Hélas
! c'est l'ignorance en colère. Il faut plaindre
Ceux
que le grand rayon du vrai ne peut atteindre.
(Victor Hugo, La lutte, in L’Année terrible, M. Lévy, 1872)
En cette période terrible d’émeutes qui viennent de troubler la France, il faut toujours en revenir à notre grand poète, qui a bien connu ça, tant en 1832 (l’émeute pendant les obsèques de général Lamarque, dépeinte dans Les Misérables) qu’en 1848, puis en 1871.
Comme tout le monde, j’ai été étonné de la violence des émeutiers et constaté qu’ils s’en prenaient aussi à des écoles, des centres sociaux, des clubs de boxe, et des bibliothèques aussi. Mais connaissant le beau poème de Victor Hugo qui suit, et ayant vu de mes yeux à maintes reprises la piètre considération qu’on leur avait montré justement dans certaines mairies, certains établissements publics, chez le médecin, dans certaines écoles (il n’y a, hélas, pas que dans la police qu’on trouve une proportion alarmante de racistes et de mépris des classes aisées contre les pauvres), et vu la couleur dont nos médias, grands ou petits (les chaînes en continu étaient le pompon, ils avaient déjà fort mal parlé des "gilets jaunes", alors pourquoi se gêner avec les descendants de "migrants" ?)) parlent d’eux, je n’étais guère surpris par la colère de ces jeunes. Soumis depuis des années à la relégation dans des ghettos, au contrôle policier incessant au faciès, ils ne veulent plus, comme leurs parents (les mères souvent, se lèvent à cinq heures du matin, pour faire le ménage dans les entreprises, et repartent le soir après 18 h pour les mêmes raisons) accepter cette soumission. Comment dans ces conditions de précarité et parfois de misère physique et morale, les familles peuvent-elles assurer un minimum de contrôle sur leurs enfants qui leur échappent dès le début de l’adolescence ? Les commentaires sont allés bon train, mêlés de racisme et de condescendance, pour humilier et discriminer une fois de plus ceux qui le sont déjà en permanence.
Frontispice de la 1ère édition de L'Année terrible
À qui la faute
Tu
viens d'incendier la Bibliothèque ? —
Oui.
J'ai
mis le feu là. —
Mais c'est un crime inouï !
Crime commis par toi contre
toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme
!
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce
que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton
trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est
à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour
toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations
ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à
l'aurore.
Quoi ! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans
ces chefs-d’œuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce
tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans
l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le passé, leçon
qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais
finir,
Dans les poètes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans
le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des Jobs,
debout sur l'horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la
raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De
tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié
que ton libérateur,
C'est le livre ? Le livre est là sur la
hauteur ;
Il luit ; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il
détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus
d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton,
Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou
Corneille
L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille
;
Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ;
Tu
deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton
esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t'enseignent ainsi
que l'aube éclaire un cloître
À mesure qu'il plonge en ton
cœur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus
vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu
te reconnais bon, puis meilleur ; tu sens fondre,
Comme la neige
au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les
rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la
première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C'est
à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins !
Les buts
rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta
pensée entre, il défait en elle
Les liens que l'erreur à la
vérité mêle,
Car toute conscience est un nœud gordien.
Il
est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit
; ta démence, il te l'ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et
par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c'est le
savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le
progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela,
toi ! —
Je ne sais pas lire.
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