les gens sont d’ordinaire très bavards. Ils ne supportent pas le silence. Ils ont horreur du silence. Le silence, ça les terrifie.
(Philippe Claudel, La petite fille qui ne parlait jamais, in Le monde sans les enfants, Stock, 2006)
Comme mon ami écrivain José Luis Toribio venait à la Fête de l'Humanité proposer son dernier livre L'Usine, qui venait de paraître à la Manufacture des livres, je lui avais promis d'y venir, moi qui n'y étais plus allé depuis 1971, année où j'avais écouté Claude Nougaro en concert. Depuis le massacre des Palestiniens en septembre 1971 (Septembre noir), je m'étais laissé pousser la barbe, un peu maigrelette, je l'avoue. C'était en l'honneur des Palestiniens, bien entendu, et aussi pour paraître plus vieux au travail où, à 24 ans, j'avais l'air d'un jouvenceau.
Depuis, la barbe ne m'a plus quitté, plus ou moins longue, plus ou moins étoffée, couvrant ou pas le cou et les joues. Depuis le mois de novembre dernier et mon voyage d'automne à Londres, je ne me rase plus du tout. J'avais en effet observé de nombreux vieillards de mon genre, dans les bus, le métro ou en ville, portant une barbe fournie, plus ou moins fleurie, et avaient l'air de s'en bien porter. Pourquoi ne ferai-je pas pareil ? En plus, quand je fais du vélo, le vent s'engouffre dedans faisant frémir les poils de contentement, comme une caresse légère et douce, une petite chatterie qui me remue la barde désormais longue et blanche, une tendresse que je me garde de dédaigner.
Bref, j'ai fait un aller-retour samedi 13 pour joindre l'ami José. J'ai découvert que la fête avait changé de place, passant du nord au sud de Paris, dans un coin où je n'étais jamais allé. Une fois à Paris, j'ai pris le RER C à Saint-Michel jusqu'à la station de Brétigny-sur-Orge, où nous attendaient les navettes prévues qui nous conduisaient à environ 2 km de l'emplacement de la Fête, distance qu'il fallait ensuite terminer à pied. Je ne marche plus très vite, à bientôt 80 ans. Un jeune homme de 29 ans, Gautier, a bien voulu ralentir son pas pour m'accompagner en papotant. Cet ingénieur informaticien venait de Metz.
Je me suis précipité vers le village du Livre. J'en ai fait le tour complet, trouvant plein de livres intéressants : littérature, sociologie, politique, histoire, sciences, etc. et des bouquins pour la jeunesse à foison. J'ai découvert des éditeurs inconnus, et j'ai pu mesurer l'ignorance dans laquelle je suis depuis que j'ai quitté mon métier. Comme j'étais arrivé tôt, à 9 h et demi, il y avait encore peu de monde et j'ai pu déambuler sans problème. J'ai trouvé José Luis à son stand, ai acheté et lui ai fait dédicacer son livre, j'ai visité une partie des autres stands (il y en avait 500, j'ai pas tout vu !), puis nous sommes allés manger dans un des restaurants installés sous chapiteau, nous contentant d'une soupe à l'oignon et d'une crêpe œuf jambon tout à fait correctes.
Il y avait d'ailleurs de la nourriture et des boissons à la majorité des stands, même les plus politisés, ce qui me faisait penser que, décidément, les gens ne pensent plus qu'à bouffer, et qu'on crèvera de cette surbouffe. Des ateliers-débats, des conférences, des concerts, complétaient les activités. Dès le début de l'après-midi, les gens sont arrivés en grand nombre : tous les stands à débat ou conférence affichaient complet. Et je me suis dit que, maintenant, je n'arrive plus à supporter la foule, le bruit, le surplace debout. Dès que j'ai pu, j'ai essayé de retrouver la sortie et j'ai déguerpi, un peu honteux. Je n'en pouvais plus.
Si la barbe sied bien à mon âge (encore un verbe bizarre, seoir, comme pleuvoir, ne se conjugue qu'à la 3ème personne du singulier), franchement, ce genre de manifestation pleine de gens, souvent très jeunes et bruyants, n'est plus de mon âge. Heureusement que j'étais arrivé tôt le matin ! À 17 h, de retour à Paris, j'étais éreinté, et le soir à Bordeaux, je n'ai pas demandé mon reste et, une fois au lit, j'ai dormi 7 heures d'affilée, ce qui ne m'arrive que rarement.
Ma barbe, elle, a bien tenu le coup, mieux que mes jambes, je devrais peut-être la faire descendre jusqu'à mes pieds pour donner du tonus à la partie basse de mon corps. Why not ! Mon Dieu, voilà que je me mets à écrire en anglais, my God !
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