Au
travail je ne l'avais jamais vu se conduire comme ça. Non, jamais.
Il était presque courtois. Le genre de type à aller fumer dans les
toilettes. Mais en vacances... Ça
fait ressortir tous les mauvais côtés, les vacances et l'alcool.
(Joseph
O'Connor, La fête chez les bédouins,
in Les bons chrétiens)
La
Rochelle, un petit air de vacances...
Toujours
impeccablement reçu chez les amis d'Angoulins, sur mon petit vélo
où, n'en déplaise à Brassens, je n'avais pas trop l'air
d'un con, ma mère, j'ai fait
pendant quelques jours le trajet jusqu'à La Rochelle. Bien obligé
de me rendre compte que je commence à avoir un sérieux coup dans
l'aile, en matière d'orientation. Déjà, lors de mon dernier séjour
à Paris, je m'étais bizarrement perdu du côté de Montmartre,
prenant une rue à l'envers, me dirigeant vers l'est au lieu de
l'ouest. Ici, alors que c'est mon troisième Festival de
cinéma, que je devrais
connaître par cœur les chemins qui y mènent, j'ai été
désorienté, ne reconnaissais plus la côte et son chemin cyclable,
et sur les routes de l'intérieur, me suis tout autant paumé et ai
fait de la rallonge. Sans doute y avait-il des travaux qui m'ont
perturbé. Et fait faire de la rallonge en croyant prendre des
raccourcis. Mais... Un début d'Alzheimer ?
Dans
cette capitale historique de l'Aunis, que je connaissais surtout
auparavant par les derniers chapitres des Trois
mousquetaires, avant que mon ami
Gilles ne m'invite à y passer quelques jours l'été 2009, après la
mort de Claire – et je lui en suis reconnaissant, ainsi qu'à ses
parents, ils m'ont en quelque sorte ramené à la vie, faudra un jour
que je dresse la liste de tous ceux qui m'ont sauvé la vie, à un
moment ou à un autre, ou qui m'ont donné le coup de pouce salutaire
– j'ai trouvé le moyen aussi de ne plus trouver le trajet le plus
direct pour aller des cinémas des quais à celui de la place de
Verdun... Alors que j'y suis venu en avril encore récemment !
Heureusement que la cathédrale est plus haute que les autres
bâtiments, sinon, j'aurais été contraint de demander la route à
un(e) passant(e) ! Comme si soudain, j'avais perdu le nord !
Je
vais pouvoir préparer sérieusement mon trajet d'été, périple qui
doit me mener en Aveyron, puis dans l'Hérault, dans le
Tarn-et-Garonne, dans les Hautes-Pyrénées, le Gers, les Landes et
retour à Bordeaux : pour la fin, je connais. Mais le Massif
central ? Surtout que je n'ai pas envie de prendre les
autoroutes, trop chargées pendant les vacances. On me dira :
« T'as qu'à prendre un GPS ! » Avec ma phobie de la
technique, c'est même pas la peine d'essayer (je rappelle qu'en
dépit de leçons, je ne sais toujours pas faire marcher mon
dictaphone, j'y ai renoncé, c'est trop électronique, trop
sophistiqué pour moi !), je préfère regarder les cartes, je
trouverai bien mon chemin, quitte à faire quelques détours qui,
après tout, en valent peut-être la peine, surtout sur les petites
routes.
Bref,
j'ai donc vu des films, participé aux rétrospectives Raoul Walsh (4
films, mon préféré fut L'entraîneuse fatale,
ou la rédemption d'une femme, interprétée par Marlène Dietrich),
Teuvio Tulio (auteur de mélos finlandais, j'en ai vu deux, qui m'ont
bien plu) et Charlie Chaplin (revu les formidables Lumières
de la ville),
à l'hommage à Anouk Aimée (revoyant ainsi pour la première fois
Les mauvaises rencontres,
d'Alexandre Astruc, où les pions avaient eu le mauvais goût de nous
emmener un jeudi de pluie de la fin 1956, et qui évidemment n'était
pas du tout un film pour enfants, mais aussi Les amants de
Vérone, avec des fabuleux
dialogues de Prévert, et l'inédit pour moi La tête
contre les murs, un brûlot
contre la psychiatrie traditionnelle), à Agnès Varda (son
installation Patatutopia
m'a bien amusé) et à Emmanuelle Riva, dont le dernier film, Amour
de Michael Haneke, primé à Cannes, ouvrait le Festival. Certes, ça
faisait un peu hommage au 4e
âge, avec toutes ces vieilles dames octogénaires ("Les
chevelures s'étoilent / de fils d'argent",
chante Odile Caradec, autre alerte octogénaire et poétesse). Je
reparlerai du film de Haneke ultérieurement, il m'a bouleversé, et
j'ai cru m'y apercevoir en miroir.
La
Rochelle, c'est aussi, et particulièrement pendant ces festivals
d'été (les Francofolies
succèdent au Festival du cinéma), la Tour de Babel. On y croise
toutes les langues, toutes les couleurs, tous les âges, dans un
tourbillon incroyable. On y retrouve des gens connus aussi :
quelques Poitevins habitués du Festival, les filles de mon ancienne
assistante à la DRAC que j'ai eu le plaisir d'inviter à voir des
films avec moi, un de mes confrères du Festival de Venise l'an
passé. Le temps médiocre ne m'a pas poussé à aller sur la plage,
d'ailleurs je n'avais pas emporté un maillot de bain. J'y ai lu dans
les files d'attente (est-ce une impression ? J'ai trouvé qu'il
y avait moins de monde que l'an passé, où il faisait très beau, il
est vrai) l'excellent livre de Roger Grenier, Le palais des
livres, une biographie de James
Dean (heureusement qu'il est mort jeune, il aurait fort mal vieilli),
et commencé les poèmes de Tomas Tranströmer (dernier prix Nobel)
et La vie de Van Gogh
par Henri Perruchot (le même dont j'avais lu la Vie de
Cézanne à haute voix l'été
dernier pour Patricia).
Chez
Roger Grenier, j'ai pêché cette perle : "Quel
est le pire ? Être
inachevé ou être fini ?"
Quand j'étais petit, et par la suite encore, quand on disait de
quelqu'un, « il est pas fini », ça voulait tout dire.
Que c'était un raté, un débile, un futur déchet de la société,
quelqu'un d'inadapté... Aujourd'hui, je me dis qu'être fini, c'est être mort, incapable de changer son regard, de se changer et d'espérer... Mais, lisant la vie de Van Gogh, je me dis,
il est bien vivant, à sa façon et pas du tout fini, lui non plus, en dépit de ce que pensaient les gens de son époque, tous
ceux qui naviguent dans les conventions morales, sociales,
artistiques ou religieuses. Oui, curieux individu, comme tous les
génies. Personnage christique (et en tant que tel, vilipendé par
les Chrétiens conventionnels) ressemblant beaucoup à l'idiot
de Dostoïevski. Et aujourd'hui encore, il ferait scandale !
Surprenamment, j'ai vu aussi à La Rochelle la vie de Modigliani dans
le film Montparnasse 19 de
Jacques Becker (1957). Gérard Philipe y interprète magnifiquement
l'artiste aussi maudit que Van Gogh.
Eh
oui, préférer la misère à l'argent, c'était une anomalie dans le
monde bourgeois et boursicoteur du 19e
siècle comme du début du 20e
siècle (et peut-être de ce 21e).
Van Gogh, Modigliani, en ont pâti. C'était des barbares, si on
veut, mais on peut, comme le rappelle Jean Soublin dans son bel
essai, Le second regard : voyageurs et barbares en
littérature, "identifier
chez un Barbare un trait aujourd'hui disparu chez soi, la frugalité
par exemple, ou la chasteté, ou le sens de l'honneur, [et] ouvrir
une fenêtre sur son propre passé, convenir que l'histoire bouge
dans un sens, qui n'est pas forcément le bon".
Tiens, je me sens barbare, moi aussi ! Et inachevé...
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