de
deux personnes qui s’aiment, soit d’amour, soit d’amitié, il y
en a toujours une qui doit donner son cœur plus que l’autre.
(George
Sand, La
petite Fadette,
Livre de poche, 1973)
Je
suis en plein dans « mes femmes écrivains », j’ai
emporté dans mon bagage Louise Michel, George Sand, Virginia Woolf,
Madame
de Lafayette.
Et, en fait, c’est surtout George Sand que j’aurai lu1
(études sur, nombreux titres sur ma liseuse, difficiles à trouver
dans le commerce) relu (notamment La
petite Fadette,
un de mes livres d’ado qui m’avait marqué). Et
je m’aperçois que si ni Louise ni Virginia ne prennent pour thème
la jalousie, par contre chez George, ça arrive assez souvent. Il n’y
a donc pas que Marcel Proust à avoir développé cette thématique
(lire par exemple La
prisonnière
et Albertine
disparue,
deux des volumes de À
la recherche du temps perdu qui
ne traitent que de ça, mais le thème est omniprésent dans toute la
série).
Rappelons
ce que raconte La
petite Fadette paru
en 1840 :
les Barbeau, des paysans cossus, ont eu deux jumeaux (dits
bessons en Berry),
Sylvinet et Landry. Si Landry est costaud, Sylvinet est fragile.
Quand ils ont quatorze ans, le père veut en placer un des deux dans
une ferme pour apprendre le métier. Les jumeaux tirent au sort et
c’est Landry qui s’en va. Sylvinet, tout chagrin, ne s’en
console pas. Il disparaît dans la nature. Landry, épouvanté, le
recherche avec l’aide d’une petite sauvageonne (Fanchon,
dite la petite Fadette)
et le retrouve, esseulé, au bord de la rivière. Il le raisonne et
Sylvinet rentre penaud à la maison. Mais Landry est tombé amoureux
de Fanchon Fadet, et Sylvinet, trop fusionnel avec son jumeau, est
victime d’une jalousie maladive :
il dépérit. C’est La petite Fadette qui le soigne et tente de le
guérir. Il finit par accepter le mariage son frère, mais sitôt
après il s’engage dans l’armée, espérant mourir au combat. Ce
beau roman campagnard nous montre un jumeau trop aimant son frère et
jaloux de ce qui lui arrive, qui finit par en tomber malade.
George
Sand reprend ce thème dans Jean
de La Roche,
un roman plus tardif (1859) et trop peu connu. Ce roman se passe dans
le Velay, où l’auteur vient de passer un mois. Le héros, Jean de
La Roche, est un jeune aristocrate taciturne, orphelin de père. Sa
mère l’envoie un temps à Paris, mais il y mène une vie dissipée
et revient penaud. Sa mère songe à le marier et à l’établir,
elle lui propose, une jeune Anglaise de seize ans, Miss Love (Amour),
qui s’est installée non loin de là avec son père, un savant, et
son frère Hope (Espoir), âgé de douze ans. Jean fait connaissance
de cette famille, s’insinue dans l’amitié du ,père et tombe
amoureux de la fille : si Love, malgré des réticences, finit
par l’agréer, Hope, tombe malade de langueur à l’idée de
perdre sa sœur. Je n’en dis pas plus, mais l’étude de la
jalousie est ici plus poussée encore que dans le roman précédent.
Il
se trouve que la jalousie est un sentiment qui ne m’a jamais
effleuré, et qu’en général, ça ne m’enthousiasme pas de la
voir devenir un thème principal dans un roman, une pièce de théâtre
ou un film. Les deux titres de Proust cités plus haut sont les
parties de l’œuvre qui m’ont le moins intéressé. Mais j’admets
cependant que, quand on évoque l’amour (et même l’amitié), il
est difficile d’y échapper, tant ce sentiment est fréquent dans
la société, souvent
mêlé
d’envie, de
rancœur et parfois de haine. Donc difficile de ne pas l’évoquer
quand on écrit sur l’amour, qui est le thème général de presque
tous les romans de George Sand, romans sentimentaux par excellence.
L’amour possessif ou exclusif (fréquent chez les jumeaux) est une
passion qui peut conduire à la mort.
Je
viens de relire également La
princesse de Clèves,
mon roman préféré (septième fois que je le lis, seul en théâtre,
Hamlet
a eu l’heur d’autant me plaire et d’être aussi lu sept
fois), et Le prince de Clèves meurt littéralement de jalousie, une
jalousie d’ailleurs mal placée, parce qu’il croit être trompé
sur les apparences d’un faux rapport et ne l’est pas, mais
même
sans
être trompé physiquement, il l’est moralement puisqu’il
se
trouve
que sa jeune femme lui a avoué qu’elle était
amoureuse d’un autre homme
(la scène de l’aveu est une des plus célèbres de la littérature
française) et
qu’il subodore que c’est du duc de Nemours, le bellâtre de la
Cour du Roi. Mais
je reparlerai de ce roman une autre fois, et
d’ailleurs, il y a bien d’autres thématiques dans ce livre.
Aimez
si ça vous dit, mais ne soyez pas jaloux, ça ne fait pas aucun bien !
Sur
ce, je vais partir voir le Carnaval à Basse-Terre ce soir.
1 Je
la mets au masculin, puisque aussi bien, dans sa correspondance,
quand elle parle d’elle, c’est toujours au masculin.