mercredi 28 janvier 2009

24 janvier 2009 : Tu récolteras la tempête

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«Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie !» Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé…
(Chateaubriand, René)

Le samedi 24 janvier, je m’éveille brusquement à quatre heures du matin, un bruit pétaradant me tire du lit : des rafales de vent, des briques qui tombent du toit de l’immeuble où habite ma mère, et qui se brisent sur la terrasse. Naturellement, maman et moi, nous nous levons aussitôt. La tornade est là, sous nos fenêtres. Nous tentons de nous recoucher, mais impossible de se rendormir dans ce vacarme, assourdi pourtant par le double vitrage. Je me plonge dans La route, de Cormac Mc Carthy, un roman post-apocalyptique que j’ai entamé la veille, et qui est une lecture toute indiquée pour ce temps cataclysmique.
J’ai toujours aimé les orages, les coups de vent, les tempêtes. Là, vendredi après-midi, dans les moments qui ont précédé cette tempête, ç’avait été plutôt calme, et j’étais allé à la meilleure librairie de Mont de Marsan, avec l’amie Béatrice, acheter le dernier Stefan Zweig, une longue nouvelle inédite en français, Le voyage dans le passé, excellent selon la libraire (mais peut-il en être autrement avec Zweig ?). Et nous avons discuté animation et vente-signature, pour quand mon livre sera paru. Elle m’a déconseillé toute signature en librairie (sauf quand on est un champion sportif ou une vedette du show-biz), ça fera un bide. Je ferai donc sans doute une lecture dans la salle de conférences des Archives départementales, et je signerai après.
Déjà, on pressentait les signes avant-coureurs, le ciel qui changeait peu à peu, les nuages qui s’assombrissaient et qui galopaient plus vite ! Mais je n’imaginais guère, même le vendredi soir, malgré les alarmes du journal télévisé, l’ampleur de la tempête à venir.
Je devais, le lendemain matin, prendre le train pour Bordeaux à 8 h 04. Il fallait donc que je quitte maman à 7 h 40 environ, puisqu’il y a, à pied, environ dix à quinze minutes jusqu'à la gare, et que je ne voulais pas manquer mon train.
Maman s’est relevée à six heures, je lui emboîte le pas. Elle ouvre aussitôt son unique volet roulant électrique, de peur que l’ouragan ne produise des pannes d’électricité, ça s’est vu déjà ! Nous déjeunons, effarés par le tapage de la tourmente. J’ai bien vérifié en éclairant la terrasse que ce sont bien des tuiles du toit qui s’y sont cassées. Hop, une autre pendant que nous déjeunons !
Je n’ai que faire de la prudence, moi qui pense que la vie vaut qu’on prenne des risques, moi qui me plaît dans les tempêtes, à la recherche peut-être d’une autre vie, comme le héros de Chateaubriand. Je fais ma toilette, m’habille et fais mes adieux à maman. La vieille dame me paraît en super forme : à près de quatre-vingt neuf ans, on ne lui en donne pas plus de quatre-vingts. Je la serre fort dans mes bras, j’ai tellement peur à chaque fois que je la vois, que ce soit la dernière fois !
Et je me jette dans d'autres bras, ceux de la tempête.
Mont de Marsan, ville morte. Pas un chat, pas une voiture, je marche au milieu des rues (c’est plus prudent, j’ai pu constater que les tuiles tombaient plutôt sur les trottoirs) balayées par le vent, parmi des bouts de plastique et des papiers qui volent, et observe de-ci de-là quelques antennes de télévision arrachées, des toits qui commencent à se déshabiller, et même un panneau indicateur sorti de ses gonds, des branches d’arbres qui jonchent les chaussées. Des bourrasques secouent les arbres dans les jardins, les pins se cassent en deux. Le matin n’est pas encore levé, le ciel reste très sombre, l’air est vif, les hurlements du vent me claquent aux oreilles. Je ne sais pas si j’ai le visage enflammé, mais je suis, comme René, possédé, enchanté… Le bonheur absolu. J’aime ressentir sur ma peau cette puissance des météores, qui me rappelle que je ne suis qu’un fétu de paille dans la nature. J’ai l’impression d’être, comme les héros de La route, l’unique survivant d’un monde puni par les dieux.
A la gare, on me dit qu’il n’y a pas de train, et qu’il n’y en aura pas de si tôt, de nombreux arbres s’étant couchés sur les voies ferrées et, de plus, la ligne électrifiée Bayonne-Bordeaux ne fonctionne plus, un train est bloqué à Morcenx. Me voici bloqué à mon tour. J’en profite pour me faire rembourser mon billet de retour Bordeaux-Poitiers, car je prévois que je ne réussirai pas à le prendre. J’en rachèterai un demain, si je peux partir !
J’utilise une carte téléphonique pour téléphoner de la cabine de la gare à maman et lui dire que je reviens. Elle a elle-même reçu un coup de fil angoissé de ma sœur de Bordeaux que je devais rejoindre, et qui me traite de fou d’être sorti dans de telles conditions. Oui, fou, j’aime bien.
Le jeune homme que je rencontre à la gare, bloqué lui aussi à Mont de Marsan, un Montois pur jus, avec un accent landais à couper au couteau, me raccompagne jusqu’au centre ville, dans les tourbillons de vent. Il est déçu de voir que le Grand café est fermé. Il aurait voulu m’offrir un pot et faire plus ample connaissance, car nous avons rapidement sympathisé. Le matin commence à se lever, par moments un silence gris coupe la violence de l’ouragan, comme s’il reprenait son souffle. Je sens poindre sur la ville encore quasi morte – les gens doivent écouter la radio, et les consignes de ne pas sortir de chez soi – comme un sentiment d’angoisse à l’idée d’un désastre absolu pouvant se produire. Un rapide coup d’œil sur le pont du Commerce me montre que les eaux ont beaucoup monté, que leurs flots boueux se ruent avec sauvagerie entre les rives.
Je rentre chez maman, satisfaite de cette rallonge inattendue. J’ai encore l’espoir de reprendre un train dans la journée pour rallier Bordeaux. Espoir déçu quand, vers quatorze heures, je retourne à la gare. On ne peut même pas me dire quand il y aura de nouveau des trains. Et j’imagine que la remise en état de cette ligne secondaire ne fera pas partie des priorités de la SNCF.
Dans la matinée, j’étais ressorti, avec l’alibi d’aller acheter du pain. En fait pour faire un peu plus ample connaissance avec sa majesté la nature en colère. Mais la tempête, vers dix heures du matin, s’est calmée. Déjà, ai-je pensé. Je retrouve mon jeune homme, qui me dit que les arbres du Parc Jean Rameau sont déracinés. Je fais un tour dans les rues meurtries, effectivement le parc est fermé, mais à travers la grille, je peux voir l’allée centrale sur laquelle se sont affalés des arbres vigoureux arrachés du sol par la tempête, et couchés comme des quilles (ça me rappelle les jardins de Versailles après la tempête de 199?). Un peu plus loin, je vois le parking au bord de l’eau : une vingtaine de voitures sont en train de surnager désespérément.
Le lendemain, ma jeune sœur m’a emmené en voiture à Bordeaux, d’où j’ai pu rallier Poitiers. En faisant un large détour, car les routes les plus directes ne sont pas encore dégagées. Une bonne partie des pins ont été coupés en deux à une hauteur de trois ou quatre mètres. Par endroits, sans doute des couloirs de vent ou des tourbillons ont quasiment tout emporté. C’est impressionnant.
Oui, me suis-je dit, l’homme cherche en vain à tout contrôler. Car la nature a encore plus d’un tour dans son sac. Elle veut s’exprimer, elle se venge aussi des gâchis que l’homme lui fait subir. Au bout du compte, j’aime cette idée qu’on ne peut pas tout maîtriser. La nature nous en avertit une fois de plus. Et au fond, qu’est-ce que cette tempête, quand on la compare aux désastres provoqués par l’homme ? Ainsi à Gaza récemment encore, où l’homme a causé bien davantage de destructions, et qui ne sont pas près d’être oubliées ?
Franchement, les ravages opérés par la nature sont réparables. Ceux que mènent les humains n’engendrent que haine, désespoir et querelles sans fin.




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