Il
n’y a pas de bons et de mauvais livres et franchement : mieux
vaut lire un mauvais livre que de ne pas lire du tout.
(Vincent
Monadé, Comme faire lire l’homme de votre vie,
Payot, 2017)
Les
vacances, c’est aussi se faire plaisir, même quand on est, comme
moi, en vacance perpétuelle, et renouer avec des plaisirs simples :
parler à un/e voisin/e et glaner les trésors dans le cœur des êtres humains,
marcher et flâner, regarder autour de soi, laisser passer son tour à
la caisse du supermarché au profit d’un/e plus vieux/vieille ou
plus handicapé/e, retrouver les plaisirs simples de l’enfance. Par exemple
jouer, chanter, relire les fables de La Fontaine (et les réapprendre), rire et se moquer de soi (du
vieillissement, des petites (ou grandes) douleurs, du
sommeil incertain), se remettre à faire ce qu’on aimait. Pour ma
part, donc lire encore et toujours, et aussi relire.
le matin, l'ombre de ma tour s'étend jusque sur la barre en face !
Et
puis, hier dimanche, comme j’étais allé chez mon frère samedi,
je me suis dit : "Mon vieux Jipé, t’es devenu le roi de
la flemme, ça fait des plombes que tu n’as pas fait de crêpes, un
siècle que tu ne fais plus de confitures ! Et ta cuisine
ressemble de plus en plus à du réchauffé ou à du grignotage !"
Je me suis regardé dans le miroir, je me suis trouvé une sale
gueule, celle de celui qui, bientôt, passera plus de temps au lit
que debout (il est vrai que je relève d’une méchante sinusite), comme si je commençais à anticiper le temps du corbillard, temps qui pourtant arrivera bien assez tôt.
J’ai
retroussé les manches, préparé la pâte à crêpe, sorti les
fruits de saison (poires, pêches) que j’avais achetés en trop
grosse quantité, et qui allaient finir à la poubelle, les ai lavés,
épluchés, coupés en petits dés et hop, dans la bassine, à
mijoter, pendant que la pâte à crêpe reposait. Je les ai fait
cuire à feu doux, pas trop
longtemps pour ne pas perdre leur arôme, rajouté le sucre spécial
confiture et un peu de rhum blanc rapporté de Guadeloupe, et hop,
voilà mes confitures faites, pots retournés jusqu’à complet
refroidissement.
mes deux pots : on voit bien les poires dominantes
Je
me suis occupé des légumes (courgettes rapportées de Brocas,
carottes et patate douce bio, oignon, ail) et mis tout ça à
mijoter, pendant que je me lançais dans la confection des crêpes.
En allant faire les courses le matin (journal du dimanche, pain),
j’avais aperçu Huguette qui faisait sa promenade matinale (elle va
beaucoup mieux) et avais promis d’aller la voir dans l’après-midi
après ma sieste (toujours le lit !!!), pour papoter et lui apporter
un nouveau livre de Georges Bonnet, dont elle a fini les deux
merveilleux recueils de nouvelles parus au Temps qu’il fait. Je me
suis dit : "Je vais lui apporter aussi des crêpes."
Je n’avais pas fait beaucoup de pâte, et en une demi-heure, une
quinzaine de crêpes fumantes, sucrées et pliées en quatre gisaient
dans l’assiette. Curieusement, je n’en ai pas mangé une seule :
"Tu vieillis, mon pote", me suis-je dit. En général, le
plaisir des crêpes est effectivement d’en manger quelques-unes
toutes chaudes au fur et à mesure de leur cuisson. Ben, cette fois,
non !
On
approchait alors de midi, j’ai préparé une salade en entrée
(tomate, betterave, piment, ail), sorti des dos de cabillaud du
congélateur et installé le couvert à la salle à manger, comme si
j’avais un/e invité/e, alors qu’en temps normal, tout seul, je
mange sur un angle du plateau de la cuisine. Quand tout fut prêt,
j’ai installé le Concerto pour piano n° 5
de Beethoven et j’ai mis les pieds sous la table, étant à la fois
la maître d’hôtel, le serveur et le client. Eh bien, j’ai
trouvé tout bon, je me suis gardé un restant de salade et des
succulents légumes pour le soir, et j’ai fini par quelques crêpes
qui m’ont bien plu, comme si je les avais faites. J’ai tout rangé
comme il fallait, lancé le lave-vaisselle plein à craquer, car dès
qu’on commence à cuisiner, il se remplit vite, pas comme avec mes
repas vite faits...
le beau roman de mon ami Georges !
Après
la sieste, je suis monté chez Huguette (12ème) avec ma boîte de
crêpes et le roman de Georges Bonnet, Les yeux des chiens ont
toujours soif. Nous avons papoté pendant deux heures, elle m’a
demandé de lui raconter mon tour du lac Léman, puis quand je lui ai
dit que je repartais bientôt à Venise, si j’avais une anecdote à
lui raconter, j’ai signalé ma glissade dans un petit canal l’an
passé et mes chaussures neuves mouillées, et le grand fou-rire qui
m’avait pris sur le chemin du retour jusqu’à l’hôtel. Elle,
qui a beaucoup voyagé, regrette de ne plus pouvoir le faire. Comme
mon frère aîné, comme mes amis poètes de Poitiers, Georges et
Odile, condamnés au presque immobilisme. Vieillir peut être dur,
quand même...
Et
vers 17 h, je l’ai quittée pour aller voir à l’Utopia un autre
film japonais de Naruse, Nuages épars (1967,
en couleurs et cinémascope), un mélo d’amour contrarié
flamboyant, une sorte d’Elle et lui à
la japonaise, mais sans le happy-end hollywoodien. Pour moi, il y
avait Ozu, Mizoguchi et Kurosawa : il me faut ajouter Naruse
dans les maîtres du cinéma japonais classique !
Rentré
vers 20 h, j’ai mangé les reliefs de midi, puis me suis
installé sur le canapé pour achever la vision des Noces
de Figaro de Mozart par
Jean-Pierre Ponnelle (je possède de cet opéra une version CD et deux
versions DVD différentes), que j’avais commencé à regarder quelques jours
auparavant, à la suite de la lecture du sublime roman de
Mizubayashi, Un amour de Mille-Ans,
dont ce bel opéra sert de leimotiv, ou de toile de fond si l’on
veut. Un régal sonore et visuel.
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