samedi 24 juin 2023

24 juin 2023 : la biche au bois dormant (rêve)

 

Son visage s’est creusé, sa peau n’a plus la même couleur, son corps s’est amoindri, son équilibre semble plus précaire.

(Delphine de Vigan, Les gratitudes, J.C. Lattès, 2019)



Ben voilà, je suis rentré. Très affaibli, car une dizaine de jours sans manger ni boire (j’avais cependant une perfusion d’hydratation), ça laisse des traces : amaigrissement, tension devenue très basse, musculature à refaire, reprise de la nourriture sous surveillance, car on ne doit pas fatiguer l’estomac qui a perdu l’habitude, manger lentement en mâchant… Les premiers jours, à la clinique, j’étais fiévreux, je dormais mal, j’avais la tension élevée. Mes nuits étaient ponctuées de rêves hallucinatoires pendant lesquels j’écrivais des textes dans ma tête, plus ou moins autobiographiques, dont ce rêve merveilleux où je m’évadais de cette triste chambre et que j’ai essayé de me remémorer pendant le jour. Mais j’avais pas emporté de carnets, et il m’a fallu un certain temps avant que je m’y mette, une fois qu’une de mes sœurs m’eût apporté carnet et stylo.

Évidemment, ce qui me paraissait flamboyant dans mon hallucination se révéla plat et nettement moins beau une fois couché sur le papier. Enfin, j’ai tenté de le transcrire tel que vécu et il faut me pardonner mes maladresses. Je le dédie ici pour le quatorzième anniversaire de la mort de Claire qui a lieu ce 24 juin.

 

 

La biche au bois dormant

Dans ma chambre d’hôpital, je dors peu la nuit, beaucoup le jour…

Cette nuit-là, j’ai eu la visite de mon cher amour, de mon bel amour, de mon oiseau trembleur, de ma rose des sables, de mon étoile au ciel faisant un doux frou-frou. J’étais éveillé ; je n’étais plus dans mon lit, mais dans le petit bois qui borde le lac de Bordeaux. Le clair de lune était parfait, tu étais là, tu m’attendais. Et j’avais les mains brûlantes à l’idée de ta voix mélodieuse, de tes caresses revenues.

Nous étions seuls, le vent faisait frissonner les roseaux, les buissons de mûriers et derrière, le menu flot. Tu as promené tes mains sur mon front, sur mes sourcils, sur mes oreilles et sur ma bouche, comme autrefois. J’ai frémi aussi, à la fois de bonheur et de fraîcheur, car je n’avais que ma chemise d’hôpital pour me couvrir ; nous nous sommes étendus dans un creux de sable entre des pins.

J’ai posé ma tête sur ton ventre et je me suis endormi, bercé par la petite chanson Dedans ma chaumière que tu chantais pour moi de ton souffle merveilleux.

Au réveil, j’ai senti la douceur et la chaleur de ton ventre rebondi. Je me suis redressé : ma tête reposait sur le ventre d’une biche ! Elle s’éveilla aussi, se dressa d’un bond sur ses pattes, s’ébroua et s’envola dans les airs au-dessus du lac, laissant une traînée d’étoile filante dans l’aube qui se levait. Et je savais que c’était toi !

J’ai fermé les yeux en frissonnant. Quand je les ai rouverts, ce n’était plus toi, ce n’était plus le petit bois, ce n'était plus le lac, ce n’était plus la biche ; mes yeux avaient retrouvé ma tristounette chambre d’hôpital.

Mais il me reste le souvenir de cette nuit étrange, de ce rêve mystérieux, de ce réveil hallucinant, de l’odeur fauve de ton ventre de biche et de ton envol magnifique dans le ciel renaissant.

Maintenant, tu n’es plus seulement mon bel amour, mon cher amour, mon oiseau trembleur, ma rose des sables, mon étoile au ciel faisant un doux frou-frou… Tu as pris la forme de cette biche que j’espère bientôt retrouver dans un halo doré, tu es aussi, tu es surtout, ma biche au bois dormant, et il me tarde de te dire quand je te reverrai : « Est-ce toi, ma princesse, tu t’es bien fait attendre ? »

 


 

 

1 commentaire:

Berthelot Vincent a dit…

Bonjour Jean-Pierre
Heureux de retrouver ton blog. Je m'étais inquiété d'autant que je t'avais écrit et laissé aux bons soins de Kavhed, un facteur humain iranien et à vélo, un petit message certes bien court mais amical.
Kached ne t'a sans doute pas trouvé à Bordeaux ! il est reparti sur la route vers l'Alsace où il habite.
Je te souhaite de te rétablir, ça n'était encore pas l'heure de retrouver ta biche .
Cyclamicalement
Vincent le Facteur Humain