le bonheur que j’avais vécu sur la route, félicité acquise au fil des rencontres mais aussi au cours de moments passés seul.
(Julien Leblay, Le tao du vélo, petites méditations cyclopédiques, Transboréal, 2016)
Comme d'habitude, je trouve des perles dans les boîtes à livres, autant qu'en bibliothèque, et plus facilement, car il n'y a que très peu de livres, et le choix est vite fait : ou bien aucun ne m'intéresse, ou j'en trouve un, parfois deux. J'ai donc récemment découvert Le tao du vélo, que je me suis empressé de lire. L'auteur, qui se définit comme un cyclo-voyageur ou un cyclo-nomade nous livre dans ce petit bouquin les réflexions tirées de ses nombreux voyages à vélo dans le monde entier.
Je suis loin d'en avoir effectué autant que lui. Et je suis peu sorti de France. Je n'ai d'ailleurs fait que quelques grandes randonnées, de 500 km (en général une semaine) à près de 1600 (trois semaines)... Je suis donc loin d'être un voyageur au long cours, comme certains fans du vélo que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans ma longue vie, et notamment lors de mes balades à vélo ou de l’hébergement gratuit auquel j'ai eu recours dans les années 2010 grâce au site warmshowers et qui m'a valu des rencontres mémorables, principalement avec des randonneurs étrangers venant de Pologne, des Pays-Bas, d’Écosse, de Catalogne, d'Espagne ou du Portugal.
Je dois avouer que voyager à vélo est une manière de voyager plus agréable que d'aller en voiture. Seule peut lui être comparée la marche à pied, comme le dit Jean-Jacques Rousseau dans son fameux panégyrique de cette façon de voyager : "On part à son moment, on s'arrête à sa volonté, on fait tant et si peu d'exercices qu'on veut. On observe tout le pays ; on se détourne à droite, à gauche ; on examine tout ce qui nous flatte; on s'arrête à tous les points de vue" (Les confessions). J'ai fait de longues randonnées seul, en couple (nos deux premières vacances d'été, à Claire et moi, en 1980 et 1981, furent de rallier la Provence à partir d'Auch et jusqu'en Provence, en passant par le sud du Massif central, avec des trajets différents d'une année à l'autre), et même en groupe (ma seule incursion à l'étranger, en Suisse, pour accomplir le Tour du lac Léman, avec un groupe de cyclo-bibliothécaires).
A chaque fois, ce fut un enchantement. Là, une rivière plus ou moins vive, ici une forêt dont l'ombre nous rafraichissait; ailleurs la montagne et un col à gravir, le ciel bleu ou les nuages menaçants, la pluie et le vent, et les rencontres. C'est "n’avoir aucune
contrainte, faire ce que bon vous semble, en parfaite harmonie avec
son âme et son corps", comme dit Julien Leblay dans son Tao du vélo..On est gai, léger, primesautier, content de tout, de l'effort accompli, comme des pauses bienfaitrices et du repos bien gagné, des rencontres faites ici et là. Une des plus belle fut à Lourmarin, en frappant à une porte pour demander de l'eau destinées à nos gourdes vides, d'une vieille dame l Elle nous reçoit dans son intérieur ombreux et frais, nous offre le café. Nous papotons, nous discutons livres aussi, et elle nous révèle être la sœur de lait d'Henri Bosco, le fameux auteur provençal, dont le roman L'enfant et la rivière est un de mes livres préférés. Nous étions ravis et Claire pensait, comme Julien, que "la meilleure rencontre que l’on puisse faire dans un [tel] voyage en couple, c’est celui ou celle qui nous accompagne". Effectivement, notre couple en a été consolidé, grâce aussi à la rencontre des autres.
En outre, au contraire des voyages en voiture et, pire, en avion, le voyage à vélo coûte peu, car comme le souligne encore Julien Leblay : "Avoir un budget serré est finalement un plaisir sain. Détaché de la société de consommation, le cyclo-voyageur n’en est plus que le spectateur, libre de vivre seulement avec ce dont il a besoin. N’est-ce pas là une des plus grandes libertés, le fait d’avoir assez pour subsister et trop peu pour gaspiller ?" Les repas, même grossiers, paraissent délicieux, le gîte, même sommaire aussi : nous avons même dormi, Claire et moi, à la belle étoile, sous une simple couverture survie, près du lac du Salagou, car, comme c'était la fête votive de Clermont-L'Hérault, tous les hôtels affichaient complet. Et nous y avons magnifiquement dormi. Notre auteur ne nous dit-il pas également que "La réduction du confort est le premier pas vers la liberté" ?
Bref, presque octogénaire, j'aimerais bien encore faire une longue randonnée cycliste, avec des étapes bien moins longues, évidemment, que dans ma jeunesse. Mon âme de nomade se réjouit à cette seule pensée. Ce serait, comme mes nombreux voyages à Venise, une sorte de pèlerinage-souvenir sur les moments denses que notre couple a vécus ensemble.
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