jeudi 13 septembre 2018

13 septembre 2018 : L'Italie "une et indivisible" ?


Le roman, en revanche, le saisit à chaque page, et il se plonge dans la tragédie annoncée d’un personnage anonyme et banal – si lointain, si étranger qu’il finit par s’en sentir proche.
(Canek Sánchez Guevara, 33 révolutions, trad. René Solis, Métailié, 2016)


Il n’est pas de plaisir complet dans la vie, pour moi, sans avoir un brin de lecture. Et, quand je suis à Venise, c’est pareil.  Et, comme toujours en déplacement, j'essaie de lire "local" !

 
J’avais emporté là-bas deux romans italiens. J’ai commencé par un grand classique italien, celui d'Antonio Fogazzaro, Un petit monde d'autrefois (1895). Il s’agit d’un roman historique qui se déroule dans la région de la Valsoda, sous occupation autrichienne, pendant les années 1850, jusqu’à la guerre d’indépendance et la formation du royaume d'Italie. C’est un roman à la fois réaliste, régionaliste, aussi bien que spiritualiste. Franco Maironi, jeune homme élevé par sa grand-mère attachée à la cause autrichienne, rompt avec elle en se mésalliant avec une jeune fille d'opinions libérales et favorables à la cause italienne. La grand-mère menace de le déshériter. Heureusement, un vieil oncle de Louise les abrite dans sa maison au bord du lac de Lugano, et partage avec eux sa modeste retraite. Franco et Louise ont une petite fille, Maria. Mais un jour que Louise s'est absentée dans l'intention de faire valoir les droits de Franco auprès de sa grand-mère, la petite fille échappe à la surveillance de la servante et se noie. Fatalité, injustice, Louise, malgré son chagrin, reste décidée à se battre, sans l’aide de la religion. C’est la foi par contre qui conforte Franco dans cette dure épreuve et le décide à rejoindre Turin pour se battre pour la future patrie. Conflit de famille, conflit d'opinions politiques, esprit de liberté et enthousiasme patriotique se mêlent avec bonheur dans ce roman très vivant et bien documenté. Je l’ai dévoré, encore un grand roman du XIXème siècle. Il m'a tellement plu que j'ai acheté la version originale italienne !!!

Le roman de Francesca Melandri, Eva dort, très différent et plus moderne, est également un roman historique. Mais il parcourt toute l’histoire du XXème siècle à partir du moment où les traités de 1919 ont attribué à l’Italie le Tyrol du sud, devenu Haut Adige, enlevé à l’Autriche qui a perdu la guerre. Mais la population qui y vit est germanophone et n’entend pas s’intégrer ni subir une assimilation forcée. Ce rattachement arbitraire, la colonisation brutale sous Mussolini, l’exil de certains et la résistance des autres habitants, leur attachement à leur langue, leur culture et leurs traditions, vont entraîner après la guerre des formes violentes : attentats et terrorisme, avant d’arriver tardivement à un compromis avec le gouvernement italien, octroyant une large autonomie à la région. Telle est la toile de fond du roman qui raconte l’histoire de deux femmes, Gerda, fille-mère qui doit se battre pour mériter la considération, et sa fille, Eva, jeune femme émancipée et libre. C’est à la fois un itinéraire géographique (Eva entreprend un long voyage du Haut Adige jusqu’en Sicile pour aller assister aux derniers moments de Vito, un ancien carabinier qui fut le grand amour de sa mère et qui lui a servi de père pendant quelques années de son enfance) qui alterne avec les souvenirs qui remontent pendant le temps du voyage, une sorte de narration chronologique qui évoque l'histoire de la mère, de son entourage, du grand-père, du frère, des autres habitants du village et de la vallée. Les uns s’accommodent du joug italien. D’autres se révoltent. C’est donc un double voyage qui nous est raconté, le voyage actuel d’Eva et le voyage dans le passé. La complexité des situations et de l’évolution de la région du pays est très bien rendue, les rapports sociaux sont impressionnants de justesse (riches/pauvres, relations difficiles entre les "colons" italiens, la police, l'armée et les autochtones, difficulté d’être fille-mère dans les années 50, difficulté de vivre son homosexualité pour certains, dont l’ami d’enfance d’Eva) et en filigrane, la délicate problématique des minorités linguistiques écrasées par le poids d'une république qui se veut une et indivisible (tiens, comme la nôtre !). L’auteur, qui connaît bien la région, utilise de nombreux mots du dialecte local dans les domaines quotidiens : se saluer, le vêtement, la cuisine, etc. C’est un excellent roman dans la lignée de celui de Fogazzaro ou de La storia d’Elsa Morante. 

 

Aucun commentaire: