le
danger, élément indispensable de tout voyage digne de ce nom. Parce
que le plaisir, me suis-je dit, s'accommode toujours du plaisir
d'avoir peur. Et la peur est fantastique, surtout la peur de tomber
sur quelque chose de bizarre, d'étrange, de non familier, peut-être
même de nouveau.
(Enrique
Vila-Matas, Impressions
de Kassel,
trad. André Gabastou, C. Bourgois, 2014)
De
retour à Bordeaux,
après
mon escapade de Strasbourg, (très bien accueilli en chambre d'hôte
à Kehl, via Airbnb), et m'étant un peu éloigné des préoccupations
locales, voici que, parmi les premiers mots que j'entends ici, dans
mon quartier, c'est : « Les ratons, les nègres, y en a
marre ! » Sans doute les mêmes qui, manifestant
dernièrement, clamaient haut et fort : « Les pédés, les
gouines, y en a marre ! » Tout un vocabulaire que je
croyais révolu, et qui signale par son inélégance une montée
formidable de la haine, largement entretenue par les grandes chaînes
d'info télévisée, et même les radios, sans parler d'une large
majorité de la presse, qui ne cessent d'inviter ceux qui
entretiennent ces idées racistes (le FN en particulier, mais aussi
bien une partie de la droite, et la gauche se tait) à déverser leur
venin tous azimuts. Par contre les antiracistes ne sont quasiment
jamais conviés à causer... Ça
sent la fin de règne, une atmosphère pré-fasciste et même
pré-nazie... J'espère me tromper, mais tout de même.
Deux
films ont eu un beau succès cette année et ont essayé d'aborder le
problème.
Sous la forme de comédie, de farce presque, Qu'est-ce
qu'on a fait au bon Dieu ? se présente comme une succession de poncifs, de
caricatures
et de clichés sur les divers racismes : celui des bourgeois
catholiques contre les non-catholiques, celui des musulmans contre
les juifs ou des juifs contre les musulmans, celui des asiatiques
contre les noirs ou l'inverse. Bien sûr, ça plaît à tout le monde
(15
millions de spectateurs), chacun pouvant se dire : vous voyez
bien, tout le monde est raciste ! Alors, pourquoi ne le serai-je pas ? En plus, le film est plaisant,
assez bien fait, et donc, difficile à critiquer. Sauf qu'à aucun
moment n'est prôné un quelconque antiracisme. Les parents bourgeois
finissent par accepter la situation, car que faire d'autre, mais pas de gaieté
de cœur ? Je regrette beaucoup,
pour ma part, que l'une des filles ne se soit pas
entichée
d'une femme, ce qui aurait rendu le film un peu plus percutant dans
sa prétendue dénonciation du racisme : là,
les bourgeois auraient été mis au pied du mur.
Auraient-ils
accepté que leur fille soit lesbienne ? Et surtout l'épouse !!!
L'autre
film, Samba,
affiche plus clairement une volonté courageuse d'antiracisme. Déjà, on
n'est plus dans la bourgeoisie et les cadres supérieurs. Le héros
est un sans-papiers. L'héroïne est une paumée, qui soigne son
"burn
out"
en se mettant au service d'une association qui aide les sans-papiers
(du type CIMADE). Ce n'est plus une comédie, encore moins une farce,
mais un film social qui tire vers le mélodrame. Tous ces facteurs
réunis font que le nombre d'entrées (3 millions) est nettement plus
faible. Les gens veulent voir ce qu'ils ont l'habitude de voir à la
télé : la bourgeoisie, les gens riches, les gagnants. Ici, on
est dans ce qui est cruellement absent de la télé : le
sous-prolétariat, la misère, les perdants. Pourtant, des deux,
c'est ce film-là qui me semble avoir mis le doigt sur la nature du racisme. Et sur l'effort qu'il faut faire pour le combattre.
Le
racisme, c'est ne pas reconnaître l'autre comme un être humain de
la même farine que soi, à cause de la couleur de la peau (le plus
visible), de la différence de religion (tiens, j'ai vu qu'à Kehl, il y avait une mosquée), de la différence de
sexualité aussi (à Strasbourg, au marché de Noël, j'ai vu des jeunes hommes se tenir par la main, ça vous choque ?), parfois de la différence de sexe (le si fréquent sexisme).
Refuser l'humanité en l'autre, c'est ce qu'il faut combattre sans
cesse, ce qu'il faut enseigner à l'école, ce que la télé devrait
enseigner, au lieu d'inviter des baratineurs arrogants qui distillent
leur fiel. Comme l'écrit le rappeur Abd al Malik dans son livre Le
dernier Français
(Cherche Midi, 2012) : "Mais
si tu dis sans cesse de nous qu'on est pas chez nous, qu'on est pas
comme toi. Alors, pourquoi tu t'étonnes quand certains agissent
comme s'ils étaient pas chez eux, comme s'ils étaient pas comme
toi ?"
Acceptons humblement nos différences et, comme Akira Mizubayashi,
dans son Petit
éloge de l'errance
(Gallimard, 2014), proclamons notre "aversion,
[...]
pour ceux qui tirent un plaisir malsain de leur position de
supériorité. Pullulants et envahissants, ils sont partout présents
dans la société." Et hélas, sur nos écrans comme débatteurs !
Sinon,
nous finirons par faire comme la majorité des Allemands en 1933,
nous subirons une variante du nazisme.
la mosquée de Kehl
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