Comment
faisait l'humanité pour respirer avant l'invention de la radio ?
Je ne sais pas, mais ce maudit perroquet a transformé le paradis
terrestre en enfer : l'enfer. Pas la plaque chauffée à blanc,
pas la chaudière bouillante : le tourment de l'enfer c'est le
bruit. Le bruit c'est le brasier où brûlent les âmes.
(Fernando
Vallejo, La vierge des tueurs, trad. Michel Bibard, Belfond,
1997)
Dire
qu'aujourd'hui, c'est la fête de la musique. Je ne sais pas ce que
dirait Fernando Vallejo s'il avait eu connaissance de l'invention du
mp3 et des smartphones qui transforment une partie des êtres humains
en zombies qui ne voient rien, qui n'écoutent rien, qui brûlent
leur âme dans l'absence de silence. Il me prend des envies de
retraite au désert, ou dans un monastère, ou en haute montagne, ou
en haute mer, rien que pour échapper au brouhaha généralisé du
monde contemporain : a-t-on remarqué qu'aucune plage de silence
n'est possible à la radio ou à la télévision, ni dans beaucoup de
magasins et même de restaurants ? Il faut occuper le terrain
sonore, empêcher chacun de se réfugier dans le silence, devenu
l'ennemi public numéro 1.
Encore
tout à l'heure, alors qu'à la bibliothèque nous écoutions un trio
de chanteuses loufoques qui chantaient a cappella, à deux reprises,
un téléphone portable a sonné, et les personnes se sont éloignées
précipitamment pour répondre à un appel qui devait être
absolument urgentissime : la bibliothécaire, en présentant le
spectacle comme un prélude à la fête de la musique, avait omis de
demander au public d'éteindre ces odieuses machines... Comme je suis
devenu zen, ça ne m'a pas troublé. Mais je pensais à ce que je
venais de lire récemment dans le livre de George
Steiner, Dans
le château de Barbe-Bleue : notes pour une redéfinition de la
culture (trad.
Lucienne Lotringer, Gallimard, 1986) : "À
l'homme seul, les livres sont une compagnie suffisante. Ils ferment
la porte au nez des intrus. Le caractère imprimé, le besoin de
silence qu'il commande exigent un isolement farouche. Ce dont la
sensibilité moderne se méfie comme de la peste."
Marguerite Duras, elle, me disait tout récemment (dans
Les
chiens de l'histoire,
1986, in Le
monde extérieur : outside 2,
POL, 1993) : "C'est
dans ce bruit de la télévision qu'on se retrouve de plain-pied avec
la vie, la mort : le bruit de la ville, et le silence. On est en
train d'atteindre au désespoir concret, actif. On est d'accord. On
est calme. On est défait. On n'écrit plus."
Et
qu'ai-je lu chez Dostoïevski
(Les
frères Karamazov, trad
Henri Mongault, Gallimard) : "lorsque
les dieux auront disparu, on se prosternera devant des idoles."
On en est là. Chacun/e est pendu/e à son chapelet électronique, doudou avec qui il/elle dort même parfois, alors
qu'il/elle se moque des « croyants » traditionnels, de leurs chapelets, de leurs moulins à prières, de leurs livres « sacrés » !
Et je constate, par ailleurs,
que le fait de disposer de la musique en continu « ad nauseam »
sur ces petites machines, dispense de faire sa propre musique, de
chanter, par exemple. Qui chante encore de nos jours ?
C'était pourtant la fête de la musique...
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