Les monstres sont aussi rares que les saints.
(François Mitterrand / Élie Wiesel, Mémoires à deux voix, O. Jacob, 1995)
Aujourd’hui, j’ai envie de parler de deux films, tous deux très durs et sombres, tous deux interdits dans leur pays, mais l’un est solaire, l’autre est nocturne, l’un rend heureux, l’autre plombe le moral et donc à éviter si l’on est déjà un peu déprimé.
Le retour des hirondelles de Li Ruijun est le second film que je vois de ce réalisateur, après Fly in the crane, vu à la Mostra de Venise en 2012, film sur la vieillesse d’un citadin souhaitant être enterré dans son village selon les traditions ancestrales (voir mon blog du 11 septembre 2012, https://cyclo-lecteur.blogspot.com/2012/09/11-septembre-venises.html), et jamais sorti en France.
Ici, le réalisateur nous parle de la campagne chinoise profonde, aux confins de la Mongolie, avec ses paysans sans machines, où tout se fait à la main, et de ses transformations actuelles. Dans cette ferme isolée, vivent deux êtres abandonnés : Guiying (Hai Qing), contrefaite et claudicante, qui a eu une enfance et une adolescence de maltraitance, et Ma (Wu Renlin), un paysan pauvre, taiseux et moqué de tous, dernier fils d’une fratrie, et surnommé "Le cadet" par ses frères, toujours célibataire à la cinquantaine, alors que ses aînés sont de nouveaux riches. Leurs deux familles ont arrangé leur mariage pour se débarrasser d’eux.
Et, de l’union de ces deux malheureux, va naître un bonheur fragile. Jusque-là méprisés, ils se découvrent soudainement être utiles l'un à l'autre, en dépit de leur timidité, dans la lente construction de leur maison (Ma fait lui-même les briques, les fait sécher et les assemble, monte les murs et fait le toit, avec l’aide maladroite de Guiying), dans les travaux agricoles, dans le rythme lent de la vie agreste et aimant en commun les bêtes : leur âne si précieux et fidéle, la portée de poussins, les cochons, et les hirondelles qui viennent faire leur nid sous leur toit. Parallèlement, Ma donne son sang. Ils sont tous deux dans le don de soi-même et c’est ce qui rend leur couple précieux. Leur bonté réciproque vaincra leur timidité, chacun s’inquiétant du bien-être de l’autre dans leur misère commune.
Je ne raconte pas la fin, tragique, mais magnifique. Le film est lumineux à l’image de ces personnages et de leur amour-amitié, lumineux d’humanité d’abord, mais aussi de couleur : le soleil, l’ocre de la terre nue et décharnée. Le rythme est lent, à l’image de la nature et des travaux des champs. Ça m’a rappelé mon enfance campagnarde avant l’arrivée vers 1955 du machinisme. Un des plus beaux films que j’ai vus ces dernières années.
La femme de Tchaikovski raconte l’histoire d'Antonina Milioukova (Alyona Mkhailova, excellente dans un rôle ingrat) jeune femme de la petite noblesse russe qui tombe follement amoureuse de Tchaïkovski et choisit de l’épouser. Mais n’est-elle pas déjà folle et névrosée en voulant se marier à tout prix ? Et de choisir Tchaïkovski, un homme porté sur les hommes et qui ne pourra jamais l’aimer physiquement : il semble accepter uniquement pour la dot, pouvant assainir sa situation financière, et aussi pour dissimuler son homosexualité. Il va se mettre à la haïr peu à peu avant une séparation définitive au bout de quatre ans. Tout est mortifère dans ce film : les couleurs sombres, la descente aux enfers de l’héroïne, même la scène du mariage et du repas de noce. Tchaïkovski ne la touchera pas et ne voudra pas être touché par elle. Peu à peu, Antonina se consume, à force d’endurer des humiliations nombreuses à la fois de la part du musicien, mais aussi de son entourage masculin. Antonina n’acceptera jamais de divorcer. Mais ce mariage raté et irrespirable va être aussi un boulet pour elle ; elle sombre dans la déchéance en s’acoquinant avec un rustre qui va lui faire des enfants. D’ailleurs tous les personnages masculins sont ici dépravés, pervers, brutaux, cauchemardesques, ils méprisent ou détestent les femmes.
La mise en scène est baroque et hallucinée (comme l’était déjà le Music lovers de Ken Russell en 1971, consacré à Tchaïkovski aussi), mais classique, et les couleurs ne laissent guère le temps de respirer. Certes, on peut penser que cette femme, vivant à un époque où le machisme était roi, ne pouvait qu’être broyée par le destin qu’elle avait somme doute choisi. Ce qui reste du film, c’est une sensation d’étouffement funèbre, de pourrissement du réel, d’aliénation des personnages où le spectateur est noyé, et qui l'empêchent de s’identifier à aucun des personnages. Peut-être le réalisateur a-t-il voulu montré la condition de la femme à l’époque ? En tout cas, un films éprouvant, pour spectateur aguerri !
Inutile de dire que, tout en reconnaissant les qualités formelles de ce film, je ne le conseille pas à tout le monde. Et, pour comble, on entend peu de musique de Tchaïkovski dans la bande sonore, alors que l’opéra Eugène Onéguine est souvent cité dans les dialogues, Antonina s’imaginant que son "cher et (pas) tendre" époux s’inspire d’eux pour les personnages principaux.
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