fin de règne, une atmosphère pré-fasciste et même pré-nazie... J'espère me tromper, mais tout de même.
Deux films ont eu un beau succès cette année et ont essayé d'aborder le problème. 

Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu? 
Sous la forme de comédie, de farce presque, Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ? se présente comme une succession de poncifs, de caricatures et de clichés sur les divers racismes : celui des bourgeois catholiques contre les non-catholiques, celui des musulmans contre les juifs ou des juifs contre les musulmans, celui des asiatiques contre les noirs ou l'inverse. Bien sûr, ça plaît à tout le monde (15 millions de spectateurs), chacun pouvant se dire : vous voyez bien, tout le monde est raciste ! Alors, pourquoi ne le serai-je pas ? En plus, le film est plaisant, assez bien fait, et donc, difficile à critiquer. Sauf qu'à aucun moment n'est prôné un quelconque antiracisme. Les parents bourgeois finissent par accepter la situation, car que faire d'autre, mais pas de gaieté de cœur ? Je regrette beaucoup, pour ma part, que l'une des filles ne se soit pas entichée d'une femme, ce qui aurait rendu le film un peu plus percutant dans sa prétendue dénonciation du racisme : là, les bourgeois auraient été mis au pied du mur. Auraient-ils accepté que leur fille soit lesbienne ? Et surtout l'épouse !!!

Samba 
 
L'autre film, Samba, affiche plus clairement une volonté courageuse d'antiracisme. Déjà, on n'est plus dans la bourgeoisie et les cadres supérieurs. Le héros est un sans-papiers. L'héroïne est une paumée, qui soigne son "burn out" en se mettant au service d'une association qui aide les sans-papiers (du type CIMADE). Ce n'est plus une comédie, encore moins une farce, mais un film social qui tire vers le mélodrame. Tous ces facteurs réunis font que le nombre d'entrées (3 millions) est nettement plus faible. Les gens veulent voir ce qu'ils ont l'habitude de voir à la télé : la bourgeoisie, les gens riches, les gagnants. Ici, on est dans ce qui est cruellement absent de la télé : le sous-prolétariat, la misère, les perdants. Pourtant, des deux, c'est ce film-là qui me semble avoir mis le doigt sur la nature du racisme. Et sur l'effort qu'il faut faire pour le combattre.
Le racisme, c'est ne pas reconnaître l'autre comme un être humain de la même farine que soi, à cause de la couleur de la peau (le plus visible), de la différence de religion (tiens, j'ai vu qu'à Kehl, il y avait une mosquée), de la différence de sexualité aussi (à Strasbourg, au marché de Noël, j'ai vu des jeunes hommes se tenir par la main, ça vous choque ?), parfois de la différence de sexe (le si fréquent sexisme). Refuser l'humanité en l'autre, c'est ce qu'il faut combattre sans cesse, ce qu'il faut enseigner à l'école, ce que la télé devrait enseigner, au lieu d'inviter des baratineurs arrogants qui distillent leur fiel. Comme l'écrit le rappeur Abd al Malik dans son livre Le dernier Français (Cherche Midi, 2012) : "Mais si tu dis sans cesse de nous qu'on est pas chez nous, qu'on est pas comme toi. Alors, pourquoi tu t'étonnes quand certains agissent comme s'ils étaient pas chez eux, comme s'ils étaient pas comme toi ?" Acceptons humblement nos différences et, comme Akira Mizubayashi, dans son Petit éloge de l'errance (Gallimard, 2014), proclamons notre "aversion, [...] pour ceux qui tirent un plaisir malsain de leur position de supériorité. Pullulants et envahissants, ils sont partout présents dans la société." Et hélas, sur nos écrans comme débatteurs !  
Sinon, nous finirons par faire comme la majorité des Allemands en 1933, nous subirons une variante du nazisme.

 la mosquée de Kehl


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