Eh bien, voilà, c'est fait. Je quitte Poitiers sous une bruine mouillante. Le ciel pèse comme un couvercle sur le chemin qui me mène à la gare, et je roule avec lenteur dans la fameuse descente du pont-neuf. Claire a pris le bus et m'accompagne sur le quai. J'inaugure une nouvelle façon de voyager avec le vélo : le mettre sur le TGV. Ce n'est pas gratuit comme sur les TER, supplément 10 euros. Et le garage à vélo se révèle encombre par des valises au sol ! Résultat, impossible de l'accrocher en l'air comme prévu. Je le pose contre la paroi, en contournant une valise, et mets l'anti-vol.
J'ai emporté avec gourmandise un volume de Pléiade de Giono, qui contient un des deux derniers romans que je n'ai pas encore lus, Les âmes fortes, du Giono seconde manière, celle des Chroniques. Un sacré écrivain ! Quelle classe ! Une veillée funèbre, et les langues se délient... Peu à peu, de sa façon patiente, Giono sonde les âmes. C'est un roman plein de sinuosités, où le dialogue du début fait soudain place à un récit, puis à un deuxième récit, qui raconte la même histoire, mais semble la contredire. Les voix alternées désormais content une tortueuse affaire... Il me faudra bien la lenteur du déplacement pour achever cet étrange roman, que je pressens déjà comme un des plus grands de l'auteur, lui-même un des plus grands du XXème siècle. Et son roman le plus difficile, le plus complexe.
Bordeaux, je retrouve Lucile et sa copine Céline. Elles m'ont concocté un petit repas sympa. Je reprends le vélo, puisqu'elles se sont couchées tard et veulent siester. Elles ne me suivent pas au cinéma, où je vais voir There will be blood, raté à Poitiers. Au début, j'ai un peu peur. Un des plans est carrément copié sur un plan de Géant, où l'on voit James Dean, sur un fauteuil avec en fond le Texas. Des trois films dont cet acteur fut vedette, c'est le moins bon, c'est une espèce de soap opera grandiloquent et longuet, où je me rappelle m'être ennuyé ferme. Attendant avec impatience les rares apparitions de mon acteur fétiche, ici loin de A l'est d'Eden ou de La fureur de vivre, où il jouait les adolescents tourmentés et ténébreux : c'était ainsi que je me voyais aussi. Heureusement, ce nouveau film, un peu moins long, sur un thème voisin, comment un ouvrier devient un magnat du pétrole, possède une intrigue moins sirupeuse. On est surpris - mais nous sommes aux Etats-unis - de voir l'emprise de la religion, une sorte de fondamentalisme prophétique, jouer un rôle important. La relation père-fils aussi. Aucune coquetterie de style, une noirceur implacable, un très bon acteur...
Il ne me reste plus qu'à quitter le cinéma, il a plu pendant la séance, j'avais heureusement protégé la selle par un sac en plastique, je reviens chez Lucile reprendre mes affaires et ressors, cette fois, sous une bonne douche - décidément le baptême continue, on a l'impression que les nuages vous raclent la tête - pour suivre les quais jusque chez ma sœur Maryse, qui m'attend. Adolescente, Maryse a vécu deux ans chez moi pour préparer ses diplômes avant d'entrer dans la banque où elle travaille toujours. Je pense qu'elle m'aime bien. Elle me propose de regarder un DVD, Toute la beauté du monde, avec Marc Lavoine, un film sentimental qui raconte comment une femme, dont le mari a été tué dans un accident d'automobile, finit par être apprivoisée lors de vacances à Bali. Pourquoi pas ? Un peu languissant, on devine la fin, mais c'est la règle du genre.
La pluie aura rempli son office : pour ce départ en deuxième cyclo-lecture, j'aurai été baptisé ! Et étrenné mon costume protecteur : là, on est véritablement comme dans une armure, pas si facile d'avancer, tant pis pour la vitesse, l'essentiel est d'être à l'abri. Et merci à mon chapeau de Madère, une vraie providence qui m'évite de mettre le poncho...
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