jeudi 2 février 2023

2 février 2023 : la pédocriminalité, des êtres abjects

 

Terrible sentiment d’abandon. Quand même je serrerais contre moi tous les êtres du monde, je ne serais défendu contre rien.

(Albert Camus, Journaux de voyage : Ètats-Unis, mars à mai 1946, Gallimard, 1978)


Je vous propose aujourd’hui deux de mes dernières lectures sur un sujet brûlant : la pédophilie, euphémisme, en fait c'est-à-dire la pédocriminalité !!! Les deux livres sont clairs sur le sujet !

  La pédophilie est en arrière-plan dans Tu sais qui, de Jakub Szamałek, le premier polar polonais que je lis. Buczek est un animateur de la télévision polonaise, notamment d’une émission destinée aux enfants, où il apparaît sous le nom de Monsieur Pistache. Un jour, il est victime d’un tragique accident de voiture. Julita Wójcicka travaille pour le site web MEGANEWS.PL, un magazine people : son rôle est d’écrire des textes brefs, mais suffisamment percutants et scandaleux pour que le public ciblé clique et que la publicité afflue. Ce n’est pas tout à fait ce qu’elle espérait à la sortie de son école de journalisme. Or, son texte sur la mort de Buczek et les réactions qu’il engendre la font douter du fait qu’il s’agirait d’un simple accident. Elle commence à enquêter, et c’est le commencement de ses ennuisSon ordinateur et son smartphone sont victimes d’un hacker qui lance sur le web des photos compromettantes, à la suite de quoi elle est virée du magazine web. Puis elle est à son tour menacée, et priée de suspendre son enquête. Tenace, elle continue et fait connaissance d’un jeune expert en informatique, d’origine vietnamienne, qui va l’aider sur ce plan-là. Ce qui n’empêche pas Julita de faire l’objet d’une tentative de meurtre : une voiture lui fonce dessus…

Je n’en dis pas plus sur cet excellent thriller polonais, très rythmé et plein de rebondissements. On en sort effrayé par les pouvoirs du numérique et les failles de nos ordinateurs, dans lesquels des hackers peuvent pénétrer notre vie privée. On finit même par avoir peur de son smartphone, de sa voiture trop connectée, des liens qu’on trouve dans nos mails : gare aux malwares, ces virus informatiques qui peuvent nous pourrir la vie. En sortant de cette lecture, on ne regarde plus son PC du même œil, ni même son smartphone. On apprend plein de choses sur la sécurité informatique, on plonge dans les faces sombres du net (darknet) qui permet aux malintentionnés de se livrer aux pires perversions, la pédophilie par exemple. Mais le jargon technique est bien intégré dans l’intrigue. Un conseil : comme dans les romans russes, se faire une liste des personnages pour ne pas s’y perdre, car les noms polonais ne sont pas toujours faciles à retenir. À la fin, on ne sait pas tout, mais c’est annoncé comme le premier volume d’une trilogie.

Dans Les Longueurs, Claire Castillon nous conte le calvaire de Lili, victime depuis l’âge huit ans, des abus d’un ami de sa mère, qui devient quasiment son beau-père. Sous couvert de l’emmener à son cours d’escalade qu’il encadre, Mondjo (surnom de Georges) profite de l’innocence de Lili. Ce n’est qu’à quinze ans qu’elle commence à comprendre que la situation est anormale et qu’elle ose se confier à une amie. Comment la mère qui a bien perçu le mal-être de sa fille de quinze ans ("Tu es fermée comme une outre, me dit maman. Toute floue, Lili. Et puis fuyante. Il se passe quelque chose, dis-moi. On t'a fait un sale coup ? Je peux t'aider ?") peut-elle imaginer qu’elle est depuis longtemps la victime de cet ami ? Ce roman donne des sueurs froides : il alterne scènes actuelles et retours en arrière (tout cela raconté par Lili, âgée de 8, 10, 12 ans, etc. avec ses mots d'enfant) qui montrent ce que la naïveté de l’enfant ne lui permet pas de nommer ; ça fait froid dans le dos, tant les angoisses plongent Lili dans un gouffre sans fond. Il faut qu’elle parle, mais n’y parvient pas.

L’auteure montre avec délicatesse comment s’installe l'emprise d’un adulte pour profiter des faiblesses d’une petite fille : elle a huit ans quand ça commence ! L’absence du père de Lili, parti aux USA et remarié, y est pour beaucoup. Car l’enfant Lili trouve en Mondjo un ami qui approuve, un confident affectueux, un entraîneur sportif complaisant, presqu'un second père. Il lui fait jurer le secret et la gamine n’est pas en mesure de comprendre quand Mondjo commence à se livrer à des abus sur elle. Il lui fait croire qu'ils sont amoureux, qu’ils vont se marier, que c'est normal, pour un enfant qu’un supérieur (un adulte) lui indique la vérité sur l'amour corporel, mais que c’est leur secret à tous les deux. Ce n’est que plus tard, que son inconscient pressent que ce n’est peut-être pas normal et qu’elle est une victime. Elle n’est pas la seule : dans sa postface, l’auteure rapporte qu’en France, une jeune fille sur cinq subit une agression sexuelle et 165.000 enfants chaque année. C’est un roman paru dans une collection pour ados, et je pense qu’il faut accompagner un ou une ado dans ce genre de lecture. Mais bien des adultes pourraient le lire, malgré le malaise et la colère que cette lecture procure. Il y a de fortes probabilités que chacun de nous ait connu et croisé au moins une de ces victimes et un de ces prédateurs.

Décidément, avec ces deux romans, l’abus sexuel commence à pénétrer dans la littérature policière et dans les livres pour la jeunesse. Tant mieux !

 

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