On retrouve sa place. Je retrouve la mienne. Elle s’appelle solitude. Je vais vivre dans ma tête des aventures magnifiques. Seul.
(Esteban Moreno Corral, Les hommes oignons, Éd. de la Trémie, 2022)
Je ne sais pas pourquoi ma grand-mère maternelle, qui vivait chez nous, disait souvent cette fable qui était sans doute sa préférée. Je la prenais toujours pour moi, car j’étais, comme le roseau, chétif et malingre. Et ça me forçait à me battre pour exister, et même subsister contre les moqueries des autres, à l’école par exemple. Il est vrai qu’on se moquait aussi, et même davantage, des gros. Car tous savaient qu’on ne risquait rien d’un petit maigriot dans mon genre, tandis qu’il arrivait à un gros de se rebeller d’être toujours appelé Le gros, Bouboule, Gros sac, Gros lard, Gras double, Bibendum... et de donner un coup de poing bien ajusté qui faisait taire, un temps, les moqueurs. Mais un petit rachitique, voire débile, comme moi, qu’a-t-il : eh bien, de lire La Fontaine et de se dire qu’après tout, on peut plier et ne pas rompre. C’est sans doute ce que voulait me faire sentir ma grand-mère par cette récitation qu’elle avait apprise à l’école cinquante ans auparavant et jamais oubliée.
Le Chêne et le Roseau
Le Chêne un jour dit au Roseau :
"Vous avez bien sujet
d'accuser la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant
fardeau.
Le moindre vent, qui d'aventure
Fait rider la face
de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que
mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons
du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est
Aquilon, tout me semble Zéphyr.
Encor si vous naissiez à
l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous
n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l'orage
;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords
des Royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien
injuste.
– Votre compassion, lui répondit l'Arbuste,
Part
d'un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont
moins qu'à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous
avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté
sans courber le dos ;
Mais attendons la fin."
Comme il
disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le
plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là
dans ses flancs.
L'Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le
vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui
de qui la tête au Ciel était voisine
Et dont les pieds
touchaient à l'Empire des Morts.
Jean de La Fontaine
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