lundi 23 mai 2011

23 mai 2011 : Des vers et des hommes


Si tous les livres lus sont autant d'échappées belles sur les routes du monde, écrire, c'est s'inventer des chemins vierges.

(Jean-Pierre Otte, Un cercle de lecteurs autour d'une poêlée de châtaignes)



Et il faut s'en inventer des chemins vierges dans la vie... Ainsi, chaque fois que je quitte un être cher, un(e) ami(e), ou qu'il (elle) me quitte, je me remémore sans fin le vers célèbre dans L'isolement de Lamartine : "Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé". Ah ! On peut bien se moquer des alexandrins, n'empêche que ce sont ces vers-là qui vous restent et qui vous aident à défricher les nouveaux chemins. Combien de vers contemporains nous parviennent en mémoire ? Si je ne notais pas sur mes carnets tel ou tel vers d'aujourd'hui qui me parle, je l'oublierai totalement. Les vers classiques, une fois entrés dans la mémoire – et c'est pourquoi ça me paraît si important de permettre aux enfants de continuer à apprendre par cœur des poésies – c'est pour toute la vie !

Citons ceux qui sont mes favoris.

Quand je suis tristounet, j'entonne le célèbre "Je suis le suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé" de Nerval (El Desdichado). Instantanément, je me sens mieux, je sors des ténèbres, du veuvage, j'entre en consolation.

Quand je suis en état d'apesanteur (si si, ça m'arrive), je me remémore Racine et chuchote : "Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur" (dans Phèdre) ! Si vous saviez comme on se sent léger, alors !

Quand, dans mes nuits insomniaques, je me lève et regarde par la fenêtre, que j'observe le ciel étoilé, comment ne pas me demander comme Ruth dans Booz endormi de Victor Hugo : "Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été, / Avait, en s'en allant, négligemment jeté / Cette faucille d'or dans le champ des étoiles" ?

Quand je suis sur mon vélo, que j'ai l'esprit plein de poèmes, je deviens Rimbaud : "J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal" (Ma Bohême). Et je suis de nouveau un bohémien, un nomade, ce qu'on n'aurait jamais dû cesser d'être.

Quand je me sens tout fringant – eh oui, ça m'arrive encore –, je suis le Cid de Corneille prêt à se battre contre le Comte : "À quatre pas d'ici je te le fais savoir", et, quand je le suis moins – ça m'arrive aussi !, je m'écrie comme Don Diègue : "Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !"

Quand je regarde les hommes politiques à la télé (la sinistre affaire DSK étant le pompon), me voici plus misanthrope encore que l'Alceste de Molière, dont les mots "et je hais tous les hommes / Les uns, parce qu'ils sont méchants et malfaisants, / Les autres, pour être aux méchants complaisants" deviennent mon bréviaire. C'est aussi pourquoi je regarde si peu la télé !

Quand je repense à notre séjour de 1981-1984 en Guadeloupe ou à mon voyage de l'an dernier, c'est Baudelaire (Parfum exotique) qui me hante et me fait revoir "Une île paresseuse où la nature donne / Des arbres singuliers et des fruits savoureux", ces fruits qui m'ont tellement plu.

Et comment ne pas retrouver Claire quand je plonge dans Verlaine (Mon rêve familier) : "Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant / D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime / Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même /Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend".

Voilà, il y a comme ça des centaines de vers que j'ai retenus de mes années d'école, de mes années lycée, de mes années d'adulte, car je n'ai jamais cessé de lire les poètes, des vers qui, pour chaque instant de ma vie, m'apportent de la joie, du réconfort, et le désir d'écrire aussi. N'abandonnons pas nos auteurs anciens aux seuls spécialistes de la littérature, ce sont des nourrisseurs, avec qui on grandit, on devient plus beau, plus serein. Affichez des poèmes sur vos murs !

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