Pour les montagnes que vous escaladerez, je vous ai dit d’éviter le verbe « faire ». Ne dites pas : j’ai fait celle-ci. C’est le monde qui s’est chargé de les faire.
(Erri De Luca, Impossible, trad. Danièle Valin, Gallimard,2020)
Je trouve en effet, comme le romancier italien, cette fâcheuse utilisation du verbe faire à tout bout de champ pour signifier toute autre chose. Par exemple, on dit j’ai fait Cuba (ou le Vietnam, la Russie, l’Egypte, Venise, etc), à la place de « j’ai visité » ou « je suis allé à ». De même, beaucoup de cyclotouristes disent j’ai fait le Galibier, le Tourmalet ou le Mont Ventoux alors que « j’ai escaladé à vélo » serait plus approprié. Pour ma part, je ne dis jamais j’ai fait le marathon de New York, au lieu de « j’ai couru » ou « j’ai participé au » ! Cet usage excessif du verbe faire, par manque de vocabulaire peut-être, par paresse probablement, par souci de se mettre en valeur (comme tous les selfies qui traînent sur les réseaux sociaux) ou mettre en valeur sa capacité à beaucoup voyager, pédaler, courir, etc, me paraît symptomatique de ce début de siècle. L’individu est tellement nié dans sa personnalité, broyé par la machine sociale qu’il en arrive à prétendre avoir fait ceci ou cela.
Par contre, on devrait dire : « j’ai fait la guerre », non seulement quand on a été soldat, homme politique ou dictateur déclencheur de la guerre, mais quand on a laissé la guerre se faire, sans en empêcher le moins du monde la venue ou la continuation. Ainsi, actuellement, en laissant nos marchands de mort vendre leurs cargaisons d’armes meurtrières par notre passivité (et parce qu’il faut bien que notre économie tourne, qu’on n’accroisse pas le chômage, tant de raisons fallacieuses), nous ne sommes pas artisans de paix, mais nous sommes complices des faiseurs de guerre, nous contribuons à alimenter la guerre. Et l’ONU, qui avait été créée pour éviter les guerres ou du moins régler les conflits, n’est pas plus brillante que nous !
D’ailleurs, on peut se poser la question : pourquoi l’Ukraine a fait appel à l’OTAN plutôt qu’à L’ONU, au risque d’élargir la guerre à toute l’Europe ? On sait que la guerre dissimule toujours son objectif premier : le pillage. Comme par hasard, l’OTAN n’intervient pas en Palestine (ou d’ailleurs l’ONU peut pondre des tas de résolutions pour mettre fin à l’expansion d’Israël, non suivies d’effets, comme si c’était normal) et au Yemen, car il n’y a rien à gagner. Ne parlons pas de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Libye, de la Syrie, où on prétendait chasser des dictateurs et où on a laissé des décombres sanglantes.
Nous sommes nombreux à penser que donner des armes aux Ukrainiens est une manière de pousser les marchands de mort à prolonger la guerre. Dans quel but ? Quand va-t-on prendre du temps pour négocier ? Va-t-on laisser Poutine sortir son arsenal nucléaire, au risque que les USA (et la France, la Grande-Bretagne) en fassent de même dans la minute qui suit. Où sont les mouvements pacifistes et pour la paix ? Où sont les manifs de refus de la guerre pour que nos dirigeants prennent la bonne décision, c’est-à-dire arrêtent tout ? Est-ce parce que se montrer pacifiste et partisan des droits de l’homme est vu désormais comme complotiste ? Il est plus dur de se battre contre la guerre que de se ruer contre un ennemi : l'écrivain Jean Giono le pacifiste en a su quelque chose qui fut emprisonné en 1939, puis derechef en 1944.
Oui, la guerre est un crime, la guerre détruit, assassine, torture, mutile, fait ressortir les plus bas instincts. Les médias en font leurs choux gras, comme si c’était un spectacle. Où sont nos intellectuels pour protester ? Nos étudiants de l’époque de la guerre du Vietnam ? Écoutons Albert Camus : "Devant les perspectives terrifiantes qui s’ouvrent à l’humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille la peine d’être mené, ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison" (éditorial de Combat, 8 mai 1945).
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