Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques
(Victor Hugo, Booz endormi)
Jour de pèlerinage hier à Vieux-Habitants, Bouillante, Basse-Terre et Saint-Claude.
Repas sur la plage de Rocroy avec les cousins d'Yvon. J'ai ensuite mis mes pas sur mes pas anciens, remonté à Basse-Terre la rue qui menait à la Bibliothèque départementale, traversé la Préfecture, descendu au centre ville pour découvrir le nouveau bâtiment de la Médiathèque caraïbe, nom actuel de la bibliothèque. Superbement installée. Revu avec plaisir quatre anciennes collègues, trois guadeloupéennes et une métro, restée définitivement ici. Déambulé dans le centre ville, revu la librairie de Mlle Lacroix, près de la cathédrale, où Claire et Gilbert Laumord avaient donné un spectacle de marionnettes... Recherché en vain la salle de musculation où j'ai commencé à essayer de développer avantageusement mes formes (hum ! rions un peu). Découvert la nouvelle Médiathèque intercommunale, qui remplace fort avantageusement l'ancienne bibliothèque municipale. Là aussi, un espace informatique impressionnant !
Et puis, envie de remonter à Saint-Claude, de revoir la rue Gaston Ramassamy et notre logement, la clinique où Mathieu est né... Et aussi, puisque c'était tout près, j'ai rendu visite à Mlle Lacroix, âgée de quatre-vingt-huit ans, ravie de ma visite, malgré un début d'Alzheimer qui lui a fait poser plusieurs fois les mêmes questions. Et comme je lui disais qu'il fallait accepter, la vieille dame me répond de sa voix inchangée : "Accepter, non, c'est se résigner, c'est négatif. Il faut consentir, ça c'est positif." Et son regard se met à pétiller, tandis qu'elle m'offre un café presque imbuvable.
Elle a tout à fait raison, consentir est un beau mot. Quand on dit "je consens" en amour, ça veut bien dire qu'on se livre tout entier, qu'on se délivre de ses peurs, de ses inhibitions, de ses réticences. Avec la maladie, le vieillissement et la mort, c'est à peine différent. On les vit cependant mieux si effectivement on y consent. Montaigne et Sénèque, que je lis en ce moment (merci, Loïc, de me les avoir conseillés, ce sont de précieux guides de voyage) ne disent pas autre chose.
Puis, la quittant, j'aperçois au-dessus de Matouba un superbe nuage champignonneux, presque noir, sur la montagne. "Enfin, la pluie, chouette", me dis-je, en pensant à Frédéric, le fils d'Yvon, agriculteur, et qui la demande depuis deux mois de sécheresse ! Je reprends l'auto et rentre. Nous, Yvon, sa femme, les cousins et moi, sommes invités justement à dîner chez Frédéric. Six personnes qui s'ajoutent à la tablée ordinaire, car Frédéric et Mathilde ont trois enfants, Gallim, Naam et Louna. Prénoms énigmatiques, mais en fin de compte très beaux. Et tandis que nous prenons le ti-punch, "il neige", dit Gallim. Il fait nuit depuis déjà un moment. Frédéric projette la clarté d'une torche dehors, et effectivement, nous apercevons des fins flocons.
sous ma fenêtre tout est couvert de cendre
Il s'agit des cendres du volcan de Montserrat, entré en éruption. Le nuage noir n'était nullement un nuage de pluie, mais un nuage de cendres. Et ce matin, grand nettoyage, tout est gris, les arbres, les bananiers, les terrasses, les routes, les trottoirs... Oui, la nature a de ces surprises, et ici, il faut s'attendre à tout.
Mais je parlais hier de neige et de l'embellie du cœur. Je voudrais souligner ce qui me frappe chez Yvon, et tant pis si ça le fait rougir, au cas où par hasard il tomberait sur ce texte. Je trouve chez lui, comme chez sa femme, comme chez son fils, cette intelligence du cœur devenue rare aujourd'hui. Sauf chez ceux qui sont éloignés des idées de possession, qui savent refuser l'excès de richesses, maîtriser le trop-plein de désirs. Son simple mot téléphoné, au lendemain du décès de Claire : "Jean-Pierre, tu viens quand tu veux !", venait de cette simplicité, de ce naturel, de cette amitié (si peu évidente envers un ancien directeur ! il ne me viendrait certes pas à l'esprit d'inviter mes anciennes directrices d'Angers, d'Amiens et de Poitiers !!!) qui sont issus du cœur. Ce que je retrouve aussi chez un Giono et sa devise j'ai ce que j'ai donné. Yvon donne, et il reçoit au centuple. J'imagine, j'espère, que j'ai dû donner un peu, ici aussi, pour recevoir autant.
Et, pour en rester à Giono, laissons-lui le mot de la fin : "On n'a pas fini de m'entendre parler du bonheur qui est le seul but raisonnable de l'existence."
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