lundi 31 octobre 2022

31 octobre 2022 : un itinéraire bien animé !

 

Ce n’est pas l’arrivée qui m’intéresse dans un chemin. Mais c’est le fait de marcher, d’être en mouvement. Stagner me fait peur !

(Esteban Moreno Corral, Les hommes oignons, Éd. de la Trémie, 2022)


Voilà, je suis revenu, moi qui suis devenu vagabond et heureux de l’être, ma foi ! Car, comme dit l’auteur de ce bel et étrange roman, Stagner me fait peur ! Et comme je m’aperçois que ça fait plaisir à celles et ceux que je visite, que ce plaisir est réciproque, je n’ai aucune raison de cesser "d’être en mouvement" : ça arrivera bien assez tôt quand je serai invalide ! D’autant plus qu’à chaque fois, je me dis que c’est peut-être la dernière fois qu’on se rencontre : entre le covid, le risque d’accident, mes ennuis de santé (AIT en 2019, AVC en 2020), le fait aussi que je suis nettement plus près de la fin de ma vie que du début m’encourage à persévérer et à me promener le long des chemins.

Cette fois-ci, j’ai fait la boucle Bordeaux-Lyon-Montpellier-Bordeaux entièrement en autocar longue distance (Flixbus) : moins cher, plus direct (de Bordeaux à Lyon en particulier), plus riche en rencontres que le train. Témoin cette vieille dame qui fut ma voisine dans le bus de Lyon à Montpellier, et qui m’a raconté sa vie, un vrai roman tragique dans l’enfance et la jeunesse, mais qui lui a forgé un moral d’acier. En effet, elle est née de père inconnu, a été placée, puis sa mère s’est mariée et a repris l’enfant : elle la battait, son beau-père l’a violée à partir de treize ans et battait aussi sa mère. Elle a eu le courage de le dénoncer quand elle en a eu seize, et de témoigner au procès, témoignage qui valut au beau-père une condamnation à dix ans de travaux forcés. Après la condamnation, sa mère l’a chassée. Elle s’est débrouillée par la suite, s’est mariée, et a eu trois enfants : elle voulait savoir comment étaient des enfants qu’on aime ! Elle a quatre-vingt-deux ans maintenant, des petits-enfants, sa fille cadette est morte accidentellement à vingt-neuf ans. Mais elle a réussi à surmonter ce deuil. Une "âme forte", comme dirait Giono, et une belle rencontre.

                                                            Jean, sur le bateau presque vide

À Lyon, j‘ai donc revu Jean, mon compagnon du cargo de 2013, qui m’a chaleureusement accueilli et hébergé, et Fortune, la "vieille dame de Tanger", connue en 2012 sur le ferry qui traversait le détroit de Gibraltar. À bientôt 90 ans, elle ne sort plus guère de chez elle, marche à tout petit pas, mais m’avait préparé un tajine d’agneau délicieux. Jean (72 ans), de son côté, en gourmet et fin cuisinier qu'il est, m’a concocté des plats aux petits oignons, m’a emmené faire une croisière fluviale sur la Saône et fait visiter le vieux Lyon… On se reverra.

Dans le vieux Lyon, un "pub" anglais, avec en décoration une des fameuses cabines téléphonique rouges

À Montpellier, où j’ai vu ma sœur Monique, mon beau-frère, ma nièce et son compagnon, je suis allé aussi au Festival Cinémed. J’y ai retrouvé des compagnes et compagnons de la Mostra de Venise de ces dix dernières années : Christine, Henri, Pauls, etc. Je parlerai du Festival un autre jour. Parallèlement, j’ai rendu visite à mon ami traducteur du suédois, Philippe B. (84 ans) très affaibli par son AVC (féroce) de 2021 et qui se remet difficilement. 

                                Automne allemand, un des livres traduits par Philippe : je l'ai lu en septembre

Et j’ai profité de mon passage dans l’Hérault pour voir un autre ami, Jean-Yves G., connu depuis 1977, qui habite à Bédarieux, où l’on peut se rendre depuis Montpellier grâce à un réseau de bus départementaux des plus efficaces et aux pris imbattables : 10€ la carte de dix voyages, soit 2€ l’aller-retour(60 km de distance). Je l’ai trouvé amaigri, il a un cancer, refuse toute chimio et tous rayons, mais il tient debout. Nous avons mangé dans une boutique-restaurant bio, c’était succulent…

Et, en dehors du Festival, je suis allé voir deux films d’animation magnifiques : Le petit Nicolas, d’après l’œuvre de Sempé et Goscinny, et Le pharaon, le sauvage et la princesse, de Michel Ocelot, mise en images de trois contes merveilleux, dont les deux derniers sont absolument sublimement mis en valeur. L’animation nous réconcilierait-elle avec l’humanisme ?


 

vendredi 14 octobre 2022

14 octobre 2022 : amitié en Grande-Bretagne

 

D’abord, je ne m’ennuie jamais ; l’ennui, c’est bon pour les imbéciles.

(Édouard Rod, Le silence, Perrin, 1894)


J’ai souvent dit, effectivement, que je ne m’ennuyais jamais ; cependant, je ne regarde presque pas la télévision, j’écoute assez peu la radio. Par contre, je voyage beaucoup (surtout pour rencontrer des amis ou des membres de mes familles que je considère à l’égal de mes amis), je lis énormément, je vais souvent au cinéma (ma deuxième passion, après la lecture) et, quand je peux au théâtre, et voir des spectacles essentiellement musique classique ou chanson surtout française. Et pour en revenir aux amis masculins et féminins, je dirais maintenant, quand je dresse le bilan de ma vie, que l’amitié fut la grande affaire de ma vie.

Cuisine de Pat

C’est pourquoi j’ai profité de ma visite au Royaume uni pour renouer connaissance avec l’Écossais Patrick Feehan que je connais depuis 1975, alors qu’il était lecteur d’anglais dans un collège d’Auch, et son épouse Moïra, qui lui rendit visite aux vacances de Pâques 1976 où je les accueillis chez moi. En novembre 1979, nous fîmes avec Claire notre deuxième voyage de noces (après le premier, très court, une semaine dans l’Aude et l’Ariège cathare en mai juste après le mariage) en Écosse où ils nous reçurent dans leur maison de Glasgow. Par la suite, nous leur envoyâmes Mathieu deux fois en juillet pour qu’il y apprenne l’anglais, en 1993 et 1995, je crois, et partîmes le rechercher cette année-là, nous les accueillîmes à Poitiers l’an suivant, avec leurs enfants.

                                                            le voilier-musée

Puis, à partir de l’an 2000, les liens se sont distendus je ne sais pourquoi, au point que j’avais perdu leur adresse, leur n° de téléphone. Ils ne savaient même pas que Claire était décédée. J’ai retrouvé leur trace par facebook (face de bouc, comme disent les ennemis des réseaux sociaux) et les ai recontactés cette année. J’ai appris qu’ils sont grands-parents aussi depuis le mois de mai, leur fils Kevin et son épouse américaine ayant donné naissance à deux jumelles ! Leur fille Jennifer travaille à Londres, comme Lucile.

                                                            Au Riverside museum

J’ai donc pris le bus de nuit pour rallier Glasgow, où Pat est venu me chercher à la gare routière. Il me dit dans la voiture d’utiliser l’anglais, car Moïra ne parle toujours pas français. Ce qui donna lieu à quelques scènes cocasses, car je ne comprenais que la moitié de ce qu’elle me disait avec son accent écossais. De temps en temps, je disais à Pat une phrase un peu compliquée : « traduis à Moïra, s’il te plaît », car j’ai dû évidemment raconter tout ce qui s’était passé depuis 2000, et en particulier la maladie et la mort de Claire !

Le samedi après-midi, nous visitâmes Glasgow grâce à un bus "city tour" qui fait le tour de ville en douze étapes. On pouvait s’arrêter et reprendre le bus suivant après une visite. Nous nous sommes arrêtés en particulier au Glasgow green (avec son People palace qui abrite ce que nous appellerions ici un musée d’arts et traditions populaires et sa Doulton Fountain).

                                                            une installation de vélos suspendus

Puis nous nous sommes arrêtés au Riverside Museum, qui se trouve au bord de la Clyde et qui renferme un musée des transports (trains, locomotives, tramways, bus, voitures, diligences, vélos, etc.) et un voilier-musée au bord de la rivière et qui se visite aussi. Évidemment j’ai apprécié. Et on a visité une partie du centre ville.

                                                            Pat sur le bateau du Loch Lomond

Le lendemain, nous petit-déjeunâmes très tard, à 11 h (petit déjeuner écossais très complet avec charcuterie et fromages, pains divers et gâteaux) et nous avons quitté la ville pour les contreforts de montagne jusqu’au Loch Lomond où nous fîmes une croisière en bateau. Puis arrêt au centre commercial voisin où j’ai acheté une robe et un t-shirt pour la petite fille des Bangladais. Retour à Glasgow où ils m’ont montré des photos de leurs enfants. Pat et Moïra n’ont pas tellement changé, du moins de visage : je les aurais reconnus dans la rue, ils sont à peine empâtés et ont quelque peu grossi ! Donc un week-end émouvant très réussi. Retour à Londres par le bus de nuit.

Quant à Venetia, mon ancienne diretrice de la chorale de Poitiers, Le Choeur des champs, je l’ai retrouvée à Salisbury (prononcer Solsbury) où je suis allé et revenu en train : une heure vingt de Waterloo station. Très jolie ville moyenne, avec un centre ville ancien que les nazis ne semblent pas avoir détruit ; Jolies maisons et commerces. Et une cathédrale époustouflante ; il faisait malheureusement gris ce jour-là. Nous avons profité du restaurant de la cathédrale (situé dans le cloître) pour y manger végétarien (Venetia est pratiquement végétarienne et surveille son poids. Elle a eu un AIT, comme moi, qui lui a laissé des séquelle à la jambe droite). Et on a fait une assez longue promenade à pied dans la verdure et sur les bords de la rivière. Très belle journée aussi.

Ah ! Les amis : c’est nécessaire pour l’équilibre, pour savoir qui on est, et se lier avec des étrangers (mais pour moi et sans doute quelques autres, tout être humain est un étranger), c’est super… Ils nous apportent tant.


 

jeudi 13 octobre 2022

13 octobre 2022 : pouponnage à Londres

 

On a beau observer de près les autres : on n’en voit que peu de chose.

(Édouard Rod, Le silence, Perrin, 1894)


                           écureuil anglais dans le parc habituel où Lucile et Pierryl promènent Sasha

Je suis tellement occupé (kiné et exercices physiques dans leur atelier deux fois par semaine, gym Pilates, atelier d’écriture, cinéma et ciné-discussions, lecture et rencontres diverses) que j’ai laissé filer le temps depuis mon retour d’Angleterre. Plusieurs jours ont passé avant que je récupère et trie mes photos de voyage.

Je suis revenu en bon état, assez guilleret, car j’ai pouponné dix jours sur les treize qu’ont duré mes journées britanniques, et curieusement, ça m’a fait beaucoup de bien, ça m’a rappelé mon jeune âge, où j’ai appris à pouponner dès 1955, quand l’aînée de mes jeunes sœurs, Marie-France, est née, et quatre autres l’ont suivie ; j’ai appris à les changer, à les laver et nettoyer, à donner les biberons, et ça plaisait beaucoup à l’enfant, puis le pré-adolescent que j’étais alors. Puis, vingt après, j’ai eu mes propres enfants ; on comprend pourquoi j’ai retardé au maximum le temps de convoler et d’avoir enfin des enfants : j’estimais qu’on doit s’en occuper, j’apprenais mon métier de bibliothécaire, il me restait peu de temps pour autre chose. Et j’avais vu mon père laisser toute la tâche à ma mère. Je ne tenais pas à faire pareil.

Donc, j’ai découvert une petite Sasha de quatre mois, très éveillée et souriante, je n’ai pas pu la nourrir, puisque Lucile allaite. Je l’ai tenue assez souvent dans mes bras, je lui ai souri, j’ai ri aux éclats, et par mimétisme, elle a fait de même, je lui ai chanté des chansons, je l’ai promenée avec Lucile dans Londres, dans les bus, dans le métro, dans les parcs où je poussais parfois la poussette, à la bibliothèque, car Lucile lui emprunte déjà des livres. Par contre, je ne l’ai ni changée ni nettoyée, laissant ce rôle aux jeunes parents.


                                        Devant Élisabeth 2 en vitrine de magasin

Je suis même allé avec eux dans un cinéma, où sont organisées des séances pour jeunes parents avec bébé. On emporte le berceau dans la salle. Le son est modéré et le film est sous-titré, pour ne pas réveiller les bébés. Expérience que j’ai trouvée très intéressante. Lucile m’a offert une soirée à l’opéra (en avance pour mon anniversaire, car ils partent en décembre tous les trois à la Réunion où Pierryl a passé sa jeunesse), elle est venue voir avec moi Madame Butterfly de Puccini au Royal opera house, et nous avons laissé Sasha aux bons soins de Pierryl qui s’en occupe très bien. Mise en scène sobre, bonne interprétation de ce mélodrame très émouvant : un officier de marine américain en poste au Japon, Pinkerton, s’amourache d’une jeune fille de maison de thé, lui fait croire qu’il l’a épousée, puis disparaît. Il revient quelques années plus tard avec sa femme américaine et emporte l’enfant qui est né de ses amours avec Madame Butterfly. Celle-ci se suicide.

Je connais maintenant de nouveaux quartiers de Londres, les environs de London bridge et de la City, où Lucile m’a montré le siège de Save the children, l’organisation où elle travaille. Et elle m’a fait connaître une rue où il y a de nombreuses fresques murales (et des tags), qui fut un quartier indien avant de succomber à la gentrification. Nous avons mangé plusieurs fois au restaurant, mais aussi chez eux où j’ai participé un peu, en faisant une omelette, un gâteau au lait concentré sucré Nestlé, des pâtes à la sauce arrabiata (sauce tomate un peu piquante, que j’ai découverte à Venise).

Toutefois, je n’ai pas utilisé le vélo, alors qu’il y a de nombreux vélos en libre service, mais franchement, rouler à gauche, penser qu’il y a priorité à gauche, je n’ai pas voulu tenter le diable et risquer de causer un accident ! Je me suis donc contenté des transports en commun et de la marche à pied, le plus souvent avec Lucile et le bébé qu’elle portait parfois dans le sac ventral, ou qu’elle mettait dans la poussette pou qu’elle s’endorme. Mais c’était très bien ainsi : ça ne nous a pas empêché de marcher et de traverser le London Bridge pour apercevoir le célèbre Tower Bridge et la Tour de Londres qui en est proche.

J’avais peur que mon séjour paraisse trop long à ma fille, ce pourquoi je l’ai coupé quelque peu par un week end à Glasgow revoir l’ami écossais de ma jeunesse gersoise perdu de vue depuis près de vingt-cinq ans, et par une journée à Salisbury revoir l’amie Venetia, mon ancienne cheffe de chœur qui, je crois, a été ravie de rafraîchir son français. Mais j’en parlerai dans mon prochain post.

L'affiche publicitaire de "All plants", l'entreprise vegan où travaille Pierryl, placardée partout
 

mercredi 12 octobre 2022

12 ocobre 2022 : "Fleur d'épine, fleur de rose", la chanson du mois

 

j’ignore

où je vais mais cela

au moins je le sais

et c’est la seule chose

au vrai que je sache encore

(Henri Droguet, Palimpsestes et rigodons, Potentille, 2016)


En 1964, je suis devenu moniteur de colonie de vacances, moi qui n’y avais jamais été enfant. Je me suis aperçu que j’adorais chanter, et j’ai appris quelques magnifiques chansons, dont « Dedans ma chaumière » déjà montrée ici (20 juin 2022) et « Fleur d’épine, fleur de rose », avec lesquelles on apprenait à nos jeunes colons le plaisir collectif de chanter en marchant lors de nos longues balades et jeux de piste dans la vallée d’Aspe, ou pendant les veillées de jeux et de chants qui ponctuaient les soirées avant de partir dormir. Ce sont des chansons que j’ai chantées à Sasha ; elles me sont toutes revenues récemment et je regrette de ne guère les avoir chantées pour mes propres enfants petits.

Voici donc Fleur d’épine, fleur de rose que les colons appelaient « Ma mère qui m’a nourrie ».


FLEUR D'ÉPINE, FLEUR DE ROSE

Ma mère qui m'a nourri
N'a jamais connu mon nom ohé (bis)

On m'appelle, on m'appelle, on m'appelle

Fleur d'épine Fleur de rose, c'est mon nom

refrain

Tra la la la la la la
Tra la la la la la la

Tra la la la la la la la la la la la


Fleur d'épine, fleur de rose
C'est un nom qui coûte cher ohé (bis)
Car il coûte, car il coûte, car il coûte

Double ou triple de la valeur de cent écus

refrain


Qu’est-ce que cent écus

Quand on a l’honneur perdu ohé (bis)

Car l’honneur car l’honneur car l’honneur

Est privilège des fillettes de quinze ans

refrain

Ne fais donc pas tant la fière
L’on t'a vue hier au soir ohé (bis)

L’on t'a vue, l’on t'a vue l’on t'a vue

Hier au soir un gros bourgeois auprès de toi

refrain

Ce n'était pas un bourgeois
Qui était auprès de moi ohé
C'était l'ombre, c'était l'ombre, c'était l'ombre

de la lune qui rodait autour de moi
refrain


En voici quelques versions sonores parmi plein d’autres :


https://www.youtube.com/watch?v=QzW7Ox6TaDA

https://www.youtube.com/watch?v=yBaBmWZSpx8

https://www.youtube.com/watch?v=rkQnetrlweQ

https://www.youtube.com/watch?v=HJC2OdvfNOA

 


 

mardi 11 octobre 2022

11 octobre 2022 : Claire, le poème du mois

 

La mort ne me fait pas peur, ce n’est pas elle qui va me forcer à utiliser l’imparfait.

(Pierre Bottero, Le garçon qui voulait courir vite, Flammarion, 2002)


J’ai découvert que Victor Hugo avait écrit un poème intitulé Claire, après la mort de Claire Pradier, le fille unique de Juliette Drouet, survenue peu après la mort de Léopoldine, la fille chérie du poète. Je vous le soumets aujourd’hui, en hommage au grand amour de Victor Hugo et de Juliette, et en souvenir aussi de ma Claire à moi.



CLAIRE

Elle semblait porter de radieuses gerbes ;
Quel âge hier ? Vingt ans. Et quel âge aujopud’hui ?

L’éternité. Ce front pendant une heure a lui.

Elle avait les doux chants et les grâces superbes

Rien qu’à la voir passer, on lui disait : Merci !
Qu’est-ce donc que la vie, hélas ! pour mettre ainsi
Les êtres les plus purs et les meilleurs en fuite ?
Et, moi, je l’avais vue encor toute petite.
Elle me disait vous, et je lui disais tu.
Son accent ineffable avait cette vertu
De faire en mon esprit, douces voix éloignées,
Chanter le vague chœur de mes jeunes années.
Il n’a brillé qu’un jour, ce beau front ingénu.
Elle était fiancée à l’hymen inconnu.
A qui mariez-vous, mon Dieu, toutes ces vierges ?
Un vague et pur reflet de la lueur des cierges
Flottait dans son regard céleste et rayonnant ;

Elle était grande et blanche et gaie ; et, maintenant,
Allez à Saint-Mandé, cherchez dans le champ sombre,
Vous trouverez le lit de sa noce avec l’ombre ;
Vous trouverez la tombe où gît ce lys vermeil ;
Et c’est là que tu fais ton éternel sommeil,
Toi qui, dans ta beauté naïve et recueillie,
Mêlais à la madone auguste d’Italie
La Flamande qui rit à travers les houblons,
Douce Claire aux yeux noirs avec des cheveux blonds.

Elle s’en est allée avant d’être une femme ;
N’étant qu’un ange encor ; le ciel a pris son âme
Pour la rendre en rayons à nos regards en pleurs,

Et l’herbe, sa beauté, pour nous la rendre en fleurs.

Les êtres étoilés que nous nommons archanges
La bercent dans leurs bras au milieu des louanges,
Et, parmi les clartés, les lyres, les chansons,
D’en haut elle sourit à nous qui gémissons.
Elle sourit, et dit aux anges sous leurs voiles :
Est-ce qu’il est permis de cueillir des étoiles ?
Et chante, et, se voyant elle-même flambeau,
Murmure dans l’azur : Comme le ciel est beau !
Mais cela ne fait rien à sa mère qui pleure ;
La mère ne veut pas que son doux enfant meure
Et s’en aille, laissant ses fleurs sur le gazon,
Hélas ! et le silence au seuil de la maison !


Son père, le sculpteur, s’écriait : - Qu’elle est belle !
Je ferai sa statue aussi charmante qu’elle.
C’est pour elle qu’avril fleurit les verts sentiers.
Je la contemplerai pendant des mois entiers
Et je ferai venir du marbre de Carrare.
Ce bloc prendra sa forme éblouissante et rare ;
Elle restera chaste et candide à côté.
On dira : - Le sculpteur a deux filles : Beauté
Et Pudeur ; Ombre et Jour ; la Vierge et la Déesse ;
Quel est cet ouvrier de Rome ou de la Grèce
Qui, trouvant dans son art des secrets inconnus,
En copiant Marie, a su faire Vénus ? -

Le marbre restera dans la montagne blanche,

Hélas ! car c’est à l’heure où tout rit, que tout penche ;
Car nos mains gardent mal tout ce qui nous est cher ;
Car celle qu’on croyait d’azur était de chair ;

Et celui qui taillait le marbre était de verre ;
Et voilà que le vent a soufflé, Dieu sévère,
Sur la vierge au front pur, sur le maître au bras fort ;
Et que la fille est morte, et que le père est mort !
Claire, tu dors. Ta mère, assise sur ta fosse,
Dit : - Le parfum des fleurs est faux, l’aurore est fausse,
L’oiseau qui chante au bois ment, et le cygne ment,

L’étoile n’est pas vraie au fond du firmament,
Le ciel n’est pas le ciel et là-haut rien ne brille,
Puisque, lorsque je crie à ma fille : —Ma fille,
Je suis là. Lève-toi ! — quelqu’un le lui défend ;
Et que je ne puis pas réveiller mon enfant ! —

Juin 1854.