Les vrais paradis sont les paradis qu’on a perdus.
(Marcel Proust, A la recherche du temps perdu)
J’ai toujours aimé la route.
Est-ce que ça vient de mon enfance à la campagne, de nos balades interminables (à nos yeux et surtout jambes d’enfants) des jeudis et dimanches sur les routes, à pied, pour visiter nos oncles, tantes et cousins ?
Est-ce aussi un souvenir de ce roman d’enfance, Sans famille, dont les héros sont des routards avant la lettre ? On ne dira jamais assez le bien que peut faire un tel roman sur de jeunes enfants ! Les héros, qui ont leur âge, sont lâchés, seuls, sur les routes, sans parents, même si Rémi est à la recherche de sa vraie famille. Moi qui me sentais mal aimé (en tout cas de mon père, sentiment peut-être erroné), ce livre me fascinait (je l’ai encore relu adulte !). Et je préférais encore son compagnon Mathias qui, lui, restait seul, définitivement, à la fin du livre. Je savais déjà, dès huit ans, que je serai seul, toute ma vie. Que la solitude est le destin de l’être humain (du moins mon destin), malgré la fraternité, la solidarité, le compagnonnage, la famille, les collègues de travail, l’amour et l’amitié.
Ce n’est pas pour rien qu’ensuite je me suis lancé dans des virées en solitaire sur les routes, à bicyclette, ou dans des randonnées à pied, ou dans ce voyage en Pologne en 1974, où j’ai franchi le rideau de fer, avec une nuit blanche passée entre deux trains à la gare de Dresde, à observer les étranges coutumes nocturnes d'une vie inconnue.
Et aujourd’hui je continue avec mes cyclo-lectures. En y réfléchissant, je pourrais dire que la lecture n’est qu’un prétexte pour partir, pour être sur les routes. Parce que, sur la route, on lit aussi, les paysages, les habitations, les êtres vivants, on les découvre et, surtout, on se découvre soi-même.
Est-ce pour cette raison que j’ai beaucoup aimé, adolescent et jeune homme, le roman américain ? Autrefois même, il faisait pour moi jeu égal avec le roman français, et me paraissait même supérieur dans certains domaines : le polar et la science-fiction en particulier. Moby Dick reste un des dix grands livres de ma vie, et je pense le relire prochainement, peut-être dès que j’aurai achevé La guerre et la paix.
L’errance est en effet un thème de prédilection des romanciers américains : est-ce dû à l’immensité de leur territoire, aux fameux grands espaces, à la Frontière qui s’éloignait de plus en plus vers l’ouest, et sur le plan maritime, aux nombreuses mers qui baignent les USA ? Toujours est-il qu’entre dix et quatorze ans, j’ai suivi, fasciné, les aventures de Bas-de-Cuir, les romans du grand nord de James Oliver Curwood et ceux de Jack London. Puis ce furent Howard Fast, Steinbeck, Hemingway, Mailer, Hammett et Chandler, avant Henry James, Kerouac ou Philip K. Dick et Silverberg, pour ne prendre que des auteurs que j’ai beaucoup pratiqués. Citons enfin Carson Mac Cullers, peut-être ma préférée (je garde une prédilection pour les femmes écrivains) avec le grand Herman Melville (outre Moby Dick, lire au moins Bartleby l'écrivain et Billy Budd), parce que je trouve chez ces deux-là quelque chose de douloureux qui me prend aux tripes et me remue en profondeur.
Puis j’ai soudain cessé de lire « américain », ça me paraissait trop fabriqué, les John Irving, Michael Connelly ou Stephen King me tombaient des mains. J’ai sans doute tort, mais on ne peut pas tout lire, il me reste désormais peu de temps, et au fond, je préfère les auteurs russes ou scandinaves, voire les japonais ou les latinos. Ils me semblent m’apprendre plus de choses sur l’homme. et bien sûr, je lis surtout les auteurs français.
Mais, grâce à un livre offert pour mon anniversaire, je redécouvre un certain roman américain, encore sur le thème de l’errance. La route, de Cormac Mc Carthy (éditions de l'Olivier), est un roman post-cataclysmique. La particularité de ce livre est que le cataclysme qui a ravagé la terre, devenue une planète morte, couverte de cendre et entourée de nuages qui ne laissent plus passer le soleil, ce cataclysme n’est jamais nommé. Dans cet amas de cendres grises sous un ciel plombé, les rivières et les ruisseaux ne sont plus que boue pleine de suie et de cendre. Les routes sont brûlées, jonchées de débris divers, les maisons sont éventrées et en ruines, les paysages sont désolés, même la mer où les héros aboutissent à la fin du livre est d’une grisaille désespérante. Il n’y a plus un animal sauvage vivant.
Un père et son fils vagabondent à travers les Etats-Unis (Californie ?, en tout cas, il y a des montagnes, la mer), ils vont chercher la chaleur hypothétique vers le sud. Ils déambulent dans le froid, la pluie, poussant un caddie où ils ont entassé quelques boîtes de conserve et provisions pour leur survie. Il semble qu’un certain temps est passé depuis la catastrophe. Les rares survivants ont écumé tout ce qui était comestible, pillé les magasins. Il leur faut donc tous deux affronter les intempéries, la soif, la faim (« On n’a rien mangé depuis plusieurs jours »), la solitude et la maladie. L’homme et l’enfant (jamais désignés autrement, nous ne connaîtrons pas leur nom) s’ingénient à éviter toute confrontation avec les autres humains, car ils peuvent être violents (« Et si c’est des méchants ? » demande souvent l’enfant à son père, quand une rencontre se profile), voire cannibales, capturant notamment les enfants dans le but de se nourrir. Car on survit comme on peut dans un monde qui n’existe plus, la pitié et les bons sentiments ne sont plus de saison.
Le père et son fils sont donc dans l’errance, un déplacement qui dure des semaines et des mois, sous la pluie et les grands froids, car ils doivent traverser les montagnes, mais leur destination est inconnue, car le père n’a qu’une carte en pièces détachées sur laquelle il se repère difficilement. La survie est donc épineuse, seuls l’amour de l’un pour l’autre et le désir du père de protéger son fils empêchent le découragement. Quel bonheur quand ils découvrent une cachette non encore pillée, sans doute un abri anti-atomique, regorgeant de conserves, de réserve d’eau ! Oui, mais comment emporter tout ça ? A quoi bon survivre dans ce monde devenu désolé ?
On peut lire ce livre comme une métaphore de l’Amérique actuelle. Le père et le fils seraient à eux seuls les USA encerclés par les autres, les Barbares, prêts à tout pour les éliminer. Mais c’est aussi un livre sur la paternité, et c’est en quoi il m’a surtout plu. Sans son fils, le père serait sans doute devenu un ces nouveaux sauvages qui survivent en bandes revenues à l’âge de pierre. Quel comportement pouvons-nous avoir dans des situations de ce type ? semble se demander l’auteur. Gardons-nous un peu de morale « civilisée » ? Ou sommes-nous obligés de nous adapter aux nouvelles conditions de vie ? Attention, le ton général reste pessimiste, voire très noir. Amateurs d’eau de rose, éloignez-vous !
Le style est écrit à l’économie. Un brin répétitif, avec un usage intensif de la conjonction et, qui donne un rythme bien particulier à l’écriture. L’auteur n’indique que les comportements, et par des dialogues entre le père et l’enfant, nous fait pénétrer un peu (très peu) dans leur conscience.
Presque englué moi-même dans la tempête qui a balayé les Landes, ce livre m’a touché directement. Pas un très grand livre (il me semble qu’en science-fiction, j’ai lu des choses plus fortes, de Disch notamment), mais un bon livre, à lire en se déplaçant, comme je l’ai fait lors de ce bref retour dans le sud-ouest.
Vive la route !
Est-ce que ça vient de mon enfance à la campagne, de nos balades interminables (à nos yeux et surtout jambes d’enfants) des jeudis et dimanches sur les routes, à pied, pour visiter nos oncles, tantes et cousins ?
Est-ce aussi un souvenir de ce roman d’enfance, Sans famille, dont les héros sont des routards avant la lettre ? On ne dira jamais assez le bien que peut faire un tel roman sur de jeunes enfants ! Les héros, qui ont leur âge, sont lâchés, seuls, sur les routes, sans parents, même si Rémi est à la recherche de sa vraie famille. Moi qui me sentais mal aimé (en tout cas de mon père, sentiment peut-être erroné), ce livre me fascinait (je l’ai encore relu adulte !). Et je préférais encore son compagnon Mathias qui, lui, restait seul, définitivement, à la fin du livre. Je savais déjà, dès huit ans, que je serai seul, toute ma vie. Que la solitude est le destin de l’être humain (du moins mon destin), malgré la fraternité, la solidarité, le compagnonnage, la famille, les collègues de travail, l’amour et l’amitié.
Ce n’est pas pour rien qu’ensuite je me suis lancé dans des virées en solitaire sur les routes, à bicyclette, ou dans des randonnées à pied, ou dans ce voyage en Pologne en 1974, où j’ai franchi le rideau de fer, avec une nuit blanche passée entre deux trains à la gare de Dresde, à observer les étranges coutumes nocturnes d'une vie inconnue.
Et aujourd’hui je continue avec mes cyclo-lectures. En y réfléchissant, je pourrais dire que la lecture n’est qu’un prétexte pour partir, pour être sur les routes. Parce que, sur la route, on lit aussi, les paysages, les habitations, les êtres vivants, on les découvre et, surtout, on se découvre soi-même.
Est-ce pour cette raison que j’ai beaucoup aimé, adolescent et jeune homme, le roman américain ? Autrefois même, il faisait pour moi jeu égal avec le roman français, et me paraissait même supérieur dans certains domaines : le polar et la science-fiction en particulier. Moby Dick reste un des dix grands livres de ma vie, et je pense le relire prochainement, peut-être dès que j’aurai achevé La guerre et la paix.
L’errance est en effet un thème de prédilection des romanciers américains : est-ce dû à l’immensité de leur territoire, aux fameux grands espaces, à la Frontière qui s’éloignait de plus en plus vers l’ouest, et sur le plan maritime, aux nombreuses mers qui baignent les USA ? Toujours est-il qu’entre dix et quatorze ans, j’ai suivi, fasciné, les aventures de Bas-de-Cuir, les romans du grand nord de James Oliver Curwood et ceux de Jack London. Puis ce furent Howard Fast, Steinbeck, Hemingway, Mailer, Hammett et Chandler, avant Henry James, Kerouac ou Philip K. Dick et Silverberg, pour ne prendre que des auteurs que j’ai beaucoup pratiqués. Citons enfin Carson Mac Cullers, peut-être ma préférée (je garde une prédilection pour les femmes écrivains) avec le grand Herman Melville (outre Moby Dick, lire au moins Bartleby l'écrivain et Billy Budd), parce que je trouve chez ces deux-là quelque chose de douloureux qui me prend aux tripes et me remue en profondeur.
Puis j’ai soudain cessé de lire « américain », ça me paraissait trop fabriqué, les John Irving, Michael Connelly ou Stephen King me tombaient des mains. J’ai sans doute tort, mais on ne peut pas tout lire, il me reste désormais peu de temps, et au fond, je préfère les auteurs russes ou scandinaves, voire les japonais ou les latinos. Ils me semblent m’apprendre plus de choses sur l’homme. et bien sûr, je lis surtout les auteurs français.
Mais, grâce à un livre offert pour mon anniversaire, je redécouvre un certain roman américain, encore sur le thème de l’errance. La route, de Cormac Mc Carthy (éditions de l'Olivier), est un roman post-cataclysmique. La particularité de ce livre est que le cataclysme qui a ravagé la terre, devenue une planète morte, couverte de cendre et entourée de nuages qui ne laissent plus passer le soleil, ce cataclysme n’est jamais nommé. Dans cet amas de cendres grises sous un ciel plombé, les rivières et les ruisseaux ne sont plus que boue pleine de suie et de cendre. Les routes sont brûlées, jonchées de débris divers, les maisons sont éventrées et en ruines, les paysages sont désolés, même la mer où les héros aboutissent à la fin du livre est d’une grisaille désespérante. Il n’y a plus un animal sauvage vivant.
Un père et son fils vagabondent à travers les Etats-Unis (Californie ?, en tout cas, il y a des montagnes, la mer), ils vont chercher la chaleur hypothétique vers le sud. Ils déambulent dans le froid, la pluie, poussant un caddie où ils ont entassé quelques boîtes de conserve et provisions pour leur survie. Il semble qu’un certain temps est passé depuis la catastrophe. Les rares survivants ont écumé tout ce qui était comestible, pillé les magasins. Il leur faut donc tous deux affronter les intempéries, la soif, la faim (« On n’a rien mangé depuis plusieurs jours »), la solitude et la maladie. L’homme et l’enfant (jamais désignés autrement, nous ne connaîtrons pas leur nom) s’ingénient à éviter toute confrontation avec les autres humains, car ils peuvent être violents (« Et si c’est des méchants ? » demande souvent l’enfant à son père, quand une rencontre se profile), voire cannibales, capturant notamment les enfants dans le but de se nourrir. Car on survit comme on peut dans un monde qui n’existe plus, la pitié et les bons sentiments ne sont plus de saison.
Le père et son fils sont donc dans l’errance, un déplacement qui dure des semaines et des mois, sous la pluie et les grands froids, car ils doivent traverser les montagnes, mais leur destination est inconnue, car le père n’a qu’une carte en pièces détachées sur laquelle il se repère difficilement. La survie est donc épineuse, seuls l’amour de l’un pour l’autre et le désir du père de protéger son fils empêchent le découragement. Quel bonheur quand ils découvrent une cachette non encore pillée, sans doute un abri anti-atomique, regorgeant de conserves, de réserve d’eau ! Oui, mais comment emporter tout ça ? A quoi bon survivre dans ce monde devenu désolé ?
On peut lire ce livre comme une métaphore de l’Amérique actuelle. Le père et le fils seraient à eux seuls les USA encerclés par les autres, les Barbares, prêts à tout pour les éliminer. Mais c’est aussi un livre sur la paternité, et c’est en quoi il m’a surtout plu. Sans son fils, le père serait sans doute devenu un ces nouveaux sauvages qui survivent en bandes revenues à l’âge de pierre. Quel comportement pouvons-nous avoir dans des situations de ce type ? semble se demander l’auteur. Gardons-nous un peu de morale « civilisée » ? Ou sommes-nous obligés de nous adapter aux nouvelles conditions de vie ? Attention, le ton général reste pessimiste, voire très noir. Amateurs d’eau de rose, éloignez-vous !
Le style est écrit à l’économie. Un brin répétitif, avec un usage intensif de la conjonction et, qui donne un rythme bien particulier à l’écriture. L’auteur n’indique que les comportements, et par des dialogues entre le père et l’enfant, nous fait pénétrer un peu (très peu) dans leur conscience.
Presque englué moi-même dans la tempête qui a balayé les Landes, ce livre m’a touché directement. Pas un très grand livre (il me semble qu’en science-fiction, j’ai lu des choses plus fortes, de Disch notamment), mais un bon livre, à lire en se déplaçant, comme je l’ai fait lors de ce bref retour dans le sud-ouest.
Vive la route !
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