lundi 9 décembre 2019

9 décembre 2019 : retour de manif 2


Il apparaît en effet que la disposition naturelle de l’homme veut qu’il se serve du pouvoir au-delà de ses besoins.
(Alcides Arguedas, Race de bronze, trad. Marcelle Auclair et al., Plon, 1960)


Jeudi 5 décembre, j’ai repris mon bâton de pèlerin et de manifestant, heureux de me retrouver au milieu de cette foule, loin des insanités délivrées par les experts des médias écrits et télévisuels. Une foule où les jeunes côtoyaient les adultes, les retraités et même les vieux, les femmes et les hommes, les pompiers et les hospitaliers, les professeurs et les étudiants, les familles avec enfants et les solitaires, les lycéens et les chômeurs (reflet de ce qui attend les précédents) car comme le disait un des slogans lu sur un gilet jaune "La solidarité est la tendresse des peuples". Et où trouver cette solidarité aujourd’hui, à part dans les collectes des banques alimentaires, les visites faites aux vieux amis et, justement, ces marches que le pouvoir nous incite à faire, simplement pour faire entendre les cris et la colère de ceux qui sont obligés de dire : "Si la galère était un sport, j’aurais ma place" (autre slogan de la manif).
La manif de Poitiers (10000 personnes environ) était bien encadrée, il n’y a pas eu de débordements, même si la colère était réelle (surtout chez les jeunes qui craignent d’être les dindons de la farce en cours, avec des retraites qui seront souvent divisées par 1,5 ou 2 d'ici trente ans) : la police est restée discrète, malgré les gilets jaunes et leurs slogans : "Fâchée, mais pas facho", "MÉTRO BOULOT CAVEAU ? » (allusion au fait qu’à peine à la retraite, on sera tout près du cimetière, comme à l’époque de la retraite à 65 ans), et le merveilleux "Pôle emploi : t’as de beaux vieux, tu sais !" (allusion au fait que, vu l’étroitesse des futures retraites, on devra, malgré son âge avancé, retourner à Pôle emploi pour trouver des petits boulots nécessaires pour compléter les dites retraites).
Mais ça ne faisait rien, on était content d’être ensemble, joyeux même comme les femmes d’âge mûr qui avaient enfin l’impression de cesser d’être transparentes ou invisibles, et appréciaient certains slogans comme "La révolution sera la floraison de l’humanité comme l’amour est la floraison du cœur". Ceux qui tirent le diable par la queue étaient ravis de lire sur des pancartes "LIBERTAIRE ÉGALITAIRE FRATERNITAIRE", autre manière de dire que, puisqu’on battait le pavé, on redressait la tête et que, peut-être, on éloignait un tant soit peu le spectre du pavé et de la mouise !
Car on n’ignorait pas que, autre slogan très lu, si "En haut on se gave sans scrupule. En bas on en bave sans pécule !", ce petit poème devrait ouvrir les yeux de ceux qui veulent continuer à demeurer nos maîtres… Car "nous, les petits, les obscurs, les sans-grades, / Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades, / Sans espoir de duchés ni de dotations, /Nous qui marchions toujours et jamais n’avancions ; /Trop simples et trop gueux pour que l’espoir nous berne", nous commençons à trouver notre voie et notre voix, celle de la solidarité et de la fraternité, au moins le temps d’une manifestation, et nous savons maintenant qu’en haut, là où on se gave sans scrupule, on a tellement peur qu’on n’a rien trouvé de mieux qu'une féroce répression policière, régression qui nous ramène aux beaux temps de Monsieur Thiers, fossoyeur de la Commune de 1871.


Et, reprenant la phrase du marquis de Sade (La philosophie dans le boudoir) "encore une fois, de quel droit celui qui n'a rien s'enchaînera-t-il sous un pacte qui ne protège que celui qui a tout ?", au moins, en ces temps incertains, nos gilets jaunes, malgré leur orthographe parfois incertaine (mais bien moins pourtant que celle des copies de candidats aux concours que je corrigeais dans les années 90, malgré leur Bac + 3 à + 5), qui, dans les ronds-points et pendant leurs réunions, ont réappris à lire, à s’informer et à se cultiver, ne sont plus près à avaler les couleuvres d’un gouvernement plus que menteur. Et nous continuerons à les soutenir !


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