Nul ne m'aime malgré moi, contre moi. Nul ne me traverse comme un écueil, condition de cet amour tant espéré et jamais rencontré.
(Alejandra Pizarnik, 11 novembre 1960, Journaux, 1959-1971)
Comme mes fidèles lecteurs le savent, je vais beaucoup au cinéma, la plupart du temps seul, de temps en temps avec un ou une amie. Bien que farouche supporteur des cinémas d'art et d'essai, je ne dédaigne pas pour autant les cinémas dits commerciaux, comme si les autres ne l'étaient pas ! Chacun sait que le cinéma, avant d'être un art, est d'abord une industrie, donc qui nécessité financement et recettes sonnantes et trébuchantes. Personne ne fait un film de cinéma pour soi, mais pour que des spectateurs aillent les voir. Et je suis bon public, il m'arrive même de voir des daubes comme on dit aujourd'hui (assez rarement toutefois, car je choisis tout de même les films que je vais voir !) ; autrefois on disait navets.
C'est ainsi que je viens de voir deux films grand public et qui ne s'en cachent pas ! Mais pour moi qui aime aussi bien le polar que les romans consacrés par l'histoire de la littérature, le théâtre amateur que celui mis en scène par Chéreau ou des metteurs en scène officiels (la semaine prochaine, si je sors en état de ma coloscopie, j'ai dans mon abonnement au Théâtre de Poitiers Les acteurs de bonne foi, de Marivaux, dirigé par Jean-Pierre Vincent) tout me semble bon, tant qu'on n'y perd pas complètement son temps. Et, en fait, il y a à grappiller partout. Toutes les rencontres sont bonnes si le cœur y est ! Et je crois avoir le cœur vaste pour apprécier bien des choses, bien des œuvres, et bien des êtres humains ! Y compris les plus petits, qui après tout sont plus proches de moi, non ?
Potiche, tout d'abord. François Ozon est un cinéaste que je suis depuis ses débuts (le sulfureux Sitcom), et que j'aime bien, car même quand il tourne du boulevard (Huit femmes précédemment), il arrive à en tirer une œuvre enjouée, plaisante, colorée, esthétique et qui, mine de rien, nous touche au cœur. Ici, nous suivons en 1977 Suzanne Pujol, femme du directeur d'une usine de parapluies (je ne sais pourquoi, j'ai pensé, à cause de Catherine Deneuve dans le rôle, et aussi de la couleur des images, aux Parapluies de Cherbourg), qui est une potiche : elle ne s'occupe que de la maison, et encore, de régenter les domestiques, mais n'a pas son mot à dire (un mari, odieux, joué par Fabrice Lucchini, l'en empêche) sur quoi que ce soit. Une grève éclatant dans l'usine, le mari fait une crise cardiaque et doit être longuement hospitalisé.
Suzanne va prendre les choses en mains, et s'en tirer fort bien, au grand dam du mari qui, à son retour, mis en minorité, ne peut pas recupérer tout de suite la direction, et devient à son tour une potiche (oh ! la séquence où sa femme lui dit de rentrer à la maison, de s'installer dans sa chambre pour regarder la télévision, et le voici éberlué, plongé devant Aujourd'hui Madame). Mine de rien, et sous des allures de boulevard, le film donne une idée assez juste de la libération de la femme dans les années 70, car Suzanne non seulement change et se transforme, mais autour d'elle, les autres aussi changent : son fils, sa fille (oh, celle-là, pas tout à fait, mais je ne veux pas dévoiler la fin du film), la secrétaire de son mari, le député-maire communiste même. « Et aujourd'hui encore la vie de quasiment toutes les femmes de mon âge me paraît absurde : aimer ou attendre l'amour, qui se cristallise dans un foyer, des enfants, etc. », confiait Alejandra Pizarnik dans son journal le 3 janvier 1960. Eh bien, Suzanne Pujol décide de sortir de ce cercle infernal et frustrant. Et d'abord, parce qu'elle sait se faire aimer de tous : il n'y a guère que son aveugle de mari, le dépossédé devenu potiche, pour ne pas s'en rendre compte. Jusqu'à ce qu'il prenne sa revanche. Mais Suzanne, désormais libre (elle songe au divorce), a d'autres tours dans son sac. Et oui, elle peut chanter en fin de compte la chanson de Jean Ferrat, C'est beau la vie.
Les protagonistes du film de Guillaume Canet, Les petits mouchoirs, eux, sont de notre époque. Trente ans ont passé depuis Potiche. Mais ils sont englués presque tous par leurs problèmes sentimentaux et sexuels. Car la liberté, c'est bien beau, surtout quand on est suffisamment riche (c'est leur cas, en vacances à Arcachon dans une maison spacieuse, ils font du bateau et des sports nautiques), mais ça ne suffit pas. Là encore, Alejandra Pizarnik (je vous recommande d'ores et déjà son livre Journaux 1959-1971, paru chez José Corti, 22 €, dont je parlerai longuement dès que je l'aurai fini) pointait du doigt ce qui ne va pas : « En fait, ça serait beaucoup mieux si le sexe n'existait pas. Sans désirs, sans élans, flotter, glisser, sans faim ni soif. Le ventre maternel », écrivait-elle le 5 octobre 1959. Voilà, tout est dit. Nos héros (c'est un film choral, comme on dit aujourd'hui, avec environ huit personnages principaux) n'arrivent pas à vivre correctement leurs sentiments : Antoine est suspendu à son téléphone portable et essaie d'interpréter les sms sibyllins de sa petite amie restée à Paris, Vincent vient d'avouer à Max qu'il est amoureux de lui (bien qu'ils soient mariés tous deux), ce qui a choqué très violemment ce dernier, Éric est un macho qui s'est fait larguer par son amie (pour une fois qu'il aimait !), Marie est malheureuse, son grand amour Ludo vient d'avoir un grave accident et est dans le coma, Isabelle et Valérie ont du mal à comprendre leurs époux respectifs englués dans le non-dit de l'attirance et de l'amour interdit... On ne peut pas aimer malgré ni contre, et il est rare d'être traversé par l'amour comme un écueil, comme dit Alejandra dans la citation placée en exergue. Aussi sont-ils tous peu ou prou malheureux, malgré les sourires et rires des vacances qui sonnent largement faux.
Bref, leurs vacances tournent quelque peu au cauchemar teinté de culpabilité, car ils ont décidé de venir quand même, au lieu de rester au chevet de Ludo, leur ami à tous. Comme s'ils étaient des sans cœur. Et la crise éclate lorsque, le mot pédé étant arrivé dans la conversation, et que le jeune Elliott, six ans, demande innocemment « ça veut dire quoi, pédé ? », Max lance méchamment : « Demande à ton père ce que c'est qu'un pédé », ce qui jette un froid dans la réunion d'amis. Vincent ne se laisse pas démonter, fait venir son fils près de lui et lui explique : « pédé, c'est un gros mot pour dire homosexuel, c'est-à-dire un homme qui aime un homme. Y a rien de mal, c'est toujours de l'amour », et il va coucher les enfants, puis revient casser la gueule à Max. N'y aurait-il que cette scène, le film mériterait d'être vu. Ce n'est pas si fréquent en effet qu'on trouve une telle leçon de tolérance dans un opus grand public. Comme Potiche, Les petits mouchoirs sont parsemés de musique et de chanson. C'est sans doute pourquoi j'ai bien aimé ces deux films, bien qu'ils soient loin d'être des chefs-d'œuvre.
***
Et Michel Houellebecq a eu le Goncourt. Depuis le temps qu'il était dans la course ! Dieu me garde de cette chasse aux honneurs, aux prix et aux médailles ! Je viens d'en obtenir un par inadvertance, ignorant que mon manuscrit allait concourir ! J'en suis fier quand même, rassurez-vous, je ne ferai pas le faux modeste. Mais enfin, il n'y a pas là de quoi fouetter un chat.
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