Je
n'ai rien vu venir. J'ai vieilli d'un coup. Comme ça. Toute la force
est partie un matin d'été. La veille, je courais les rues et
montais sans problèmes les escaliers. Je mangeais salé, sucré,
épicé, de tout. Et un matin, tout s'est arrêté. Tout s'est fermé
en moi. Je n'ai vraiment rien vu venir. Je guidais le monde, le
temps. Je suis à présent au fond de ce temps.
(Abdellah
Taïa, Infidèles)
Abdellah Taïa est un des écrivains que j'ai découverts cette année, grâce à l'excellente Librairie des Colonnes de Tanger. Je cherchais des écrivains marocains et la libraire me l'a conseillé, ainsi que quelques autres. Inutile de dire que cette phrase extraite de son dernier livre correspond tout à fait à mon état actuel. Sauf que dans mon cas, c'est plutôt par un jour hivernal et grisâtre que c'est arrivé, mais les symptômes sont les mêmes. D'un coup, je me suis senti vieux. Sans forces. Incapable de prendre mon vélo et de courir les rues bordelaises. Sans appétit. Pire, même, du dégoût pour la nourriture. Les confitures ne me parlent plus, c'est tout dire. Et, bien sûr, avec l'impression de ne plus rien diriger de ma vie...
Certes,
"la
raison nous dit d'accepter le monde qui nous entoure. Je n'ai jamais
été raisonnable",
comme écrit Gil
Courtemanche, dans Un
dimanche à la piscine à Kigali.
Et comme je ne suis pas très raisonnable non plus, que je ne crois
pas du tout que la raison guide le monde, sinon il tournerait mieux,
j'ai glissé sur la pente, d'où je regarde ce monde qui nous
entoure, avec son cortège de misères et de maladies, de sentiments
et de passions destructeurs, ce monde où il faut être performant
(peut-on l'être à 67 ans ? Ou d'ailleurs à 20 ou 30 ?), afficher de la rigueur, être à
l'écoute, positiver (je me demande comment positiver quand on est
soudain très affaibli ?), bref faire un usage assez intensif de la
novlangue qui règne dans la presse, les médias, langue de bois que
je ne supporte plus...
Quand
on ne parle plus d'employés, d'ouvriers ou de travailleurs
(prolétaires est carrément honni !), mais de ressources
humaines,
quand le mot grève est banni au profit de mouvement
social,
quand les demandeurs
d'emploi désignent
les chômeurs, les gens
modestes
les pauvres, quand les exploités, les opprimés, les prolétaires
sont devenus les exclus,
quand l'élite
parle de proximité
et
de terrain
sans quitter les bunkers où vit cette classe dominante, quand on
fait comme si les classes sociales n'existaient plus, quand on parle
de transparence
pour mieux tout dissimuler, quand le profit et le bénéfice
n'existent plus et sont remplacés par
résultat et
retour
sur investissement,
quand des mots comme citoyen,
convivialité,
expertise,
compétitivité,
cohésion
sociale,
interface,
communication,
mobiliser,
croissance
sont employés à toutes les sauces pour nous faire avaler toutes les
couleuvres, je ne comprends plus ce français-là. Je l'ai assez
entendu pendant mes années à la DRAC, où la langue de bois
administrative était utilisée à haute dose et me faisait éclater
de rire (jaune) intérieurement.
Comprenez
bien que je n'ai pas trop envie de m'étendre en ce moment, bien que
je sache fort bien, comme le dit justement Anthony Horowitz, dans
La maison de soie, que
"écrire
a une vertu thérapeutique et m'empêchera de tomber dans les humeurs
auxquelles je suis parfois enclin".
Je
ne sais pas si j'écrirai encore dans ce blog d'ici le 1er janvier,
aussi vais-je souhaiter une bonne année à tous et, comme on n'est
jamais si bien servi que par soi-même, à moi tout le premier, pour
oublier un peu 2012 qui a eu ses bons moments (rencontres et visites
un peu partout, Paris, Poitiers, La Rochelle, Le Mans, Tours, le
Tarn, l'Aveyron, l'Hérault, Toulouse, le Gers, les Landes, le Marais
poitevin, Lyon, Grenoble, Tanger, Venise, etc, merci famille et
amis), mais où l'annulation de mon Tour du monde, puis mes histoires
de prostate, et enfin la grippe et la pneumopathie m'ont quand même
mis à la peine. J'espère que pour vous les bons moments ont
dominé !
J'espère
revenir revigoré de mon prochain voyage en cargo, jusqu'au Pérou et
retour (approximativement 18 janvier-12 mars 2013), car je n'oublie
pas ce qu'ont écrit les poètes :
"Voyageur,
il n'est pas de chemin,
rien
que des sillages sur la mer"
(Antonio Machado)
"Mais
les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour
partir ; cœurs légers, semblables aux ballons,
De
leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
Et
sans savoir pourquoi, disent toujours : « Allons ! »"
(Baudelaire)
et
je pars pour effectuer un voyage, sans autre but que partir, sinon
peut-être de mieux me connaître.
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