mardi 21 octobre 2014

21 octobre 2014 : le cyclo bordelais


Au fond, vois-tu, je suis heureux car je ne me souviens bien que des temps heureux.

(Lettre à Pierre Dhainaut, 15 octobre 1969, in Jean Malrieu, Lettres à P. Dhainaut, J. Ballard & P.-A. Jourdan, L'arrière-pays, 2012)




Voilà bientôt un mois que ma sœur Maryse est en maison de convalescence, à la suite de son opération ; un mois que je lui rends visite chaque jour (à l'exception des deux jours où j'étais à Poitiers, 6/7 octobre, et d'un dimanche où elle ne manquait pas de visiteurs). J'y suis allé trois fois en voiture avec une autre de mes sœurs et mon beau-frère, une fois en bus, car le temps était menaçant, toutes les autres fois à vélo. C'est la première fois depuis que je suis à Bordeaux que j'aurai, au total, roulé plus de 500 km dans le mois, ce qui était dans mes habitudes poitevines (j'ai eu une année à plus de 8000 km, mais en général ça tournait autour de 6/7000).

Je suis donc devenu le cyclo de Bordeaux, et plus que jamais je veux partager ces mots de Jean Collet dans sa Petite théologie du cinéma : [entretiens avec Michel Cazenave] (Éd. du Cerf, 2014) : "Je veux faire l'éloge de cette lenteur. Elle est plus que jamais à contretemps, si j'ose dire, puisque nous vivons sous le signe de la vitesse, l'idéologie de la vitesse (qui va avec la violence)". Oui, je crois fermement que notre modernité, placée sous un tel signe, est mortifère, dangereuse. On n'accepte plus de prendre son temps : un trajet en train d'environ quatre heures (Bordeaux-Paris, actuellement) paraît interminable à beaucoup. Lire un livre de plus de cent pages paraît une épreuve marathonienne. Regarder un film qui joue sur la durée (l'admirable palme d'or de Cannes, Winter sleep, par exemple) est pour beaucoup un pensum.

Par contre, passer un temps fou à pianoter sur son smartphone, là, ce n'est pas perdre son temps. Passer quatre heures par jour devant la télé (moyenne nationale), ce n'est pas perdre son temps. Remarquons que ce sont ces mêmes personnes qui nous disent qu'elles n'ont pas le temps : de lire, de visiter les malades, les « vieux », tous les isolés, de s'occuper de leurs enfants, de faire une cuisine saine (c'est tellement simple de commander une pizza ou des kebabs ou des hamburgers), de marcher, de faire de l'exercice physique ou mental, de s'instruire, de se cultiver, de pratiquer l'amitié... Toutes choses réservées aux autres, à ceux qui ont le temps. Eh, bon Dieu, si ces autres ont le temps, c'est qu'ils le prennent !

"Je suis aussi contente de vieillir que les autres en sont désolés", écrivait George Sand à son amie Solange de La Rochefoucauld. Et, tous comptes faits, même si j'ai toujours aimé et pratiqué la lenteur (à pied ou à vélo), je considère que c'est un des bienfaits de la vieillesse que d'aller s'en se presser, ou pour reprendre les termes de La Fontaine, de se hâter avec lenteur. Les records, je les laisse aux autres. Ce vieux Guadeloupéen avait bien raison quand il me disait : « pourquoi se presser ? Vous avez tellement envie d'arriver vite au cimetière ! »

J'ai donc repris mon vélo et redécouvre à cette occasion Bordeaux sous des jours nouveaux. Je me remémore mes années estudiantines où je vagabondais à vélo dans la ville noire et encombrée de voitures de ma jeunesse. Aujourd'hui, Bordeaux a été complètement rénovée, est devenue une ville superbe où il fait bon se promener partout, sur les quais, les voies cyclables, dans les rues piétonnes, sur les bords du lac, le long des étangs de la banlieue, sur les boulevards même, à allure raisonnable pour éviter le toujours possible accident. Voir les bateaux sur la Garonne.

L'Hermione quitte Bordeaux
 Et ça fait du bien. Après mon périple de cet été, j'ai l'impression d'avoir rajeuni de vingt ans ! Pourquoi se priver de ce qui fait du bien ? Relisons George Sand encore : "Cent fois dans la vie, le bien que l'on fait ne paraît servir à rien, et ne sert à rien d'immédiat, mais cela entretient quand même la tradition du bien vouloir et du bien faire sans laquelle tout périrait", écrivait-elle à Flaubert le 1er octobre 1866.

Si l'on veut faire du bien aux autres, commençons par nous en faire à nous-mêmes.

Aucun commentaire: