lundi 31 juillet 2023

31 juillet : quand le racisme tue

 

Le langage politique – et, à quelques variations près, c’est le cas pour tous les partis politiques, des conservateurs aux anarchistes – est conçu pour rendre les mensonges crédibles et le meurtre respectable, et pour donner une apparence de consistance à ce qui n’est que du vent.

(George Orwell, Pourquoi j’écris et autres textes politiques, trad. Marc Chénetier, Gallimard, 2022)



Ne croyez pas que mon séjour en clinique m’ait rendu moins rebelle. Bien au contraire, et le peu d’actualités aperçues à la télé sur les chaînes en continu m’ont rendu encore plus battant que jamais.

J’ai découvert et haï le racisme en même temps que mon frère aîné Michel en 1959 à l’internat du Lycée Victor Duruy de Mont de Marsan. Un surveillant d’internat fut nommé en ce mois d’octobre. Il était marocain. Quand nous l’avions dans notre dortoir qui était celui des élèves de 3ème et de seconde (14 à 16 ans), la plupart des pensionnaires se livraient à des injures et des paroles désobligeantes que je préfère ne pas reproduire ici. Nous deux étions parmi la dizaine qui ne disaient rien. Michel, qui bouillait et avait envie de foutre son poing sur la gueule aux plus virulents, me disait au matin : « c’est comme ça que le nazisme est né ». Le malheureux surveillant a donné sa démission au bout de deux semaines.

Michel et moi sommes devenus en quelques jours à la fois antiracistes et anticolonialistes ! Je vous soumets aujourd’hui un texte que j’ai trouvé das la revue Ballast, texte lu dans une manifestation interdite à Marseille le 8 juillet dernier à la mémoire de Nahel, témoignage d’un père à la fois fort, émouvant et juste. Il est un peu long, mais la lecture, au contraire du racisme, n'a jais tué personne !



En plein cœur : Souheil, Nahel et les autres



« Je suis Issam El Khalfaoui, le papa de Souheil tué par la police le 4 août 2021, ici-même. Je ne vais pas vous parler de la mort de Souheil aujourd’hui, si ce n’est pour implorer les témoins du meurtre de mon fils de dire précisément au juge ce qui s’est passé, pour que vérité soit faite. Ne craignez pas la police : présentez aux yeux de toute la France combien l’institution policière est gangrenée.

« Je vais vous raconter l’histoire d’un petit garçon brillant. Un petit Maghrébin né à Saint-Denis dans le 93, premier de l’école au primaire — une école où il y avait peu de Maghrébins et encore moins de Noirs. Des insultes comme « sale Arabe » étaient récurrentes. Puis ce garçon, devenu plus grand, est entré au collège. Là encore, il était brillant : le premier des 6e. À la fin de l’année, sa professeure d’anglais appela ses parents, affolée : la principale avait pris une décision unilatérale et le jeune garçon irait dans la classe de 5e la plus difficile. Une expérience, disait cette principale : on allait mettre le meilleur élève de 6avec les moins bons élèves, les plus dissipés, pour voir s’il y aurait un effet d’entraînement. Pour l’expérience, on n’allait pas mélanger un groupe d’élèves, mais un seul, le meilleur : l’Arabe.

« Du pur racisme, dénonça la professeure d’anglais.

« Au lycée, c’est le professeur de maths qui n’hésita pas à saquer son dossier pour les classes préparatoires. En Math Sup, on lui refusa les écoles parisiennes les mieux classées. En école d’ingénieur, ce fut la galère à chaque fois qu’il fallait trouver un stage. Refus sur refus. Puis quand, par miracle, il en obtint un, il eut droit dès le premier jour à une mise au point sur le fait qu’il ne fallait pas voler au sein de l’entreprise…

« Pour son service militaire, il dut très vite faire face à une avalanche de propos racistes. Tu es un bougnac : croisement entre le bougnoule et le macaque… Et pour faire taire tous ces racistes, il travailla d’arrache-pied dans ce service. Son savoir-faire fut reconnu, son abnégation et sa capacité de travail furent même récompensées par un voyage en Autriche avec les officiers les plus gradés. Rebelote durant ses premières années en tant qu’ingénieur : nombre de postes ne lui étaient pas accessibles, et les promotions étaient réservées à ceux qui allaient boire des coups le soir. Finalement, il décida de s’installer en indépendant.

Sans parler des contrôles de police par dizaines, du pistolet pointé sur la tempe pour avoir refusé un abus de priorité à des policiers en civil, à des contrôles d’identité où il fut menotté et humilié devant ses camarades de classes. Des heures dans le panier à salade pour avoir oublié ses papiers chez lui.

« Toute sa vie durant, il dut faire plus que les autres. Être plus brillant, plus gentil, plus serviable, plus aimable, plus généreux… À force de faire plus, il eut l’impression d’être finalement intégré, que sa couleur de peau ne comptait plus. Il habita dans des quartiers bobos à Paris, puis à Marseille, gagna plutôt bien sa vie en tant qu’indépendant. Son inconscient avait construit une protection mentale, une espèce de barrière. Il oublia les difficultés de sa vie d’avant, lorsqu’il habitait encore la Cité Rose. Il oublia la violence du quartier due à la pauvreté et les inégalités auxquelles il avait pu faire face.

« Jusqu’au jour funeste où son fils Souheil prit une balle en plein cœur, ici, à Marseille, tirée par un policier stagiaire. 

« Le réveil est brutal quand le racisme me rattrape de plein fouet.

« Je dis rattrapé, mais, en fait, il ne m’a jamais vraiment quitté : j’ai juste appris à vivre avec au lieu de le combattre.

« Cinq années de sessions avec une psychologue m’ont fait réaliser à quel point le racisme a dirigé ma vie, combien je me sens prisonnier d’en faire toujours plus que les autres. Si je vous raconte tout cela, c’est que malgré tout ce que j’ai vécu, la première réaction que j’ai eue, après les émeutes, a été de me dire pourquoi ils font ça, pourquoi ils gâchent tout ? Oui, même moi qui ai perdu mon fils adoré à cause du racisme systémique, à cause d’une police violente et raciste, en privé, j’en ai voulu à ces jeunes. C’est dire la force de la manipulation.

« Mais, rapidement, j’ai compris qu’ils ne gâchaient rien du tout. Cette jeunesse se révolte parce qu’elle n’en peut plus des inégalités, elle n’en peut plus de ne pas avoir d’avenir. Ils n’ont plus rien à perdre, outre une « vie de merde » — comme ils l’écrivent sur nos murs. Pourquoi brûlent-ils les écoles et les mairies ? Car ce sont les seules représentations de l’État qu’ils connaissent. À quand une préfecture ou une antenne d’un ministère dans les quartiers nord ou les banlieues ? Ces jeunes, ils ont besoin de rêver, besoin de voyager, besoin de vivre, pas de survivre. Il est de notre responsabilité, à nous les adultes, à nous les anciens, de les protéger, de nous battre pour que leur avenir soit meilleur que le nôtre. Je suis profondément convaincu que seule une grève des racisés pourra faire évoluer les choses… À quand notre syndicat ?

« Le gouvernement, raciste et fasciste, autorise une "cagnotte de la honte", une cagnotte qui incite au meurtre, et de ce fait est contraire à la loi malgré la déclaration du ministre de la Justice. Combien de policiers seront tentés d’abattre un noir ou un arabe en espérant toucher le pactole ? Parallèlement à cela, le président de la République fait fi de la séparation des pouvoirs et permet la condamnation de nos jeunes à des peines indécentes au regard de leurs actes.

« Nahel, Souheil conduisaient sans permis. Mais plus de 500 000 Français conduisent sans permis. Jade Lagardère conduisait sans permis, car elle avait acheté le sien ; les enfants des nantis marseillais conduisent également sans, mais leurs parents peuvent leur offrir des voitures sans permis à 10 000 euros. Seuls nos enfants, nous les racisés, sont exécutés pour ce motif.

« M. Macron n’a rien proposé après la mort de Nahel, si ce n’est le statu quo.

« Il a balayé du revers de la main son meurtre en s’en remettant au travail de la Justice, tout en occultant les mensonges des policiers, les dangers de l’article 435–1, la nécessité de la caméra piétonne et de l’indépendance de l’IGPN. De l’autre main, il balaie la révolte de nos jeunes en attribuant les émeutes de façon hypocrite aux réseaux sociaux et aux jeux vidéo pour justifier une répression policière et judiciaire de plus en plus insupportable. Darmanin et Macron sont dépendants des syndicats de police qui leur permettent de diriger le peuple par la force. Les émeutes ne sont que l’écho de l’attitude des policiers qui blessent, mutilent, tuent depuis l’arrivée de ce président des riches.

« L’État a engendré un monstre qu’il ne maîtrise plus : le syndicat raciste Alliance.

« Aujourd’hui, je ne veux plus me taire.

« Je veux crier toute ma douleur et toute ma rage. Je suis un "modèle d’intégration" selon les critères de ces haineux. Pourtant, j’en ai pris plein la gueule tout au long de ma vie. Les débats sur l’intégration ne sont qu’un contre-feu pour justifier l’intolérance, le racisme, la perpétuation des privilèges. Nous ne voulons plus de ces privilèges, nous voulons une juste répartition de la richesse, nous souhaitons l’égalité des chances. Nous voulons que nos banlieues, que nos quartiers défavorisés jouissent des mêmes avantages que les autres quartiers, que nos jeunes bénéficient de la même éducation. Nous voulons que nos enfants s’épanouissent dans leur vie, leurs loisirs, leur travail.

« Alors aujourd’hui, on dit STOP tous ensemble.

STOP AUX INÉGALITÉS
STOP AUX DISCRIMINATIONS 
STOP AUX RACISME
STOP AUX VIOLENCES POLICI
ÈRES 
STOP AUX VIOLENCES JUDICIAIRES 
STOP AUX MENSONGES D’ÉTAT

                                                            Dessin de Karak
 

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