Pour
Gandhi, la véritable opposition ne se trouve pas entre l'Occident et
l'Orient, mais plutôt entre une civilisation de la vitesse, de la
machine, de l'accumulation des puissances, et une autre de la
transmission, de la prière et du travail manuel.
(Frédéric
Gros, Marcher, une philosophie,
Carnets nord, 2009)
land art accroché aux arbres au-dessus du canal
Tout
le monde sait que je circule principalement à vélo dans Bordeaux ;
j'emprunte donc, outre les voies cyclables et les rues normales, les
voies réservées aux bus et taxis et accessibles aux vélos. Je suis
derrière un bus, incommodé par l'abondance de ses gaz, et qu'est-ce que je
lis, en haut, sur la vitre arrière du mastodonte : JE ROULE
PROPRE, ET VOUS ? Ben, mon cochon, si c'est ça que t'appelles
rouler propre ! Je regrette, mais la seule énergie de
circulation qui soit propre, c'est l'énergie musculaire, de l'homme
ou des animaux, ou celle du vent pour les bateaux à voile. Tout le
reste n'est que foutaise et poudre aux yeux.
J'ai
entendu à plusieurs reprises, pendant mon parcours de cet été,
Maman Ségolène qui nous promettait des lendemains qui chantent avec
sa fameuse transition énergétique. Et de promouvoir en
particulier les véhicules électriques, soi-disant propres.
Ah oui ? Et comment fonctionnent-ils ? Sinon avec le
nucléaire, et tous les inconvénients de cette énergie :
mainmise sur des pays tiers (et guerres potentielles) pour le minerai
d'uranium, déchets radioactifs dont on ne sait que faire,
vieillissement et délabrement des centrales, etc.
La
vraie transition, Madame la Ministre, ce serait de consommer moins
d'énergie polluante, de n'utiliser un véhicule à moteur que quand
on a réellement besoin, de ne pas s'encombrer d'innombrables
appareils de haute technologie (il y en a de plus en plus, et souvent
d'une nécessité douteuse) qui nécessitent toujours plus d'énergie,
ce serait de cesser de chanter les mérites de la croissance infinie
qui ne peut conduire qu'à une catastrophe : car, rappelons-le,
le monde est fini, lui, et nous sommes, hélas, de plus en plus
nombreux.
le long du canal latéral à la Garonne
En
tout cas, j'ai pu expérimenter cet été, pendant trois semaines, ma
petite transition énergétique personnelle : j'ai utilisé mon
vélo, et le train (qui est un moindre mal par rapport à la voiture)
pour raccourcir certaines étapes. Tiens, parlons-en, du train. Des
TER, précisément, ces trains hautement subventionnés par les
régions et délaissés par la SNCF. Ce n'est certes pas eux qui vont
encourager la pratique du train + vélo. Que ce soit de Bordeaux à
Marmande, de Carcassonne à Narbonne, de Gaillac à
Villefranche-de-Rouergue, de Capdenac à Rocamadour, il y avait trop
peu d'emplacements pour entreposer les vélos. Les rames étaient
trop petites pour l'abondance des voyageurs encombrés de valises –
ces dernières obstruaient les emplacements vélo – et des vélos
de cyclistes. J'ai dû à deux reprises voyager debout en tenant mon
vélo et gênant la sortie, suscitant la hargne des voyageurs qui
occupaient les emplacements ad hoc, si je leur demandais de faire de
la place ! Je suis resté zen, cependant...
Van Gogh en Dordogne
On se plaint des embouteillages monstrueux sur les routes. Mais est-ce encourager à prendre le train que de prévoir de chiches rames ultra-courtes (exactement les mêmes que pendant la basse saison, où ces mêmes trains sont presque à vide) pendant ces périodes estivales ? Enfin, ne nous plaignons pas, au moins ai-je fait de belles rencontres. De Bordeaux à La Réole, deux femmes espagnoles avec deux garçons pré-pubères qui allaient emprunter le même chemin que moi jusqu'à Sète : bien sûr, leurs quatre vélos ne rentraient pas. Je les ai aidés, on a discuté. À Gaillac, j'ai trouvé dans le train un jeune couple avec bébé (à la mamelle) qui allaient de Toulouse à Clermont-Ferrand avec leurs vélos et la remorque, pour voir la famille et faire un périple du côté du Puy-en-Velay : beaux exemples de transition énergétique.
musiciens à Rocamadour
Et
j'ai aussi rencontré sur les voies vertes (canal latéral à la
Garonne, canal du Midi, voies Bédarieux-Mazamet et Castres-Albi,
seule étape où j'ai essuyé la pluie, ces deux dernières occupant l'emplacement d'anciennes voies ferrées
désaffectées) des gens ordinaires ou originaux, pas pressés, à pied (marcheurs
de Compostelle près de Moissac par exemple) ou à vélo, dont un
groupe d'enfants avec moniteurs, que j'ai aidés à réparer une roue
crevée lors de ma halte à Courniou (ils n'avaient pas la clé
servant à démonter la roue, moi si). Mais j'ai trouvé aussi des
petites routes bien sympathiques, notamment celles de la vallée de
la Diège, dans l'Aveyron, ou de la vallée de l'Elle en Dordogne.
Au Cheval blanc
J'ai
été formidablement accueilli par la famille (sœur et beau-frère à
Beauzelle, cousins à Brandonnet, frère à Nailhac), et chez des
amis (Albefeuille-Lagarde : Béatrice, ancienne de ma troupe de
théâtre poitevine ; Sète : Myriam et ses trois garçons,
Sacha, Simon et Elyam, que j'avais rencontrés au Maroc en 2010 ;
Bédarieux : Jean-Yves, un vieil ami végétarien des années 70). Je
veux les remercier, car j'ai aussi circulé pour les voir. Le reste
des étapes, je suis allé à l'hôtel ou en chambre d'hôte (mention
spéciale pour celle de Mazamet, hôtesse très accueillante du
Cheval blanc, et jolie chambre que je recommande).
À
Bergerac, ma dernière étape, en me baladant, je passe à côté
d'une librairie : un jeune écrivain, Fabien Pesty, était là
pour une signature. J'entre, je regarde, c'était un recueil de
nouvelles, j'achète La cour des innocents (éd. Paul &
Mike). Très belle découverte également. Des nouvelles très
contemporaines, pleines de gens déconcertés, parfois déjantés.
Une écriture à la fois chaude et inventive, attentive aux jeux de
mots et au jeu entre les mots. Beaucoup d'humour, souvent assez noir,
un ton. Un auteur à suivre ? Ça me changeait de ma liseuse,
sur laquelle j'avais lu pendant mon périple des auteurs populaires
du XIXe siècle (Ernest Capendu, Gustave Aimard), des classiques
québécois (Ernest Choquette, Joseph Marmette), russe (Nikolaï
Garine) ou franc-comtois (Georges Riat)...
Et
pendant que nous (piétons et cyclistes) participions à la
transition énergétique, le Tour de France tournait, avec sa cohorte
de voitures publicitaires, d'hélicoptères, de voitures et motos suiveuses, sa
débauche d'énergie pétrolière. À Mazamet, en attendant
l'ouverture de ma chambre d'hôte, je suis allé au café. La télé
projetait l'arrivée d'une étape de haute montagne dans les
Pyrénées. Un groupe de trois cyclo-randonneurs, moins chargés de
bagages que moi, est arrivé : ils faisaient une balade de huit
jours – seulement. Ils arrivaient comme moi de Bédarieux par la
voie verte. 45, 60, 79 ans ! Ils voient l'envolée finale de
Nibali, n'en croient pas leurs yeux, eux qui ont fait du 14 km/h de
moyenne au compteur (moi, ce fut plutôt du 11/12 sur ce parcours) :
« Putain, il a dû être sacrément piqué ! », dit
l'un. « Oui, et on l'apprendra plus tard, ils ont toujours un
peu d'avance sur les contrôles », dit le second. « Je
préfère ma petite moyenne », dit le troisième.
Et moi donc !
Et moi donc !
1 commentaire:
Enthousiasmant! Votre parcours fait envie.
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