mardi 17 août 2010

7-12 août 2010 : L'Aveyron



Parler avec quelqu‘un, ce n‘est pas seulement échanger des mots. C‘est aussi échanger des regards, des sourires. Tout est important, même le silence entre les mots.
(Annika Thor, Une île trop loin)


Je continue pendant ce séjour en Aveyron l’habitude de me lever tôt, afin de profiter au maximum de la longueur de ces journées d’été, qui pourtant s’écroulent déjà dans des crépuscules presque automnaux ; ce qui impose, surtout ici, en altitude (500 m, bientôt je vais passer à 1000) de se couvrir quand on mange dehors, comme c’est toujours le cas midi et soir, pour profiter à la fois du beau temps, des ombrages, du vent et du panorama, superbe. Davis, la maison de mon cousin Jean, a été restaurée ces dernières années – ce n’est pas encore fini – et j’ai peine à imaginer ce que c’était il y a vingt ans. Pourtant, nous y étions passés pendant un moment avec les enfants vers 1990-1992, ce qu’on m’a rappelé et que j’avais complètement oublié.

Nous étions alors hébergés chez l’autre cousin, André, dit Dédé, comme je l’ai été encore cette fois-ci, car la nombreuse famille de Jean, ses trois enfants et leurs conjoints, les petits-enfants (avec leurs ravissants prénoms : Corysandre, Pandora, Maïeul, Guilhem), remplit Davis. Me voici donc séjournant à Brandonnet, distant de 1,5 km, que je parcours à pied (en joggant) chaque matin après le petit déjeuner, pris avec Dédé et Francine, son épouse, après quoi Dédé et moi faisons une promenade à pied, d’environ une demi-heure, je reprends un café, puis je file en courant passer la journée à Davis.

En fait, j’étais invité à une grande fête le samedi 7. Je me rends compte que j’ai complètement oublié de demander quel était l’objet de la fête en question. Peut-être était-ce pour inaugurer la restauration du four à pain (le four originel datait de 1930 environ), et pour lequel un authentique boulanger (à la retraite) a été réquisitionné : j’ai donc assisté à la préparation de la pâte, à la mise en route du four, pour lequel j’ai vaguement aidé à apporter des brassées de bois mort, puis une fois le four chaud, à l’enfournement des pains (une quarantaine a été enfournée, c’est dire la dimension du four), qui fut suivie d’autres préparations à y cuire : quiches, pizzas, amuse-gueule, rôtis de veau aux pommes de terre, gâteaux divers du pays, les fameuses fouaces, les pompes à huile – ne riez pas, c‘est bien le nom d‘une pâtisserie – et les croquandes aussi appelées soleils.

On se serait cru à la cour de Louis XIV, avec le cuisinier Vatel. Et il y avait un peu de ça : le “roi” Jean allait de l’un à l’autre, saluait les invités au fur et à mesure qu’ils arrivaient, distribuant des compliments. Il y avait environ soixante-dix personnes, parmi lesquels de nombreux cousins aveyronais que je ne connaissais pas encore. Mais aussi beaucoup de voisins, car Jean connaît tout le monde ici. L’ancêtre du village (102 ans, encore en belle forme) a même tenu à venir faire un petit tour, sans rester toutefois au festin, l’apéritif n’ayant débuté que vers 20 h30, et le repas proprement dit à la nuit tombante. La maison avait été décorée, il y avait des lampions. Tous les invités avaient eu l’honneur d’être photographiés devant un tonneau (deux prises : de face et de dos) par un ami photographe, un Catalan de Barcelone, Sigfrid. Car la réunion était internationale, outre Sigfrid, les voisins néerlandais sont venus au grand complet, le père, la mère, leurs quatre enfants et le frère de la mère.


Le repas, interminable, comme il se doit en Aveyron – j‘en ai eu un aperçu les jours suivants également, on sortait juste de table pour commencer l’apéritif suivant, c’est ce qu’ils appellent le régime minceur, j’ai été contraint de me mettre à la diète le mardi soir, c’est simple, je ne pouvais plus rien enfourner – m’a permis de participer au service pour apporter les plats de table en table, et faire un peu plus connaissance de tout ce beau monde. Vers minuit, une projection de films muets a été organisée (les premiers films des frères Lumière, La sortie des usines Lumière et L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat, un dessin animé ancien, un irrésistible film de Georges Méliès, La conquête du Pôle Nord, et un film surréaliste de Man Ray), et enfin, certains d’entre nous entamèrent une chanson (bravo aux enfants d’Anne, et aux anciens) ou racontèrent des blagues.

Rebelote le lendemain midi (enfin, un midi qui débuta à 14 h), ceux qui n’avaient pas pu venir le soir (heure trop tardive) profitèrent d’une nouvelle marche du four, avec cette fois-ci des poulets (des vrais, pas ceux de supermarchés), des légumes, des tartes… Et comme, en dépit de mes nombreux déplacements de table en table la veille au soir, il restait encore pas mal de reliefs, il y avait largement de quoi sustenter une trentaine de personnes. Nous n’avions pas le choix, manger, il fallait s’y faire !

Heureusement que je faisais mes balades et mon jogging quotidien (attention, ici, c’est pas plat du tout, les côtes sont redoutables, surtout lorsqu’on emprunte des chemins non goudronnés, comme je l’ai fait pour rejoindre le pont romain du Cayla, distant de 4,5 km de la maison de Dédé) pour écluser un peu les apéritifs et gâteries diverses. Il faut accepter les conditions de notre propre existence, n’est-ce pas ? Et, au fond, c’est plutôt agréable, cette convivialité, non ? Je me demandais juste par moment si le jeûne (raisonnable) pouvait procurer aussi des agréments.


Et puis, dans les balades, on sent un silence limpide (les voitures sont rares par ici), simplement le chuchotement du vent dans les châtaigniers, le gazouillis des ruisseaux, le chant des oiseaux et les cris parsemés de quelques bêtes, un silence qui nous couvre de douceur, qui distend l’espace. Je suis même rentré de nuit, dans un noir de four, justement. Nous avons oublié dans la vie moderne à quel point la nuit sans lune (c’était le cas) peut être noire : je marchais comme un équilibriste au milieu de ce que je supposais être la route, très vaguement moins sombre que l’espace alentour. Claire aurait aimé ce séjour !

Comme dans Le guépard de Visconti, j‘ai souvent pensé « à la mort. Cette idée ne m'épouvante pas. » Le prince ajoute dans ce même film : « Vous, les jeunes, vous ne pouvez pas comprendre. » Il me semble que si, il est vrai que je ne suis plus jeune ! On ressort de ces lieux apaisé, serein, et on a envie aussi de se dépouiller de tout ce qui nous encombre. Et dans la nuit noire, plus encore.


Dans la rue, à Paris -
Je lisais récemment le livre de Nicolas Bokov, Dans la rue, à Paris. Cet écrivain russe nous rappelle la chose suivante : « Si l'on revient à la pauvreté volontaire... qu'est-ce qu'elle fait ?... Elle diminue incontestablement le mur qui sépare des hommes, du prochain. Le mur de son Moi. L'amour-propre. » Cet amour-propre qui est cause des dissensions familiales, des querelles imbéciles pour des broutilles, des fâcheries interminables, du rejet de l’autre, des séparations, des haines, des vendettas et, en fin de compte, des guerres. Tiens, on devrait l’appeler l’amour-sale !



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