Article 13 : 1 Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État. 2 Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
(Déclaration universelle des droits de l’homme (1948)
Je reviens sur mes migrants, parce que là, je patauge comme eux dans les contradictions du droit, de la justice et de la loi. D’abord, sur l’universalité de cette déclaration : il me semble que l’article 13 (1 et 2) n'a rien d’universel, il ne s’applique qu’aux personnes riches, capables de voyager et vivant dans des pays libres, surtout pour la deuxième partie. On a oublié ici, en Occident, et en particulier en France, les difficultés des populations de nombreux pays, à seulement circuler à quelque distance de chez soi. J’ai bien vu, lors de mes voyage à Madagascar ou en Cote d’Ivoire, que l’immense majorité de la population vit dans un territoire restreint, que ce soit à la campagne ou en ville. Il faut être tant soit peu aisé pour avoir une voiture, une moto, un scooter, un vélomoteur, un vélo ou même une bête de somme et un char ou une carriole et dépasser un rayon de quelques km autour de son habitation. Les transports en commun sont rares, également. Je rappelle que je vivais comme ça dans le village la,dais de mon enfance : on rendait visite aux oncles, tantes et cousins (distants de 3 à 5 km) à pied, on prenait le car une fois par semaine pour aller au marché à 7 km, au chef-lieu du canton. Et c’était tout.
Quant à aller à l’étranger, c’est presque impensable pour au moins 80 % de la population mondiale, et dans les pays du tiers-monde, il s’agit de 99 %, faute de moyens, faute d’obtenir un visa. Résultat, les migrations sont presque toujours clandestines, que la cause en soit les persécutions, les violences, les guerres ou les raisons économiques (espoir d’une vie meilleure). Je me souviens très bien que les jeunes Malgaches ou Ivoiriens avec qui j’ai pu parler lors de mes voyages disaient qu’il leur était illusoire d’obtenir un visa pour la France, alors même qu’ils le souhaitaient. Résultat : ce droit inscrit dans la déclaration soi-disant universelle n’est pas vraiment un droit, tout au plus une possibilité.
Et je repense à mes amis polonais : en 1974 et 1981, pour qu’ils puissent venir en France, j’ai dû remplir une lettre d’invitation contresignée par l’Ambassade de Pologne à Paris où je m’engageais à subvenir à tous leurs besoins, y compris médicaux, pendant leur séjour en France pour qu' ils obtiennent leurs visas et leurs passeports. Piotr et Maria sont venus me voir à Auch en 1974 (et je les ai emmenés chez mes parents dans les Landes, puis voiturés jusqu’en Avignon), Marcin et Grażyna quelques années plus tard alors que j’étais marié avec Claire. Je ne suis pas sûr que ce genre de lettre d’invitation suffirait aujourd’hui pour obtenir le visa à mes connaissances ivoiriennes et malgaches. Car le contrôle à l’entrée du territoire est très strict. On préfère en haut lieu les clandestins que la police peut pourchasser tout à loisir ou que les patrons petits ou grands peuvent exploiter au noir dans certains secteurs : agriculture, BTP ou dans les coulisses des restaurants, entre autres…
Tout ça m’écœure profondément. Je sais que je ne referai pas le monde et que, malheureusement, la pandémie rend les choses encore plus difficiles aujourd’hui pour les migrants en général et les déboutés du droit d’asile en particulier. Comment mes amis Bangladais vont-ils s’en sortir ? On ne peut contacter que difficilement les associations caritatives pour cause de confinement. Shyalam et Suchitra doivent déguerpir de leur logement le 18 décembre. Pour aller où ? Dans la rue, dans un hébergement d’urgence, dans un centre de rétention, dans un avion de retour ? On se félicite en haut lieu de la hausse du nombre de reconduites à la frontière, aux grands applaudissements du RN. S’il s’agit de terroristes avérés, je veux bien. Mais s’il s’agit de pauvres malheureux qui venaient vers la France, pays des droits de l’homme, parfaitement capable, si elle s’en donnait les moyens, de les accueillir, de leur apprendre la langue, d’y trouver une place, alors je dis non. Ça ne peut pas se faire au nom du peuple français, pas en mon nom en tout cas…
"— Mais si, [la solidarité] ça existe ; peut-être pas de façon manifeste mais il faut bien que ça existe, autrement on ne pourrait pas supporter cette vie un jour de plus », dit Ambjörn", dans le roman de Kurt Salomonson, Les grottes, traduit par Philippe Bouquet (Plein chant, 1987). Le personnage de ce roman puisse-il dire vrai !
À suivre...
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