La condition humaine entière se résume ainsi : ça pourrait être pire.
(Amélie Nothomb, Soif, Albin Michel, 2019
Quelques lectures.
J’avais depuis longtemps dans ma bibliothèque Un homme sur dix doit mourir, du Norvégien Per Hansson (éd. L’élan, 1991) qui nous livre ici un roman d'une densité exceptionnelle sur les hommes de la mer, tels que ceux que j’ai pu rencontrer dans mes différents voyages en cargo. Tiré de longues conversations avec des marins ayant échappé aux attaques de sous-marins allemands destinées à empêcher l'approvisionnement de la Grande-Bretagne en armes et produits de première nécessité arrivant des USA, c'est un roman-reportage, un peu à la manière de Steinbeck.
1940 : le cargo norvégien Anna fait partie des convois de bateaux faisant la route entre New York et Liverpool pour ravitailler l’Angleterre en armes de guerre, en carburants et en produits alimentaires. Tout le monde à bord de l’Anna (le Commandant, la Chauffeur, le Bosco, le Second, le Premier lieutenant, le Charpentier, le Chef, le Graisseur, le Matelot, le Gamin et les autres, dont on ne saura jamais le nom, seulement la fonction) est conscient du danger, d'autant plus que "Anna" contient des armes et des produits hautement explosifs. 36 bateaux partent de New York, avec un escorteur et des navires les escortant pour prévenir les possibles attaques de sous-marins, 16 arriveront seulement à Liverpool. On va suivre ces marins pendant la traversée de l’Atlantique, l’escale à Liverpool, le retour à New York, puis l’escale à New York.
La route est longue, l'angoisse est là, Anna va-t-il atteindre Liverpool ? C'est un récit collectif sur une communauté réduite d'hommes qui se connaissent tous et savent qu'ils participent à l'effort de guerre contre les nazis. C'est aussi fort que Les hommes de l'émeraude du suédois Josef Kjellgren. Un de ces romans qui vous marquent profondément, un vibrant hommage à ceux dont on parle peu ou pas du tout ("les médailles ne sont pas toujours épinglées sur les poitrines des plus méritants"), un roman de guerre pas comme les autres. Il y a de l'émotion, de la solidarité, de la dureté, de la tendresse aussi entre ces hommes de marine marchande qui préfèrent bien sûr la paix, mais qui se trouvent contraints de vivre les affres de la guerre, les attaques sournoises des sous-marins allemands et la peur, auxquels s'ajoutent les tempêtes, les nuits noires, l'éloignement de la vie familiale pour certains. Et quand ils touchent terre, ils s'enivrent pour tenter d'oublier… Un livre magistral que je possédais depuis trente ans, je ne sais pas pourquoi j’ai tant tardé à le lire, j’aurais beaucoup appris sur la marine marchande et les hommes d’équipage avant mes voyages.
Le
livre de poèmes d’Estelle Fenzy, Eldorado
Lampedusa
(Pourquoi viens-tu si tard, 2021), paru en édition trilingue
français/arabe (traduit dans cette langue par mon amie de Poitiers
Rabiha Alnashi) /italien, fait mieux comprendre par la poésie le
drame des migrants : "Nous
/ qui ne sommes / rien / pour le pays quitté / rien / pour le pays /
rêvé".
À nous de s’employer à faire qu’ils deviennent quelqu’un ! Et toujours la mer tragique...
Quant au récit d’Éric Fottorino, Dix-sept ans (Gallimard, 2018), il poursuit la quête des origines de l’auteur. Après son père adoptif, reconnaissant le bâtard en épousant la mère (L’homme qui m’aimait tout bas, comme fit autrefois mon oncle Maurice, ce qui me fit apprécier davantage apprécier ce père), puis le père biologique qu’il retrouva tardivement (Questions à mon père), il s’attaque ici à sa mère. Lina a dix-sept ans quand elle accouche à Nice d’Éric. Sa propre mère l’y a emmenée là pour qu’on ne voit pas la honte d’une naissance hors mariage. Et, au bout de trois jours, le bébé est mis en nourrice et la mère séparée de son fils. Elle devra se battre pour le récupérer. Alors qu’il va atteindre 58 ans, le narrateur part à Nice sur les traces de cette naissance incongrue et finit par y amener sa mère. C’est émouvant, très beau, une véritable histoire d’amour filial et d’amour tout court, un hymne à la mère. Magnifique.
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