lundi 13 juillet 2009

9 juillet 2009 : adieux à la mère

Aujourd’hui, maman est morte.
(Albert Camus, L’étranger)

Comment parler de toi, Maman ?
Tu as été toute ta vie en grande partie enfermée, recluse d’abord par la maladie dans des cliniques et sanatoriums, puis repliée à l’intérieur par les soins apportés à une famille très nombreuse, que suivirent les accompagnements de fin de vie de ta propre mère et de ton mari. Tu as vécu tellement effacée, dans une sorte d’économie de l’âme.
Mais ton âme était bien là, grande ouverte dans l’intention qui te guidait sur les sentiers du cœur, dans le cheminement des rencontres, dans la saveur précieuse de la lenteur des jours, dans le fatalisme un brin railleur qui te caractérisait.
Le seul signe de supériorité que tu reconnaissais était la bonté.
Tu n’as jamais cherché à nous garder auprès de toi, mais, acceptant notre éloignement, tu nous as donné la force exceptionnelle qui était la tienne : prendre soin de soi, chacun d’entre nous, sans oublier les autres, voilà ce que tu voulais…
Derrière ta tenace vitalité qui t’avait permis de vaincre la tuberculose, on reconnaissait tes qualités et tes défauts : un mélange de scepticisme et de courage, d’esprit frondeur et de patiente soumission, un désintéressement absolu, un solide sens moral, un attachement à la vie et au travail qui t’éloignait des plaisirs factices, une honnêteté intransigeante, le refus de la futilité et de la fâcherie, l’incapacité de céder au désespoir, l’attention portée à ceux qui croisaient ton chemin, une certaine apathie aussi…
Et toi qui prétendais n’avoir pas eu d’adolescence, je t’ai toujours connue comme marchant sur un fil, telle une funambule, ne se satisfaisant pas tout à fait de ce monde d’adultes, de sa violence et de son absurdité. Toujours à la recherche du spirituel, tu as gardé toute ta vie une mystérieuse et transparente innocence, celle de ceux qui ont frôlé la mort dans leur jeunesse.
Tu avais aussi cette fierté populaire de ceux qui ne se croient pas le centre du monde, mais gardent les yeux ouverts et ne veulent pas déchoir. On pressentait en toi une autorité immanente, née de rien, sinon de ta volonté et de ta foi en la vie. Et tu paraissais d’autant plus grande que tu te faisais plus humble.
Avec ta mémoire exceptionnelle, chacune de tes paroles, associée à chacun de tes gestes et de tes regards, nous entrouvrait tout grand le livre de ta vie et nous envahissait d’une noble tendresse, et nous remplissait de joie intérieure. De mot en mot, ton esprit virevoltait, non sans nous laisser entrevoir des abîmes de silence.
Tu savais accepter la souffrance, les fêlures de la vie, avec le même calme, la même paix, que tu accueillais la joie et les minuscules plaisirs de la vie. Et je crois pouvoir dire que, ignorant la haine, tu n’as jamais fait la grève de la vie.
Tu as su nous montrer la conscience de ce que tu étais, et bon gré, mal gré, nous nous sommes modelés sur toi, en suivant chacun notre chemin, différent, très différent du tien.
Et, c’est sûr, tu peux être fière de ta nombreuse lignée et te dire : « Voilà mon plus beau travail, les âmes que j’ai contribué à former ! »

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