dimanche 12 février 2012

12 février 2012 : naissance de l'amour


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L'un habitait l'autre et chaque mot

était une main tendue

(Georges Bonnet, inédit)



Ces deux vers de Georges Bonnet m'ont fait sursauter, à deux jours de la Saint Valentin. Faut-il que ce soit un très vieil homme (il va avoir 93 ans) qui nous rappelle d'une manière si simple ce que c'est que l'amour, ce qu'il devrait être : s'habiter l'un l'autre, et ne dire aucun mot qui ne soit pas une main tendue vers l'autre ? Comme mon ami I., qui m'a hébergé quelques nuits à Poitiers cette semaine, me disait qu'il ne savait pas trop ce que ça voulait dire aimer, que trop de nos contemporains sont dans son cas, que, de même que le tabou du corps a fait que quand on pense corps, on ne pense que sexe, le tabou sur le verbe aimer fait que quand on pense amour aujourd'hui, on ne pense aussi que sexe, j'ai envie de dire pourtant, comme affirme Garance à Baptiste dans Les enfants du paradis, « C'est tellement simple, l'amour ! »



Et c'est un autre film, argentin cette fois (mais assez proche par l'esprit du film de Kaurismaki, Le Havre), qui vient démontrer cette vérité que Prévert écrivit pour le chef d'œuvre de Marcel Carné. Las acacias, de Pablo Giorgelli, est un film d'une simplicité biblique, que n'aurait pas renié le Hugo de Booz endormi ou des Pauvres gens. Le héros, Ruben, est un camionneur silencieux, un taiseux, qui transporte dans son camion des billots d'arbre de la forêt paraguayenne (les acacias du titre, qu'on voit tomber en début de film) vers Buenos Aires. Voyages qu'il accomplit habituellement seul. Cette fois-ci, son patron lui demande d'emmener avec lui une femme, dont il découvre au dernier moment avec effarement qu'elle a un bébé et des bagages. Et c'est le début d'un road movie, comme on dit aujourd'hui, où ces trois personnages vont devoir cohabiter dans l'habitacle étroit de la cabine du camion. Jacinta est une fille-mère, elle est guarani et, bien entendu, très timide. Pourtant Ruben et Jacinta vont, au fil d'un voyage bref (deux jours) et lent, apprendre à se connaître peu à peu, et même s'apprivoiser. Entre le camionneur taciturne, père qui n'a pas vu son fils depuis huit ans et la mère célibataire, la glace met du temps à se rompre. Ainsi, lors du franchissement de la frontière, Ruben laisse Jacinta se débrouiller toute seule, il la récupérera plus tard de l'autre côté, et ne se prive pas d'aller manger au restaurant après le poste-frontière, laissant attendre un kilomètre plus loin la malheureuse mère en plein soleil avec son bébé sur les bras et les bagages. Plus tard, dans le camion, il est exaspéré par les pleurs du bébé qui a faim, et quand il a soif, il boit de sa bouteille d'eau sans en proposer à sa voisine. Les rares mots prononcés nous font pourtant peu à peu connaître les protagonistes (c'est un film plus muet que The artist, avec ses innombrables cartons à lire), la lenteur du voyage favorise le contact, fortement aidé par l'adorable bébé, qui finit par faire craquer Ruben. Peu à peu, chacun des deux pose de petites question à l'autre (les mots main tendue de Georges Bonnet), ou profite des pauses pour faire des découvertes : Jacinta regarde dans la boite à gants pendant que Ruben sort fumer, Ruben prend le bébé dans ses bras et le câline quand la mère va donner un coup de téléphone. Si tous deux restent très silencieux, de discrets regards en disent long, et en fin de compte, alors que Buenos Aires approche, on sent que chacun des deux appréhende douloureusement la prochaine séparation, surtout Ruben, qui va retrouver sa grande solitude, alors que Jacinta est accueillie chez d'exubérants cousins. Je ne raconterai pas la dernière scène, les larmes m'en viennent aux yeux rien qu'en y repensant, et au cinéma, il m'a fallu sortir le mouchoir car je ne voyais plus rien !

C'est comme Le havre, un "petit" film, modeste, qui parle de trois fois rien, avec des moyens extrêmement simples. De trois fois rien, que non ! Ils nous parlent d'amour, ces films-là, au contraire de L'amour dure trois ans, cette nullité signée d'un grand nom du Gotha littéraire parisien, et dont le budget était sans doute dix fois plus important, film qui est cucul, concon, bobo et bêbête comme ça ne devrait pas être permis. Tant pis pour les spectateurs abusés.

Et tout ça m'a rappelé un autre film argentin que j'avais vu il y a quatre ans et dont j'avais parlé dans mon blogue à la date du 18 mars 2008, reportez vous-y, El cielito, qui était aussi un film d'amour entre un jeune homme et un enfant. Je me cite : "Je n’ai jamais vu un film où l’attachement entre deux êtres est montré avec une telle pureté, peut-être Le Kid, de Charlie Chaplin ? Tout passe ici par les regards, plusieurs scènes montrent les personnages en train de s’observer". On est ici dans le même niveau d'intensité humaine dans la découverte de l'autre, et dans l'apprivoisement cher au renard du petit prince de Saint-Exupéry.

Courez voir ce film !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour Jean-Pierre
moi aussi, j'ai adoré Les acacias...et tu as dit tout ce que j'ai ressenti, une fois de plus. Et puis, tu sais que ma fille Fanny vit à Buenos Aires. Et toi, quand pars-tu pour ton long voyage?
Anne-Marie d'Auch