Le jour du Quatorze Juillet
Je reste dans mon lit douillet.
La musique qui marche au pas,
Cela ne me regarde pas.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En n'écoutant pas le clairon qui sonne.
Mais les braves gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux...
(Georges Brassens, La mauvaise réputation)
Décidément, notre bonne vieille droite ("la plus bête du monde", selon Guy Mollet) ne change pas. À peine Eva Joly avait-elle annoncé qu'elle souhaitait qu'on remplace le défilé militaire du 14 juillet par un cortège citoyen, que François Fillon en tête – on l'a connu mieux inspiré – a renoué avec la xénophobie outrancière qui est le fonds de commerce le plus sûr de la droite, quand il s'agit de refuser le débat d'idée. Nous avions eu le "Juif allemand" en 1968, à propos de Cohn-Bendit, maintenant, nous avons la "Franco-Norvégienne",sous-entendu, elle n'est pas tout à fait française. Ce serait tragique – surtout sur fond de soldats tués dans une guerre absurde en Afghanistan : saura-t-on un jour à qui elle profite, celle-là de guerre, en dehors des marchands de canons de tout acabit ? – si ce n'était plutôt mesquin. Bas, même, mais on sait que tous les coups bas sont bons, quand il s'agit de dénigrer une femme, surtout une femme qui a eu le mauvais goût d'évincer de la course à la présidentielle notre Monsieur Hulot national (moins marrant que celui de Jacques Tati !).
Pourtant, ce n'est pas d'aujourd'hui que les écologistes, pacifistes par nature, parlent de ce retrait du défilé. Un défilé coûteux, pollueur, bruyant, belliqueux tout de même aussi : il s'agit de montrer au monde nos nouveautés en matière de machines à tuer. Et Dieu sait si en ce domaine nos scientifiques et nos laboratoires – au service des industriels – ne manquent pas de fourmiller d'idées homicides. Ah ! La technologie – le nouveau Dieu – a du bon ! S'ils pouvaient mettre autant de matière grise et de savoir-faire dans les machines à vivre, je pense que notre monde se porterait mieux.
Par ailleurs, ce fameux défilé avait été inauguré dans les années 1880. C'est donc une tradition – au fond, pas si ancienne que ça, – et on sait combien la droite aime se retrancher derrière les traditions. Tout au moins derrière les traditions qui l'arrangent. Mais à l'époque, on était en plein désir de revanche contre l'Allemagne, après l'humiliante défaite de 1870, et il fallait montrer aux ennemis – à défaut de notre courage réel, – notre capacité à détruire, qui a abouti aux boucheries sanglantes de 14-18, puis de 39-45. Ne pourrions-nous pas, aujourd'hui, montrer au contraire notre capacité à construire, notre aptitude à mettre en place un monde meilleur, mettre autant d'argent dans la recherche d'énergies douces, respectueuses de l'environnement et de notre planète, respectueuse des peuples ? Dans la recherche aussi de plus de solidarité entre les humains, plutôt que favoriser les conflits ? "La misère des hommes est insondable", écrivait déjà Blaise Cendrars (Le Ve arrondissement, in Trop c'est trop).
Et je suis atterré aussi par cette misère mentale induite par la recherche permanente de la nouveauté, dénoncée par Paul Valéry, dans L'idée fixe : "Si l'on fait dépendre la valeur d'une chose de l'effet de surprise qu'elle produit, vous arrivez à définir cette chose par cette seule valeur de choc... Savez-vous que ce n'est que depuis... un peu plus d'un siècle que la nouveauté d'une chose a été considérée comme une quantité positive de cette chose ?" Ben oui, de même qu'une tradition n'est en soi pas forcément bonne (sinon l'esclavage, le servage, le meurtre rituel, l'excision, la burqa, etc., seraient à remettre à l'honneur), les nouveautés ne sont pas non plus toujours positives. Surtout en matière militaire, où le XXème siècle aura été le siècle de l'horreur déclinée sous les formes les plus ignobles : gaz moutarde et autres armes chimiques, napalm, défoliants, bombes atomiques, bombes à fragmentation, mines anti-personnel, camps d'extermination, etc. La litanie de l'infamie guerrière contemporaine serait longue à énumérer.
Personnellement, les défilés militaires, loin de me rassurer sur la prétendue "défense" de notre pays, me font plutôt peur. D'ailleurs, montrer sa force de cette manière est plutôt un signe de faiblesse : rappelons-nous les "glorieux" défilés des forces soviétiques sur la Place Rouge à Moscou autrefois (qui n'ont en rien empêché l'effondrement de l'URSS) ou les impressionnants défilés organisés par la Corée du Nord aujourd'hui (c'est bien la seule chose qui marche dans ce pays). Je garde du respect pour les militaires qui, après tout, risquent leur vie, mais n'en ai pas pour tous ceux qui les commanditent : scientifiques et industriels, hommes politiques et idéologues, qui, eux, ne risquent rien, et pourtant propagent la mort.
Tiens, de passage à Paris, allons plutôt voir l'expo Brassens à la Cité de la Musique. Et terminons sur quelques paroles de notre chansonnier national (Mourir pour des idées) :
Les Saint Jean Bouche d'Or qui prêchent le martyre
le plus souvent d'ailleurs s'attardent ici-bas.
Mourir pour des idées, c'est le cas de le dire,
C'est leur raison de vivre, ils ne s'en privent pas.
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