mardi 22 avril 2008

13 avril 2008 : quand ça monte, on s'émerveille !


Une longue étape m'attend, vers l'Ardèche, cette fois, où je dois rejoindre mon vieux copain Robert, pas vu depuis 1985 !

Pour la raccourcir un tantinet, je prends le train jusqu'à Nîmes. Je continue la lecture de L'idiot, tout en observant paysages et gens, et en écoutant les voix soudain chantantes. Un chapitre de plus... Le prince Mychkine m'est de plus en plus proche... Mon ami l'idiot, je crois que j'intitulerai ainsi la chronique que je ne manquerai pas d'écrire quand j'aurai fini ma lecture, sans doute à la fin de mon parcours.
Nîmes : en sortant de la gare, je file regarder les arènes (en fait, j'apprends que c'est un amphithéâtre) et la Maison carrée. Superbement bien conservés. Un beau soleil les éclaire de biais. Un peu plus loin, j'aperçois la Tour Magne, célèbre par le distique holorime (le vers rime en entier) attribué faussement à Victor Hugo, et jamais oublié depuis ma classe de seconde :
Gal, amant de la Reine, alla, tour magnanime,
Galamment de l'arène à la Tour Magne, à Nîmes.
Et déjà la route s'élève dans les garrigues sèches, aux bons parfums. On est dimanche, presque pas de voitures, c'est tout bonnement génial. Mon nez encore mal remis respire toutefois difficilement dès que ça monte, et ça monte souvent et longuement, quoique sur de faibles pourcentages. Dans les descentes, je reprends mon souffle. Un joli pont sur le Gard me rappelle que nous sommes dans les parages du célèbre aqueduc romain. Puis j'arrive à Uzès, là, beaucoup de voitures, il y a une sorte de marché, sans compter que c'est l'heure de la sortie des églises et du Temple, car cette cité historique fut un fief huguenot. Puis, c'est Lussan, Saint Jean de Maruéjols, Barjac, de charmants villages aux belles maisons. Et des arrêts, car la fatigue est forte. Arriverai-je au bout ?
Enfin, non sans peine, j'arrive dans l'Ardèche, et Vallon Pont d'Arc, à l'entrée nord des Gorges de l'Ardèche, me tend les bras.

Il est 15 h environ, et la foule dominicale encombre les rues de cette jolie bourgade, visiblement très touristique.

Arrêt bienvenu pour reposer les jambes, achat de cartes postales, promenade dans les rues, arrêt-buvette aussi : un thé chaud, j'apprécie. Et j'ai le temps, j'avais annoncé mon arrivée pour 18 h, encore une petite quinzaine de km.


Le pont naturel sur l'Ardèche. Image, cop. : http://www.ardeche.com/ville_village/vallon-pont-darc.php


Il ne me reste plus qu'à enfourcher de nouveau Rossinante et à suivre l'Ardèche vers Ruoms, point de départ de la petite route montant vers les montagnes où habite Robert. C'est assez surprenant, au fur et à mesure que j'approche, la fatigue semble avoir déserté, alors même que ça n'a jamais autant grimpé. Il m'a envoyé un petit plan pour trouver l'entrée du chemin qui mène chez lui. Cependant, il a omis d'indiquer les distances. Et de hameau en hameau, je suis sans cesse renvoyé plus loin, plus haut. Mais c'est comme si j'avais des ailes. J'ai simplement installé le petit plateau et ça mouline presque tout seul.

Et quand je vois la boîte à lettres avec son nom peint en gros dessus, à l'entrée de son chemin empierré, je dis quand même ouf ! Plus de 100 km dans les pattes ! Pour quelqu'un qui respire mal, c'est correct !
Et soudain, j'aperçois les trois lamas, je sais que c'est ici ! Sur le chemin, devant la grange (construite de ses mains, et où Rossinante va reposer), deux de ses filles triplées s'apprêtent à repartir, avec un de leurs copains. Elles m'indiquent le portail. J'entre.
Un panorama extraordinaire s'offre à moi. Le pré où les lamas broutent jouxte la grange. Au fond, les cabanes des chèvres, des vaches, des lamas, le poulailler, toutes constructions de bois adossées à des rochers calcaires et ouvragées artistiquement, car les bêtes aussi on besoin de beauté, estime Robert ("la beauté sauvera le monde", dit L'idiot de Dostoievski, à qui je pense immanquablement ici, j'ai bien choisi ma lecture). Sur les côtés, des haies en fagots de bois de deux à trois mètres de haut : franchement ça a plus de gueule que des fils de fer barbelés ! Les rochers eux-mêmes sont surmontés de sculptures en bois ou en métal, oeuvres de Robert. Je le savais artiste, je pénètre dans un musée vivant...
Pas trop le temps de détailler, je verrai tout ça demain, le voici qui s'avance, ramenant ses chèvres de la pâture, avec les chiens qui le suivent, le sien, celui de sa troisième fille, Leïla, bergère également, et celui de Julien, le jeune berger stagiaire qui est actuellement chez lui. Nous tombons dans les bras l'un de l'autre. Robert n'a pas tellement changé, il frise la cinquantaine, un peu plus buriné, c'est qu'il vit au grand air. Je range le vélo dans la grange (ici pas besoin d'anti-vol), et il m'indique le chemin qui monte au milieu des rochers, chemin empierré par ses soins, avec l'aide de ses enfants.
Et quand j'atteins la partie supérieure, un fabuleux panorama s'offre à moi : cinq maisons en bois (les fameuses cabanes dont il me parlait dans ses lettres sibyllines) s'encastrent dans le paysage déchiqueté de lapiaz rocheux, au milieu des arbres. Il y en a une pour Robert et une pour chacun de ses enfants, même s'ils n'y vivent pas en permanence, mais viennent seulement s'y ressourcer. Justement, Gaël, le fils aîné, avec sa compagne et sa petite fille, sont là. C'est dimanche ! Je verrai Leïla demain.
Je vais dormir dans la "cabane" de Gaël, où l'on m'emmène. Les murs sont en bois, parfois en rondins incrustés dans du mortier naturel, le sol est en galets le toit en bois recouvert de toile goudronnée et de bruyères. C'est magnifique. L'une des maisons, celle de Leïla, est en forme de yourte. Dans chacune, un poêle apporte le chauffage indispensable dans ces rudes régions. Des toilettes sèches sont à l'extérieur. Des panneaux solaires donnent l'électricité, bien que l'éclairage se fasse aussi avec une lampe à pétrole très sophistiquée (venue d'Allemagne) et avec une lampe à carbure, pour le repas qui va suivre par exemple. Le mobilier est entièrement fait mains par Robert ou ses enfants, et la décoration aussi. Partout, un objet ou une sculpture rappelle l'artiste.
Pendant que Robert va traire les chèvres, Gaël me fait visiter l'installation. Je suis sidéré, médusé, abasourdi, ébloui, la parole me manque, je n'ai pas assez de deux yeux. Claire, Mathieu (qui rêve d'une maison en bois) et Lucile seraient eux aussi ravis. Ravi, voilà le terme exact, au double sens de charmé et d'enlevé dans un rêve.
Quant au repas qui suit, un gigot de cabri, que dire ? Trop beau, trop bon, trop tout court, comme disent nos jeunes... Suivi de l'inévitable fromage de chèvres. Car Robert fabrique ses fromages, évidemment, et Julien est en train d'apprendre à les faire, comme il apprend tout le reste ici, avant de partir prochainement vers son premier alpage. Ce jeune homme - 22 ans - en a eu marre de la ville, de son emploi de camionneur, et ici visiblement il s'éclate, il a trouvé sa voie.
Fatigué tout de même, je m'éclipse discrètement et m'endors sous le frou-frou du vent dans les arbres. Au milieu de la nuit, un brusque orage me réveille, ça tombe sec sur le toit de bruyères, pendant cinq minutes peut-être. Robert et Julien, habitués aux bruits de la nature, n'entendent rien !

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