Enfin
la police ne serait plus au service du patron ! Enfin le
gouvernement serait, sinon bienveillant, au moins neutre !
(Simone
Weil, Grèves et joie pure,
Libertalia, 2016)
Au
moment où un gouvernement se prétendant « socialiste »
démantèle le droit du travail, conquis de haute lutte par le
mouvement ouvrier, il est bon de se mettre à relire Simone Weil,
cette âme pure, cette philosophe qui est allée travailler en usine
pour voir de près ce qu'était la condition ouvrière de son temps
et pouvoir en parler en connaissance de cause. Au moment où l'on
devrait fêter avec éclat les 80 ans du Front populaire (à ma
connaissance, seul l'Hôtel de ville de Paris propose une magnifique
exposition de photographies de l'époque, où les grands
photographes n'hésitaient pas à se mouiller pour se mettre au plus
près des petites gens, des grèves et des occupations d'usine, des
manifestations, des premiers congés payés), les éditions
Libertalia rééditent un ensemble de textes de Simone Weil, écrits
à chaud pendant les mois de juin à octobre 1936 et publiés dans des périodiques de l'époque :
La révolution prolétarienne
et Le
libertaire.
Lecture hautement roborative, tellement éloignée des bégaiements
poussifs de nos intellectuels d'aujourd'hui, plus enclins à se
partager le fromage des plateaux télévisuels et à y pérorer sempiternellement sur des
choses dont il n'ont aucune idée, bien que se prétendant experts.
Ne note-t-elle pas que "La
cadence actuelle du travail inflige une souffrance physique et morale
qu'on supporte uniquement par nécessité. C'est même plus qu'une
souffrance, c'est comme un suicide moral de chaque instant".
Avez-vous entendu un seul de nos spécialistes dire tout ça dans les
fameuses informations en continu ?
Simone
Weil est lucide. Elle ne se faisait aucune illusion sur le Front
populaire lui-même, pas plus qu'on ne peut s'en faire sur notre gouvernement :
voir la phrase que j'ai mise en exergue. Elle notait que des
dangers "menacent
en ce moment le mouvement ouvrier. L'un de ces dangers, c'est que
l'agitation dans les usines et les chantiers ne fatiguent la partie
la moins combative de la classe ouvrière, n'exaspère la
paysannerie, qui comprend mal les mouvements ouvriers, ne rejette à
droite les petits-bourgeois des villes".
Bien observé, et toujours valable aujourd'hui. Elle
repère la joie qui se dégage des occupations d'usine, parce qu'il
s'agissait, "après
avoir toujours plié, tout subi, tout encaissé en silence pendant
des mois et des années, d'oser enfin se redresser. Se tenir debout.
Prendre la parole à son tour. Se sentir des hommes, pendant quelques
jours".
Ce n'est pas rien, tout de même. Elle aurait aimé le film documentaire de Françoise Davisse, Comme des lions, qui nous montre ça aujourd'hui (cf ma page du 4 avril dernier).
Elle
repère aussi la difficulté de la mise en application des nouveaux
droits des ouvriers, et en particulier le rôle des délégués :
"Il
faut que l'action des délégués soit méthodique, réfléchie et
coordonnée ; et il faut qu'elle soit étroitement subordonnée
à un contact permanent avec les ouvriers. On aurait tort de croire
que ce contact va de soi, du fait que les délégués sont des
ouvriers eux-mêmes. Car à l'usine le contact entre les ouvriers est
faible, et chacun est très seul ; la pudeur, la fierté, la
timidité, le besoin de détourner la pensée des nécessités trop
dures auxquelles on se plie, la difficulté d'exprimer ce qu'on
ressent, tout conspire pour amener chacun à taire ses souffrances". Seul quelqu'un ayant travaillé en usine peut faire ce genre de réflexion. Et on sait la tentation de bureaucratisation des délégués !
Enfin,
elle critique les organisations (en l'occurrence la CGT de l'époque)
qui osent « mettre
sur le même plan droit de travail et droit de propriété ».
Et elle pose le problème : "Est-ce
bien une organisation ouvrière qui a prononcé ces mots ? Le
travail, cela représente les hommes qui peinent. La propriété,
cela représente des choses, de la pierre, du bois, du métal.
L'éternelle revendication ouvrière, c'est qu'on ait enfin un jour
plus d'égards aux hommes qu'aux choses".
Qui osera dire ça à la télévision un de ces soirs ? Certes,
aujourd'hui encore, on a bien plus d'égards pour le droit de
propriété (sacro-saint soit-il !) que pour celui du travail (déjà largement foulé
allègrement aux pieds, comme le savent les inspecteurs du travail).
Est-ce une raison pour ne pas protester ?
Merci,
Simone Weil, pour ces textes magnifiques qui nous rappellent un
moment émouvant de notre histoire, de l'histoire du peuple, et non
pas de ces arrogants qui nous dirigent !
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