Il
faut libérer la terre et l'homme pour que ce dernier puisse vivre sa
vie de liberté sur la terre de liberté [...] Ce champ n'est à
personne. Je ne veux pas de ce champ ; je veux vivre avec ce champ et
que ce champ vive avec moi, qu'il jouisse sous le vent et le soleil
et la pluie, et que nous soyons en accord.
(Jean
Giono, Le voyage en Italie, Gallimard, 1953)
Après
ma péroraison presque désespérée d'hier, il suffit de peu pour
que je remonte la pente. La vision de deux films brésiliens (même
si l'un est co-réalisé par un Allemand) m'a requinqué, comme quoi,
ne surtout pas s'affoler.
Vous
souvenez-vous de l'extraordinaire récit de Jean Giono, L'homme
qui
plantait des arbres ?
Il faut toujours en revenir à Giono, l'écrivain français le plus
pur du XXème siècle, et mon préféré. Cette courte nouvelle nous
montre un berger qui, avant la guerre de 14, décide soudain de semer
des glands sur une grande étendue de zones incultes. Le tout réussit
admirablement, et une forêt finit par naître et croître, et conclut l'auteur :
"Quand
on se souvenait que tout était sorti des mains et de l'âme de cet
homme – sans moyens techniques – on comprenait que les hommes
pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d'autres domaines que
la destruction."
Je
sais que ce simple extrait va faire hurler mes amis qui se prétendent
athées : que diable Dieu vient faire là ? Laissons-les
hurler, et voyons maintenant le superbe film de Wim Wenders et
Juliano Ribeiro Salgado, intitulé Le
sel de la terre
(là encore une référence à l'Évangile
de Matthieu,
5, 13 : "Vous
êtes le sel de la terre.
Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ?"),
sorte de documentaire biographique sur le formidable photographe
brésilien Sebastião
Salgado, et de ses périples autour du monde à la recherche de
l'être humain, sous toutes ses formes. Le film nous fait pénétrer
au cœur du travail de l'artiste (j'ai pu voir l'an passé une
exposition de ses photos à Paris), et du sens qu'il essaie de donner
à ses images, grâce à ceux qui se laissent photographier :
"c'est
celui qui est photographié, qui vous offre la photo".
On est frappé par le respect inouï du photographe envers les
peuples qu'il a croisés, Papous, Sahéliens, Éthiopiens,
Rwandais, Indiens du Brésil et du Mexique, ou peuplades du grand
nord sibérien, et même envers les animaux ou la nature. Il a photographié la famine, les exodes, les
tueries, la bêtise humaine et conclut que l'homme, tout en étant le sel de la terre,
en est aussi la bête la plus féroce. Reprenant la ferme de ses parents
pour se remettre des atrocités qu'il a vues (génocides au Rwanda et en Yougoslavie), il en découvre une
autre : le paradis de son enfance n'est plus : les forêts
ont disparu, et la terre desséchée est ravinée. Il décide de replanter des
arbres et réussit le rêve de Giono, la forêt renaît : c'est même devenu un parc national. Libre à
vous de trouver le film d'un optimisme béat... Il y a des béatitudes
qui font du bien, et les photos de Salgado sont si belles. "La
beauté sauvera le monde",
nous dit le prince Muychkine, L'idiot
de
Dostoïevski. Croyons au moins à ça...
Photo de Salgado : la mine d'or (http://fotosix.wordpress.com/2011/08/24/le-photographe-humanitaire-sebastiao-salgado/)
Venant
toujours du Brésil, un film d'animation, Le
garçon et le monde,
de Alè Abreu. C'est
une sorte de fable politique sur le Brésil actuel, aussi merveilleux que
terrible, vu à travers les yeux d'un jeune garçon, des champs de
coton d'autrefois à l'industrialisation forcenée d'aujourd'hui et aux villes
tentaculaires et inhumaines. Le dessin est minimaliste, quelques traits de couleur,
des pastels, un bain visuel associé à une bande sonore
exceptionnelle, qui fait appel à toutes les ressources de la musique
brésilienne. Sinon, le film est muet, ce qui est formidable quand on
pense à tous les discours nullissimes de l'animation hollywoodienne.
Une jolie réussite qui s'adresse aux adultes et aux enfants éduqués,
à partir de dix ans.
Décidément,
le Brésil est un pays qui m'attire et où j'irai volontiers quand
j'en aurai fini avec mes voyages au long cours en cargo. J'ai lu
quelques excellents écrivains de ce pays : Machado de Assis (essayez Dom Casmurro),
Jorge Amado (tentez Bahia de tous les saints), Moacyr Scliar (ne loupez pas Le centaure dans le jardin), Graciliano Ramos (lisez Sècheresse), Clarisse Lispector (attaquez Passion des corps), Caio Fernando Abreu (nouvelliste hors pair),
sans oublier José Mauro de Vasconcelos et son merveilleux Mon bel oranger, entre autres... Il y a des jours, comme ça, où je me sens brésilien
(et où j'oublie qu'Offenbach se moquait d'eux dans La
vie parisienne).
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