Si je ne suis pas fidèle à moi-même, à qui le serai-je ?
(Marguerite Duras, Cahiers de la guerre)
Je viens de lire un nouveau roman d’Alki Zèi, cette romancière grecque dont plusieurs livres (tous très bons) ont été traduits dans des collections pour enfants ou adolescents. Grand-père menteur raconte la complicité entre un grand-père étonnamment pédagogue et son petit-fils qui a parfois du mal à croire les racontars, pourtant la plupart du temps véridiques, du vieil homme. De lourds secrets de famille pèsent sur eux. Quand le grand-père meurt, Antonis comprend qu’il fera toujours partie de sa vie : «Si je pars et que tu vois un oiseau s’envoler, ce sera peut-être mon âme», lui avait déclaré son grand-père. Et cette fois, Antonis le croit sans aucune restriction.
La foi, oui, la fidélité à soi-même… Quel sujet important ! Et comme Marguerite Duras a raison de le souligner ! Oui, c’est bien ça qui fait que, comme le grand-père d’Antonis, on ne craint pas la mort. Marcelle Delpastre nous le rappelle d’une autre façon dans ces vers limpides : Réjouis-toi si tu as fait un arbre de ta vie, un champ ou une gerbe, / afin que la mort vienne, en son temps, dans la bonne saison des mains pleines, comme le ramasseur de noix, le moissonneur, / la cueilleuse de pommes. Mais pour faire un arbre, un champ ou une gerbe de sa vie, il faut une constance ferme et continue dans la fidélité à soi-même.
Claire, têtue comme un arbre, s’est battue pour cette fidélité jusqu‘au dernier souffle. Elle qui aimait tant les oiseaux, elle aurait aimé cette phrase du grand-père. Depuis que je l’ai lue, je ne peux plus apercevoir un oiseau sans penser à elle, et aussi à ma grand-mère et à ma mère, et je les vois fendant le ciel bleu ou gris, se balançant dans le vent léger d‘hiver.
À quoi rêvent les oiseaux dans l‘or brisé du soir qui tombe? À l’essentiel sans doute, aux moments où l’on se penche vers la beauté des choses, à la solitude des couleurs dans la nuit, aux lents étés de l’enfance, à ces heures lisses qui s’étendaient sur les jeux et sur les joies, à la flamme du sang qui chuchote à l’oreille, à la coupe d’eau pure dans le soleil ardent, aux heures marginales de la pluie bienfaisante, à la surface des ombres…
Et, perdu le soir dans l’immensité de ma maison, où je découvre sans cesse à chaque pas Qu’amour est en terre et déjà tout froid / La nuit sera longue et le lit étroit, comme le chante Aragon, je confonds parfois mon ombre avec le temps qui me rend visite, et me manquent alors les oiseaux qui transportent l’âme des bien-aimées. Mais je ne perds pas mon âme pour autant. Au contraire, les arbres de la nuit et les fruits de la lune me ravissent, et je deviens comme Dieu (pardonnez le blasphème) : mes deux bras se multiplient et par miracle, je parviens à étreindre comme je ne l’ai jamais fait de leur vivant toutes mes chères disparues.
Ensuite, je fais comme Odile Caradec : je dors en attendant le rossignol.
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