vendredi 17 juillet 2015

17 juillet 2015 : des enfants et des hommes



Les gens très religieux pêchent tout autant que nous autres. Leur religion leur interdit seulement de le savourer.
(Flemming Jensen, Petit traité des privilèges de l'âge mûr et autres réflexions nocturnes, trad. Andreas Saint Bonnet, Gaïa, 2014)


Décidément – mais, après tout, nous sommes en été, saison propice aux lectures de délassement, ce qui ne veut pas dire lecture idiote –, je viens après le Scaramouche de Sabatini, de lire un nouveau roman d'aventures historiques. Je possédais Un cyclone à la Jamaïque de Richard Hughes depuis fort longtemps dans l'édition du livre de poche de 1964, et m'étais juré de le lire un jour. Et c'est d'avoir vu le film (d'Alexander Mackendrick, 1965, avec Anthony Quinn en vedette) au festival de La Rochelle il y a trois semaines, qui m'a incité à – enfin – lire ce beau roman.


Nous sommes à la fin du XIXe siècle : une famille de planteurs d'origine anglaise, les Thornton, a cinq enfants, de douze à trois ans. Elle vit difficilement depuis l'abolition de l'esclavage : chacun sait que ça a ruiné ces braves gens ! Les enfants vivent comme de petits sauvageons, quasiment à l'état de nature, bien que très marqués cependant par une éducation chrétienne et par la supériorité de la race blanche. À la suite d'un cyclone, la maison coloniale des parents est détruite. Ces derniers, conscients que leurs enfants ont besoin de retrouver des repères anglais et une éducation plus correcte, décident de les renvoyer en Angleterre, où ils sont accompagnés par les deux enfants d'une famille voisine et leur gouvernante. Ils embarquent sur la Clorinde, un Trois-mâts. Très rapidement, les enfants se sentent complètement libres – encore plus que dans leur forêt ; et partent à la découverte du navire. Mais ce dernier est arraisonné par un petit navire pirate sans aucune violence, et les pirates récupèrent les enfants. Pour se dédouaner, le capitaine de la Clorinde établit un rapport mensonger comme quoi il aurait été attaqué à l'aide de nombreux canons (totalement absents du navire pirate) et que les pirates auraient assassiné les enfants.
Sur le navire pirate, la vie reprend très vite ses droits : les enfants vivent l'aventure et la dure vie des marins, les plus grands montent en haut des mâts, les plus jeunes se contentent du pont. Le capitaine Jonsen et son second Otto aimeraient bien se débarrasser de ces passagers encombrants, mais les gardent en attendant de les laisser dans une île voisine. Le capitaine les prend même en étrange affection. Pour les enfants, le bateau devient un immense terrain de jeux, ils oublient leurs parents, l'Angleterre, les bonnes manières (dont ils n'avaient qu'un vernis). Lors de la première escale, John, l'aîné, se tue accidentellement. Faute de pouvoir les débarquer, le commandant récupère les autres enfants. Ceux-ci, peu à peu, se découvrent, mûrissent et entretiennent de curieux liens affectifs avec les pirates. Jusqu'à ce qu'un jour, les pirates arraisonnent un voilier hollandais, et qu'accidentellement, Emily, l'aînée des filles Thornton, se croyant menacée, en tue son commandant. Dès lors, le drame couve. Car les pirates se savent désormais menacés, eux qui s'étaient bien gardés, jusque-là, de tuer qui que ce soit !
C'est donc une sorte de roman d'aventures maritimes – genre dont j'ai toujours été friand depuis ma jeunesse, mais peu habituelle. Les enfants, que l'auteur observe comme il observerait des insectes, sont décrits dans leur humanité primitive, leur capacité ou plutôt incapacité de comprendre réellement ce qui leur arrive. Une fois délivrés (en fait, remis par les pirates eux-mêmes à un navire britannique), ils ignorent que la société victorienne et la justice vont se servir d'eux pour faire condamner les pirates en leur attribuant la mort du capitaine hollandais. Emily devra en effet apprendre par cœur les réponses aux questions de l'avocat quand elle sera appelée comme témoin.
Ce roman fut bien sûr très admiré par William Golding, qui s'en est largement inspiré pour Sa majesté des mouches. C'est un magnifique roman, parfaitement dérangeant pour l'hypocrisie de la bonne société bourgeoise, et qui fit scandale à sa parution en 1929. Les enfants en effet n'y sont pas dépeints comme de petits anges, ni comme de petites pestes, mais comme de vrais enfants, avec toute leur ambiguïté. Placés dans une situation inhabituelle, ils ne la comprennent qu'en partie. Quand ils abandonnent le bateau des pirates, ils embrassent tout l'équipage, dont finalement ils se sentent proches, dans cette espèce de liberté sauvage que donne la vie en mer. J'aurais dû me l'emporter sur le cargo !!!
Inutile de dire que le film, malgré des qualités, est beaucoup moins bon. J'ai eu l'impression qu'Anthony Quinn se demandait ce qu'il était venu faire dans cette galère (si j'ose dire).

une photo du film


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