jeudi 16 septembre 2010

16 septembre 2010 : manque de courage



Il est facile d'oublier comment se forment l'inégalité et l'étiolement, facile d'oublier que nous y contribuons.
(Eddy L. Harris, Harlem)


Petite scène, tout à l'heure, vers midi. Je descends acheter le pain et le journal. En face de la Maison de la presse, assis adossé à une murette, un homme, ses sacs et son chien. L'air fatigué de celui qui passe sa vie dehors. Devant lui, trois policiers, deux femmes et un homme, en train de le houspiller : « Tu vas voir, ton chien, on va le piquer, et on n'en parlera plus ! » Il se tait. Les insultes fusent, à la mesure de son silence, comme si ce que disaient les policiers ne l'atteignaient pas, comme s'il était maintenant au-dessus de tout ça, comme quelqu'un qui sait que, s'il réplique, il va être embarqué, et qui sait ce que deviendra son chien, son compagnon, son unique ami.
Et moi, en face, avec d'autres personnes, indigné du comportement de la police. Je n'ai pas assisté au début de la scène. Peut-être en faisant la manche, le SDF a-t-il gueulé contre les passants qui ne donnent rien, ou ceux qui ne donnent que des piécettes, peut-être le chien a-t-il inquiété l'un ou l'autre des passants assez nombreux sur ce passage, peut-être un commerçant ou un autre a-t-il appelé la police ? Peut-être... Est-ce une raison pour que les agents de la force publique insultent un homme à terre, un homme à genoux, un homme déjà écrasé par le destin ? Le tutoient, lui manquent complètement de considération. Et avec une violence telle que les spectateurs dont j'étais, sont restés glacés et muets, n'ayant pas le courage de protester. Oui, dans notre pays, les droits de l'homme sont bafoués, c'est indéniable.
Et voilà comme je découvre que je suis peu courageux. Peur d'être confronté à cette police toute puissante, qui se serait probablement retournée comme moi, si j'avais émis ne serait-ce qu'un modeste : « Mais laissez-le tranquille ! Et de quel droit le tutoyez-vous ? » Oui, je l'avoue, je suis lâche, je n'ai pas la capacité de répartie (mais visiblement je n'étais pas le seul) capable de clouer le bec à ces pandores trop heureux d'exhiber leur force. J'étais d'ailleurs descendu sans mes papiers d'identité, car un simple porte-monnaie suffit pour les achats que je me proposais de faire. Je n'ai pas la force d'âme d'un Eddy Harris racontant dans Harlem comment il a mis à la raison un jeune homme violent, simplement en lui parlant, en lui montrant qu'il avait le choix, que sa violence ne menait à rien. Je reparlerai prochainement, et longuement, de ce livre extraordinaire.
Oui, les policiers ont le choix de s'exprimer autrement. D'avoir une attitude noble, digne de leur fonction. S'ils ont le même type de comportement avec les jeunes des banlieues, je ne suis pas étonné qu'on leur lance des cailloux, voire qu'on leur tire dessus. Qui éduquera ces jeunes si nos policiers sont aussi mal embouchés ? Et, par notre silence (après tout, pas si éloigné du silence de ceux qui toléraient que l'État français impose le port de l'étoile jaune et qui voyaient sans protester les rafles de Juifs pendant la guerre), ne nous montrons-nous pas nous-mêmes de bien piètres humains ? J'ai honte, ce jour.


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