Baptiste : « Ah, si tous les gens qui vivent ensemble s'aimaient, la terre brillerait comme le soleil. »
(Jacques Prévert, Les enfants du paradis)
Le temps file, je suis tellement occupé que j'ai quelque peu négligé ce journal. Quelques nouvelles en vrac, classées par rubriques.
Du côté des voyages :
ça y est, j'ai envoyé mon passeport et tout ce qui s'ensuit pour tenter d'obtenir le visa russe, faute de quoi je rentrerai directement à Paris de Varsovie ! J'ai confirmé mon inscription pour la Mostra de Venise, où je devrais revoir Stefano, l'artiste italien entraperçu dans l'auberge marocaine. Et j'ai envoyé les arrhes pour le Tour du monde en cargo, départ prévu le 4 janvier de Tanger, ce qui veut dire qu'il faudra que je parte deux jours avant, pour découvrir la ville de Paul Bowles. Irai-je en avion ou en train + ferry, telle est la question ?
Du côté du cinéma :
je viens de voir un film solaire, le deuxième en quinze jours (le premier était Tomboy, remarquable étude de l'ambivalence chez une petite fille qui se voudrait garçon). Il s'agit de Voir la mer, de Patrice Leconte. J'avoue ne pas être trop fanatique de ce cinéaste (j'ai toujours trouvé Les bronzés ou Le Père Noël est une ordure sinistres, ça fait rire, mais dès qu'on réfléchit, y a pas vraiment de quoi rire). Là, c'est un film joyeux, c'est-à-dire un film qui ne fait pas rire, quoique, mais un film qui vous met en joie, pour nous dire, comme Garance dans Les enfants du paradis : "C'est tellement simple, l'amour !" Je suis un cinéphile des années 60, où le trio amoureux avait des allures tragiques (Jules et Jim, deux hommes et une femme, de Truffaut, ou Le bonheur, un homme et deux femmes, d'Agnès Varda, se terminaient mal). Ici, on pourrait écrire, en additionnant les prénoms des personnages du film : Clément + Nicolas = Prudence. En gros, une fille, surgie de nulle part, s'incruste dans la vie de deux frères, elle refuse de choisir entre les deux, les aime également, et comme ils sont tous deux amoureux d'elle, tout se passe dans la joyeuseté, sans la moindre jalousie. Prudence, l'héroïne, a retenu la leçon que nous livre Susan Sontag dans journal, Renaître, à la date du 25/2/1958 : "ne pas abandonner son cœur là où il n'est pas désiré." Là, comme il est désiré des deux côtés, et que les deux frères s'aiment, le trio nous donne une leçon de vie. Utopie ? Peut-être... Mais le monde n'a-t-il pas besoin d'utopie ? De savoir qu'un individu lambda n'appartient pas à un autre individu, mais peut se livrer dans le don le plus absolu. Le tout dans un périple où l'on traverse la France de Montbard à Saint-Jean de Luz, sous un soleil éclatant. Les scènes d'amour, tellement casse-gueule au cinéma, sont ici bellement pudiques, et solaires également. Vraiment, un enchantement. Maintenant, si vous allez voir ce film sur la foi du titre, sachez que vous ne verrez pas beaucoup la mer.
Du côté de la littérature :
c'est fou, les beaux livres que j'ai lus ces temps-ci.
Rêve d'automne, pièce de théâtre de Jon Fosse ("les noms jolis sont toujours tristes", a dit une petite fille à l'héroïne), que j'ai ensuite vue dans la foulée, mise en scène par Patrice Chéreau, avec Valeria Bruni-Tedeschi, Marie Bunel, Pascal Greggory, Bernard Verley et Bulle Ogier. Jamais vu de si près (j'étais au deuxième rang) une telle brochette d'acteurs très connus : très sombre, comme tout le théâtre norvégien, mais superbe.
David Copperfield, de Charles Dickens, enfin lu dans son intégralité (1100 pages), après la version très abrégée de mon enfance (et je l'ai prêté à Odile Caradec, qui l'a lu aussi) : des personnages inoubliables, on ne s'ennuie pas une seconde !
L'espèce humaine, de Robert Antelme, prêté par Odile, justement, et que je vais présenter à notre prochain club de lecture, ce qui nous changera des romans anodins (compte rendu détaillé prochainement) : "Ils ont voulu faire de nous des bêtes en nous faisant vivre dans des conditions que personne, je dis bien personne, ne pourra jamais imaginer. Mais ils ne réussiront pas. Parce que nous savons d'où nous venons, nous savons pourquoi nous sommes ici. […] Ils ont pu nous déposséder de tout, mais pas de ce que nous sommes."
Renaître, le journal de Susan Sontag : "je ne veux pas tomber amoureuse de gens qui me limitent..." Excellente philosophie, que pratiquent trop peu de gens !
Speed, recueil de nouvelles de Klaus Mann (le fils de Thomas et le neveu de Heinrich, belle famille d'écrivains), où l'on trouve de belles notations : "Parfois, elle s'arrêtait, levait la tête, levait les mains, s'étirait de contentement parce qu'elle l'aimait. Elle pensait son nom avec une telle ferveur qu'il remplissait physiquement l'espace et le coloriait."
La traversée de l'été, le premier roman, publié seulement après sa mort, de Truman Capote (prêté par l'ami Fred) : "Il y a une sorte de magie à observer l'être aimé sans qu'il en ait conscience, comme si sans le toucher on lui prenait la main et que l'on lise dans son cœur."
Le joli et émouvant Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates de Mary Ann Shaffer & Annie Barrows (prêté par l'ami Igor) : "les gens qui me présentaient leurs condoléances ajoutaient souvent : « la vie continue », pour me réconforter. Quelle bêtise, me disais-je. Bien sûr que non, elle ne continue pas. C'est la mort qui continue. Ian est mort et il sera encore mort demain, l'année prochaine, à jamais. La mort est sans fin."
Amour de Hanne Ørstavik, roman norvégien, très sombre donc, mais rempli de belles formules : "— Sinon, j'aime beaucoup lire, c'est ma façon de voyager, dit Vibeke."
Et puis, nous avons fait venir à la prison Henri Loevenbruck, écrivain et musicien français, dont j'avais apprécié les polars Le Testament des siècles et Le syndrome Copernic. Belle rencontre avec les détenus. Dans ce dernier roman, j'ai relevé : "Au contraire, la disparition des autres me rappelle la fatalité de ce qui m'attend, sans me permettre de penser – et encore moins d'accepter – ma propre mort. Comment se préparer à ce qu'on ne peut pas vivre ?"
Du côté des gros cons :
une amie lesbienne vient de me raconter quelle s'est fait agresser avec quatre de ses amies par quatre individus à la sortie d'une boîte gaie. Là, on n'est pas dans l'utopie, mais dans le réalisme des gros cons : quand on ne casse pas du pédé, on casse des lesbiennes, ces femmes qui osent ne pas se mettre à leur merci. Ils les ont tabassées, à défaut de les violer. Quel courage !
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