dimanche 28 août 2011

28 août 2011 : Toute ressemblance...

LE CHOEUR : Bande ton âme. Sèche tes yeux. Les larmes jamais n'ont ramené à la lumière ceux qui ont franchi les portes de la nuit.
(Euripide, Alceste)


Jour de l'indépendance (4 juillet) dans une petite ville en déshérence industrielle des USA, Niagara Falls. On fait la fête. Martine (Tina) Maguire, trente-cinq ans, a copieusement arrosé la soirée chez son ami Casey, mais elle n'est pas ivre. C'est la nuit. Pour rentrer chez elle avec sa fille Bethel (Bethie), douze ans (cinq minutes à pied), elle décide de traverser le parc voisin. Mal lui en prend. Un groupe de jeunes hommes, des désœuvrés éméchés et défoncés, les surprend et les entraîne avec violence dans un hangar à bateaux. Bethie, terrorisée, ne les intéresse guère et, petite souris, parvient à se cacher dans un coin sombre du hangar où les autres oublient son existence. Épouvantée, dans le noir, elle assiste impuissante et sans rien voir, aux violences subies par sa mère, laissée pour morte dans une mare de sang. Dès le départ des tortionnaires, elle se précipite vers la route. Une voiture de police passe. Dromoor le policier croit d'abord que c'est elle la victime, mais elle l'emmène dans le hangar où il découvre, horrifié, la mère (que d'ailleurs il connaît déjà, pour l'avoir rencontrée dans un bar, et qu'il considère comme une amie) ; il appelle les secours. Tina arrive à l'hôpital dans le coma. Elle a été victime d'un viol collectif, frappée violemment, on ne sait pas si elle en sortira ni comment. Mais Bethie, elle, peut parler. Elle a vu certains des assaillants, peut les reconnaître. Même si elle sait que, désormais, son enfance est finie.
Peu à peu, plusieurs des agresseurs sont arrêtés, reconnus par Bethie derrière une glace sans tain. Bethie est recueillie par sa grand-mère. Mais voilà que sournoisement, la rumeur enfle : "La parole de cette femme contre la leur. Tout le monde peut crier au viol". Avant même que Tina sorte du coma. Quelle idée aussi, à son âge, de s'habiller comme une adolescente aguicheuse, d'habituer sa fille à sortir la nuit ; on la dit volage, au fond, elle a bien cherché ce qui lui est arrivé. Après la sortie du coma, des séquelles neurologiques graves sont apparues : difficultés à trouver des mots, amnésie partielle, Tina ne se souvient de rien tout d'abord. Et voilà que les violeurs prennent pour avocat Kirkpatrick, un habitué des causes indéfendables, qui pense que pour les membres d'un jury, "la vérité n’est qu’une attirance parmi d’autres" et que "un doute raisonnable, c'est ce qu'il faut à un jury". D'ailleurs, il "ne suffit pas que ce soit arrivé. Que Tina Maguire ait failli mourir. Il faut aussi que ce soit prouvé". Il est de plus certain qu'il suffit d'un "bon contre-interrogatoire, et elle [la victime] serait discréditée". Et malgré les preuves matérielles indéniables de l'agression (ADN, sperme des suspects) que la procureure énonce lors de l'audience préliminaire, l'avocat retourne la situation en faveur des accusés en prétendant qu'ils ont tenté d'obtenir les faveurs de la jeune femme contre paiement, que l'acte était donc consenti, que Tina réclamait plus qu'ils ne voulaient donner, qu'ils sont partis en colère après l'avoir seulement légèrement frappée, et que c'est un autre groupe de jeunes qui a commis les violences qui ont failli la tuer.
Tina, très diminuée, est estomaquée, incapable de prendre la parole, tant sa douleur morale est indicible ; c'est une femme brisée. Après cette audience, elle s'alite, refuse tout contact, même avec la procureure chargée de l'accusation, et refuse d'en dire plus, désespérée de la justice. Dans la ville, les rumeurs enflent, les mères des accusés défendent avec acharnement leurs chérubins. Seul Dromoor pense qu'il faut agir, que la justice ne sera pas correctement rendue, car il a bien vu à l'audience la connivence entre le juge et l'avocat de la défense, "le regard qu'ils échangeaient, un regard indiquant une entente subtile, du respect. Il se dit Les salopards. Ils sont sûrement membres du même yacht-club". Devant le risque d'un acquittement scandaleux, c'est Dromoor qui va se charger d'une justice à sa façon.
Tout ça ne vous rappelle rien ? Cherchez bien ! Non ? Eh bien, à moi, ça me rappelle plein de choses, beaucoup même, énormément ! Je suis bouleversé de cette lecture, j'ai été scotché par ce court roman de Joyce Carol Oates, intitulé Viol, une histoire d'amour (Seuil. Points, 2007). Totalement ému par ces personnages dévastés, tandis que les violeurs plastronnent, sûrs d'être acquittés. Par cette petite Bethel, deuxième victime, harcelée par ses camarades de collège, tous plus ou moins parents ou amis des familles des violeurs, et qui n'ose pas parler de ce harcèlement à sa grand-mère ni à sa mère : elle ne dit rien même, plus tard, à son mari. Elle comprend qu'il faut épargner "les adultes de ta famille". En effet, "lorsqu'on ne parle pas de quelque chose, même les gens qui vous sont le plus proches, les gens qui vous aiment, supposent qu'elle n'existe pas".
Et puis, je lis ceci : "Kirkpatrick a chargé une équipe d'enquêteurs juridiques d'essayer de salir les victimes de ses clients. Sa stratégie consiste à attaquer les victimes, Martine Maguire en l'occurrence, à donner l'impression qu'elle a cherché ce qui lui est arrivé. Kirkpatrick pense que si les jurés ont le sentiment qu'une victime mérite sa punition, ils n'ont pas envie de punir l'accusé, mais s'identifient à lui". Ce passage ne vous rappelle-t-il pas des événements récents ?
En fin de compte, tous les viols ou les tentatives de viol, se ressemblent. Les victimes sont salies de toute façon. Deviennent coupables, en quelque façon, comme on le voit dans une affaire actuelle. On comprend pourquoi, au final, la plupart ne portent jamais plainte.


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