mardi 22 avril 2008

14 avril 2008 : une thébaïde pour un homme des bois

Je me réveille reposé. 7 h 30. Robert m'a dit hier qu'il suit le cours du jour, dort longtemps en hiver, peu en été. Là, nous sommes à mi-chemin. Il est déjà levé. A sorti les chèvres. Les chiens sont contents, il y en a deux tout petits. Deux chats aussi, un cochon d'Inde, deux tourterelles, deux perruches (ces derniers ont aussi leurs petites maison fabriquées et décorées), et un corbeau apprivoisé qui répond au doux nom de Coco d'une voix saccadée et rauque. Robert l'a recueilli tout petit, et le corbeau, qui ne vole pas, dort dans sa cabane.
les cabanes de Robert
J'observe un peu les alentours. Evidemment, c'est de l'art naïf. Les matériaux bruts sont utilisés pour les sculptures : bois, métal, pierre, galets, sarments de vigne, barriques, cerclages, fil de fer, ustensiles, os, cordages, coquillages, bouts de briques ou de tuiles, troncs, branches... Tout est récupéré et peut être utilisé. Pour faire des suspensions, des globes ajourés, des tableaux de collages de divers matériaux de récupération, des sculptures décoratives de toute taille, une table dont le pied est une barrique, et le dessus un immense cerclage de barrique rempli de galets et de bouts de céramiques artistiquement placés, tout fait art et s'efforce d'être beau. Sur les rochers, on aperçoit un immense oiseau (albatros, aigle ?), une chèvre (au-dessus de la chèvrerie), un œuf géant (au-dessus du poulailler), un personnage (enfant couché sur le côté et qui essaie de se redresser), d'étranges personnages en bois tendent de s'agripper aux fils de fer en forme de toile d'araignée, un coq, un oiseau, un cheval, un homme en fil de fer. Il y a aussi des fauteuils géants, dont les pieds, dossiers et repose-bras sont en branches de bois torturé. Même les mangeoires pour les bêtes sont aménagées avec un souci d'élégance.
Et les rochers aussi semblent participer du paysage sculpté. Et parfois, ils ont effectivement été déplacés pour s'insérer dans un décor harmonieux où trouvent place les installations artistiques.
sculpture de Robert
Après avoir pris le café, je suis les deux hommes pour assister au dépeçage d'un cabri qu'ils viennent de tuer. Suspendu à un arbre, la bête attend le couteau qui va la peler. Robert m'explique comment il tue la bête sans l'épouvanter, au contraire des abattoirs. Là, il s'agit d'une commande d'un habitant du village qui veut le cabri entier, débité pour son congélateur. Julien apprend à glisser délicatement le couteau pour écarter la peau, peu à peu, c'est tout de même plus compliqué qu'un lapin ! Puis enlever les viscères, et ensuite découper le cabri en une douzaine de morceaux mis dans une glacière.
Et j'accompagne Robert pour apporter la viande à son futur propriétaire. Chemin faisant, je visite un peu le coin, le village est à 5 km environ du hameau de Robert, joli village encastré au bord des gorges. Un monde fou en été, me dit-il. C'est qu'on peut se baigner, et que la descente des Gorges de l'Ardèche en bateau est très courue !
Robert s'est lié avec un artiste renommé qui passe l'été dans le village et qu'il aide à monter ses expositions. Il me montre la maison de l'artiste. C'est pour lui un revenu indispensable, outre les services qu'il rend (débroussaillage, construction de cabanes pour d'autres, dont un architecte parisien célèbre), car les ventes de fromages et de cabris ne suffiraient pas. Il est désormais propriétaire de son terrain, et content de son royaume.
un des lamas de Robert
Bref, la journée est superbe. Après le repas, pendant que je sieste un peu, il part mener paître ses chèvres, Julien prépare les fromages puis va se balader vers les gorges. Plus tard, Gaël arrive, au bruit des sonnailles, on retrouve Robert et le petit troupeau (neuf chèvres à peine et quelques cabris), et au retour, Leïla entre en scène. Exubérante, elle se partage entre l'Inde, où elle passe l'hiver (en partie à des fins humanitaires dans un hôpital) et l'alpage d'été. Là, entre deux, elle passe quelques jours ici. Je vois à quel point ses enfants non seulement admirent Robert, mais l'aiment profondément. Je songe au beau texte de Victor Hugo, Le roi de Perse et au berger de ce poème :

Le roi de Perse habite, inquiet, redouté,
En hiver Ispahan et Tiflis en été ;
Son jardin, paradis où la rose fourmille,
Est plein d'hommes armés, de peur de sa famille ;
Ce qui fait que parfois il va dehors songer.

Un matin, dans la plaine il rencontre un berger
Vieux, ayant près de lui son fils, un beau jeune homme.
— Comment te nommes-tu ? dit le roi. — Je me nomme
Karam, dit le vieillard, interrompant un chant
Qu'il chantait au milieu des chèvres, en marchant ;
J'habite un toit de jonc sous la roche penchante,
Et j'ai mon fils que j'aime, et c'est pourquoi je chante,
Comme autrefois Hafiz, comme à présent Sadi,
Et comme la cigale à l'heure de midi. —
Et le jeune homme alors, figure humble et touchante,
Baise la main du pâtre harmonieux qui chante
Comme à présent Sadi, comme autrefois Hafiz.
 — Il t'aime, dit le roi, pourtant il est ton fils.

 
Oui, quand on voit Robert, on est content d'avoir des enfants. Pour le remercier, le soir, je leur offre une lecture. J'espère qu'elle leur aura plu.


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