Le sage pense toujours à ce que vaut la vie et non à ce qu’elle dure.
(Sénèque)
Je suis à l’âge où l’on fait des bilans, où l’on se demande ce qu’on a fait de sa vie, si elle a été bien ou mal vécue : "La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit", nous dit la vieille servante à la fin du roman de Maupassant Une vie. Des philosophes moralistes comme le Latin Sénèque ou le Chinois Lie Tseu nous le rappellent aussi.
Cet apologue de Lie Tseu rapporté par un conteur de notre temps est significatif ; on peut en tirer de quoi se réjouir de ce qui nous arrive, car un malheur peut avoir sa face cachée. Je vous le soumets et vous en souhaite bonne lecture :
"Lie Tseu ne raconte-t-il pas cette fable : un homme n’a qu’un cheval. Or, un matin, le cheval se sauve, et c’est un grand malheur pour l’homme. Or, le soir, le cheval revient avec vingt autres chevaux sauvages, et c’est un grand bonheur pour l’homme. Le lendemain, le fils de l’homme monte le cheval le plus sauvage, tombe et se casse la jambe, et c’est un grand malheur pour l’homme. Or, le jour même, la guerre est déclarée, mais du fait de son infirmité le fils de l’homme n’est pas recruté, et c’est un grand bonheur pour l’homme" (Jean-Benoît Thirion, Contes de l’échiquier, Plein chant, 1988).
J’ai
eu mes malheurs comme tout le monde mais, sans les oublier, je mets
en lumière tous les petits bonheurs qui me sont arrivés aussi, et je ne
m’en porte que mieux. Mon amie Odile, dont les funérailles ont été
célébrées jeudi dernier, souhaitait qu’on pense à elle d’une
manière joyeuse, qu’on oublie sa mort pour ne penser qu’à sa
belle vie, pour se souvenir
de
son regard resté lumineux et malicieux et des Fables
de La Fontaine qu’elle relisait sans cesse. Elle m’a fait
connaître
Le curé et le
mort
qui déclenchait en elle un rire cristallin irrésistible, et
qu’elle avait rebaptisé Le
curé et son
mort.
gravure de Grandville
Le curé et le mort
Un
mort s’en allait tristement
S’emparer de son dernier
gîte ;
Un Curé s’en allait gaiement
Enterrer ce
mort au plus vite.
Notre défunt était en carrosse porté,
Bien
et dûment empaqueté,
Et vêtu d’une robe, hélas !
qu’on nomme bière,
Robe d’hiver, robe d’été,
Que
les morts ne dépouillent guère.
Le Pasteur était à côté,
Et
récitait à l’ordinaire
Maintes dévotes oraisons,
Et
des psaumes et des leçons,
Et des versets et des
répons :
Monsieur le Mort, laissez-nous faire,
On
vous en donnera de toutes les façons ;
Il ne s’agit que
du salaire.
Messire Jean Chouart couvait des yeux son
mort,
Comme si l’on eût dû lui ravir ce trésor,
Et des
regards semblait lui dire :
Monsieur le Mort, j’aurai de
vous
Tant en argent, et tant en cire,
Et tant en autres
menus coûts.
Il fondait là-dessus l’achat d’une
feuillette
Du meilleur vin des environs ;
Certaine
nièce assez propette
Et sa chambrière Pâquette
Devaient
voir des cotillons.
Sur cette agréable pensée
Un heurt
survient, adieu le char.
Voilà Messire Jean Chouart
Qui
du choc de son mort a la tête cassée :
Le Paroissien en
plomb entraîne son Pasteur ;
Notre Curé suit son
Seigneur ;
Tous deux s’en vont de compagnie.
Proprement
toute notre vie
Est le curé Chouart, qui sur son mort
comptait,
Et la fable du Pot au lait.
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