lundi 13 mars 2017

13 mars 2017 : vers la Caraïbe...


Car le poème ne promet rien
Car il laisse seulement entrevoir
la chimère d’une impossible réconciliation entre nous et le monde
(Shuntarô Tanikawa, L’ignare, trad. Dominique Palmé, Cheyne, 2014)

Pour un avant-goût de voyage aux Antilles, rien de tel qu’un poème d’Aimé Césaire ! Au mois d'avril, lecteurs...



La relance ici se fait
par le vent qui d’Afrique vient
par la poussière d’alizé
par la vertu de l’écume
et la force de la terre
nu
l’essentiel est de se sentir nu
de penser nu
la poussière d’alizé
la vertu de l’écume
et la force de la terre
la relance ici se fait par l’influx
plus encore que par l’afflux
la relance
se fait
algue laminaire

(Aimé Césaire, Moi laminaire, Seuil, 1982)

dimanche 12 mars 2017

12 mars 2017 : documentaires 3 : un essai de Simone Weil


Presque partout – et même souvent pour des problèmes purement techniques – l’opération de prendre parti, de prendre position pour ou contre, s’est substituée à l’obligation de la pensée.
(Simone Weil, Note sur la suppression générale des partis politiques, Allia, 2017)


Quand j’ai vu ce titre en librairie, improbable aujourd’hui (écrit en 1940), j’ai sauté dessus à pieds joints. Simone Weil y montrait toute son indépendance d’esprit, sa liberté totale de pensée. Il lui faut à peine une quarantaine de pages pour démontrer le système pernicieux des partis politiques pour la démocratie (il est vrai que Hitler, Mussolini et Staline, etc., étaient alors au pouvoir). Et pourtant, en dépit de son âge, ce petit texte montre son actualité, notamment dans les débats de notre temps électoral.


L’auteur part de la volonté générale, idée due à Rousseau, dont procèdent les idéaux de 1789. Mais elle note qu’il "est tout à fait évident que le raisonnement de Rousseau tombe dès qu'il y a passion collective. Rousseau le savait bien. La passion collective est une impulsion de crime et de mensonge infiniment plus puissante qu'aucune passion individuelle". Elle en déduit qu’avec la constitution des partis, "nous n’avons jamais rien connu qui ressemble même de loin à une démocratie". Car le peuple n’a jamais eu "à exprimer son vouloir à l'égard des problèmes de la vie publique", mais à faire "seulement un choix de personnes". On ne saurait mieux dire !
Or, un "parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective. Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres". Plus de liberté de penser, "tout parti est totalitaire en germe et en aspiration" et, à partir du moment où "la croissance du parti constitue un critère du bien, il s'ensuit inévitablement une pression collective du parti sur les pensées des hommes". Simone Weil assure qu’en "entrant dans un parti on renonce à chercher uniquement le bien public et la justice". D’ailleurs, des pénalités sont imposées à ceux qui font montre d’indépendance vis-à-vis des idées du parti, pénalités "qui atteignent presque tout — la carrière, les sentiments, l'amitié, la réputation, la partie extérieure de l'honneur, parfois même la vie de famille". Or, dès qu’il y a des partis, il est "impossible d'intervenir efficacement dans les affaires publiques sans entrer dans un parti et jouer le jeu". Et donc abdiquer le goût et la recherche de la vérité.
"Si un homme disait, en demandant sa carte de membre : Je suis d'accord avec le parti sur tel, tel, tel point ; je n'ai pas étudié ses autres positions et je réserve entièrement mon opinion tant que je n'en aurai pas fait l'étude, on le prierait sans doute de repasser plus tard. Mais en fait, sauf exceptions très rares, un homme qui entre dans un parti adopte docilement l'attitude d'esprit qu'il exprimera plus tard par les mots : Comme monarchiste, comme socialiste, je pense que... C'est tellement confortable ! Car c'est ne pas penser. Il n'y a rien de plus confortable que de ne pas penser".
Elle finit par conclure qu'il n'y a "pas grande différence entre l'attachement à un parti et l'attachement à une Église ou bien à l'attitude antireligieuse. On était pour ou contre la croyance en Dieu, pour ou contre le christianisme, et ainsi de suite". Car l'opération de "prendre parti, de prendre position pour ou contre, s'est substituée à l'obligation de la pensée. C'est là une lèpre qui a pris origine dans les milieux politiques, et s'est étendue, à travers tout le pays, presque à la totalité de la pensée. Il est douteux qu'on puisse remédier à cette lèpre, qui nous tue, sans commencer par la suppression des partis politiques".
Je ne sais pas si tout cela vous allèche. Moi, j’ai trouvé toutes ces phrases extrêmement stimulantes. Elles m’ont même fait comprendre pourquoi je n’ai jamais pu adhérer à un parti politique, car on y perd sa liberté de penser. Et pourquoi vers 1994, j’avais fini par démissionner de l’association de parents d’élèves du collège qui m’avait élu. Il n’y avait pas moyen d’user librement de son droit de vote. Il fallait suivre la ligne de la direction nationale, même si on n’était pas d’accord ! Ce que je n'ai pas fait, et qui m'a valu d'être éjecté de candidature l'année suivante.

samedi 11 mars 2017

11 mars 2017 : la poésie du burlesque


Je suis habité, avant toute chose, par la poésie : une anarchie céleste m’empêche de traîner qui que ce soit devant un tribunal. Je ne pourrais me résoudre à faire condamner quelqu’un.
(Luigi Bartolini, Les voleurs de bicyclette, trad. Olivier Favier, Arléa, 2008)

Je parlais l’autre jour de Simon Quéheillard, et du burlesque dans l’art.
Dieu merci, le burlesque habite encore le cinéma ordinaire. Je n’en veux pour preuve que les films de Dominique Abel et Fiona Gordon. Aux antipodes du cinéma comique français commercial, incroyablement bavard et si peu visuel, ils arrivent à concocter des histoires extraordinairement visuelles, d’un légèreté qui nous allège du monde environnant.

Ainsi, Paris pieds nus. Fiona (Fiona Gordon), Canadienne anglophone, reçoit un message de sa tante Martha, qui a émigré à Paris longtemps auparavant pour y vivre sa vie de danseuse : c’est un appel au secours, car Martha craint qu’on la mette d’office en maison de retraite. Fiona se précipite et débarque à Paris, elle parle mal français, tombe dans la Seine et perd dans la rivière son sac à dos avec son argent, son téléphone portable et son passeport. Et la fameuse Martha ne répond pas au téléphone ! Où traîne-t-elle donc ? Fiona va se trouver prise dans des situations inextricables, entre un enterrement drôlatique au Père Lachaise (on croit un instant qu'il s'agit de celui de Martha), la rencontre avec un SDF (Dominique Abel) qui vit sous une tente dans l’île aux Cygnes, une autre avec un policier canadien de la Police montée en stage à Paris, et la recherche improbable de Martha. Martha, c’est la formidable Emmanuelle Riva qui, pour son dernier film, nous fait prendre conscience du temps qui passe. 

 
Le film est, en même temps qu’un hommage singulier à la ville de Paris que je n'ai jamais vue aussi formidablement aperçue, un hommage aux maîtres du cinéma muet : Chaplin, que plusieurs scènes évoquent (déjà le personnage de Dom le clodo), notamment la danse dans le bateau de Fiona et Abel (on pense irrésistiblement à Charlot serveur de restaurant dans Les Temps modernes), Harold Lloyd (dont la séquence au sommet de la Tour Eiffel ranime notre souvenir de Monte là-dessus, aussi bien que celui de la séquence du patin à roulettes dans Les temps modernes de Chaplin). Dominique Abel fait penser à Laurel, tout autant que Fiona Gordon, avec son air gauche. Bref, que du bonheur. Français, encore un effort ! Voilà le cinéma comique français superbe, héritier de Jacques Tati et de Pierre Étaix, aussi bien que du burlesque américain ou de Pierre Richard qui joue dans le film un vieillard irrésistible (sa danse des pieds avec Martha fait penser à la danse des petits pains de Charlot dans La ruée vers l’or). Un film magnifique, que dis-je magique, une sorte d'anarchie céleste...
Et tant pis pour ceux qui n'iront pas le voir !

vendredi 10 mars 2017

10 mars 2017 : documentaires 2 : un livre à recommander


L’œuvre, en réalité est assez facile à énoncer. Il s’agit de redéfinir le Nous, de reconstruire du Nous. Non plus du Nous contre Eux, mais du Nous avec Eux, du Nous en Eux.
(Christiane Taubira, Nous habitons le Terre, P. Rey, 2017)


J’avais beaucoup aimé, l’an passé, quand elle avait quitté le gouvernement, les Murmures à la jeunesse, que publiait Christiane Taubira (page du 5 février 2016). Elle remet ça, cette année, avec un superbe Nous habitons la terre, toujours chez le même éditeur, l’excellent Philippe Rey. Une autre réussite, aussi impressionnante de maîtrise d’écriture, de hauteur de vue et d’espérance à nous apporter. Que n’a-t-elle été candidate à la présidence ? Elle aurait eu ma voix, sans conteste !


Elle dénonce ici les inégalités et les violences qui régissent notre planète et la rendent perméable aux extrémistes de tous bords, et plus précisément, de l’extrême-droite : "C'est une géographie de l'épouvante. Une litanie de l'horreur. Une accoutumance à l'ignominie." Premières victimes : "Les pays du Sud" [qui] "sont les premières destinations de ces déshérités pris dans le tourbillon des passions destructrices, humaines, si humaines, trop humaines." Elle n’oublie pas cependant les pays victimes des violences de la colonisation et de la spoliation impérialistes et regrette, à ce titre, que la France n’ait toujours pas reconnu l’état palestinien. Elle ajoute que "la prédation s’étend, la puissance financière, insaisissable mais active, supplante toutes les puissances publiques quand elle ne les pervertit pas." Elle dénonce "le repli sur soi, l’appel halluciné à la fermeture des frontières tandis que le commerce, y compris celui de la force de travail, des corps, des fluides et des organes, gagne sans encombre la terre entière, signe le désarroi et déjà la défaite." Ce qui fait le lit, justement de ces extrémistes, et le rejet de l’Europe.
Elle remarque que les troubles qui nous touchent ici même "fleurissent sur la marais des inégalités sociales et des exclusions identitaires, à l'ombre de frustrations issues de discriminations et de rejet, en dépit d'efforts, de mérites et parfois de succès." Elle évoque le désastreux emploi de mots qui noient la réalité dans une novlangue proche de celle d’Orwell dans 1984 : "Par la prestidigitation du verbe, en l’occurrence un substantif creux [crise], il n’existe plus ni avidité, ni cupidité, ni amoralité, ni spéculation, ni divergence d’intérêt, ni antagonisme de classe,ni conflictualité démocratique. Juste la crise. Au singulier. Et, pour le plus grand nombre, le devoir de faire des efforts et de consentir à des sacrifices, surtout si l’on n’a pris aucune part à la banqueroute." Ainsi, pour la Grèce, dont les habitants payent pour les menteurs qui les ont dirigés...
Par ailleurs, la vulgarité "serpente évidemment sur les réseaux sociaux, cette alcôve à tous vents qui fait croire aux lâches qu'ils sont braves et libres. Cette vulgarité cavale à califourchon sur les grossièretés, les diffamations, la calomnie, l'infamie érigées en subversion de salon, de studio, de plateau, de comptoir." Cette même vulgarité qui règne partout et qui contamine la population, et surtout "ces enfants qui grandissent dans des quartiers ou des communes où il manque presque de tout sauf la télévision qui exhibe l’abondance, le superflu et l’oisiveté, la success-story d’hommes sans qualités, l’évidence d’un monde inaccessible et goguenard." J’avais bien remarqué ça lors de mon bref passage en Côte d’Ivoire où la télévision dévoyait les natifs vers un monde faux que décrit bien ici Taubira.
Comment lutter ? "Il nous reste à réapprendre à faire monde. Ou à apprendre à refaire monde. André Malraux assurait : L’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme. Définitivement, les arts et toutes les expressions de la beauté, du doute, de l’inachevé sont les chemins les plus lumineux de l’altérité." Car nous avons besoin de retrouver l’humanité : "Il est question de reconnaître notre commune condition humaine, de voir en l’autre un autre et en même temps un autre soi-même, de ne pas tricher avec la liberté et dire qu’elle est indivisible, de ne pas tourner la fraternité en dérision." Dieu merci, des hommes, au sens plein du mot, existent encore en France : "Aujourd’hui, malgré les hautes déclarations martiales et définitives proférées pour rassurer des gens pourtant peu disposés à se laisser amadouer, des Français accueillent. Ils reçoivent, soutiennent, accompagnent."
Et ce devrait être le rôle de la Gauche ? Christiane Taubira assure que "d’avoir cédé sur l’humanisme dans le vocabulaire, ne plus s’en réclamer, ne plus s’en inspirer ni dans la parole politique ni dans les programmes électoraux ni dans les controverses doctrinales, ne fait que révéler qu’elle a renoncé à penser la vie sociale ou à percevoir le monde, en première et ultime instance, sur le fondement de notre commune humanité." La Gauche s’est perdue quand elle a oublié la solidarité : "une idée, une nécessité, une ambition si belles et si essentielles qu’il leur faut [à ses adversaires] plusieurs contre-mots pour tenter de l’abattre : assistanat, parasitisme, fainéantise, feignantise, tricherie, escroquerie, fraude sociale, détournement. Leur lexique est moins riche pour l’optimisation et l’évasion fiscales, les infractions boursières, les délits d’initiés. […] Ce glossaire parle aussi de charges sociales pour nommer les cotisations de solidarité, de plan social pour déguiser des licenciements massifs, de mouvement social dans l’entreprise pour dépouiller la grève de sa puissance évocatrice et combative." Si les mots ne signifient plus ce qu’ils veulent dire, peut-on s’étonner de voir une frange importante de la population se tourner vers l’extrême droite ? Car "c’est par les mots que l’on enchante ou que l’on désoriente. Ce sont les mots qui viennent chercher au tréfonds de nous cette indomptable énergie qui nous propulse dans les belles énergies collectives, lorsque nous retrouvons confiance en nous et que nous renouons avec l’art de rêver ensemble" et on est bien obligé de constater que, malheureusement, la Gauche a perdu le vocabulaire de l’enchantement, en faisant une politique droitière, celle voulue par le sacro-saint Marché (Ah, ça leur va bien, de se moquer à tout-va des religions, eux qui s’agenouillent et se pâment devant le Veau d’or, le Profit, les Dividendes, les Actions, l’Évasion fiscale, et tout ce qui se rapporte à l’Argent).
Si l’on veut changer les choses, "il est temps de prétendre de nouveau de ne pas s’accommoder d’un monde qui crache le mépris en même temps qu’il propage la misère, qui traite les injustices comme une variable de prospérité, fait de l’exclusion un quotient du progrès et du profit, de l’exploitation humaine un critère d’opportunité." On en est bien loin aujourd’hui. Et, pourtant, plus que jamais, on a besoin de reconstruire un monde solidaire, fraternel, partageux. Sinon, nous courons tout droit à la catastrophe !

jeudi 9 mars 2017

9 mars 2017 : choses vues


« La maîtresse est morte, mais ça ne fait rien, on en a mis une autre à la place. »
J’admirais la sagesse de ces enfants, qui réduisaient la mort à ses justes proportions.
(Béatrix Beck, Léon Morin, prêtre, Gallimard, 1952)

Je me sens bien, ce matin.
Au supermarché :

« Vous pouvez me prendre ces bouteilles, là-haut ? » La vielle dame, dans les quatre-vingts ans et plus, est toute ratatinée, 1,50 m peut-être et ne peut atteindre le rayon du haut. Un visage avenant, jolie comme on peut encore l’être à cet âge avancé. Je lui attrape ses bouteilles.
« Merci, Monsieur. »
On discute un peu ;
« C’est dur de vieillir. »
« Oh, vous avez bien encore quelques plaisirs ! »
Elle sourit.
« Y en a plus tellement. »
« Vous avez bien encore de la visite ? »
« Les petits-enfants, oui, quand ils y pensent, une fois par mois, à peu près. Ma fille est épuisée, je la vois à peine.Tant qu’à [sic] mon fils, il travaille comme un nègre, il va se tuer au boulot, je n’existe plus pour lui. C’est la vie, faut faire avec !»
« Comme vous dites, mais la vie vaut quand même la peine, non ? »
Elle hoche la tête.
« Y a des moments où je serais mieux ailleurs ! »

À la queue de la caisse, un bonhomme (que je ne connais pas) me serre la main :
« Comment ça va ? »
« Pas trop mal ! »
« Et votre femme, comment va-t-elle ? »
Je suis un tout petit peu interloqué.
« Elle est décédée il y a huit ans. »
« Oh, excusez-moi ! Je dois vous confondre avec quelqu’un d’autre. »
« Je sais, j’ai pas mal de sosies. Y a pas de mal. »
Je vois qu’il a acheté pas mal de canettes de bière (sept en fait). Il passe à la caisse, me dit au revoir, s’excuse encore.
La caissière (petite cinquantaine) a une nouvelle coupe de cheveux. Je le lui fais remarquer (moi qui, d’habitude, ne remarque jamais rien) :
« Faut bien ! »
« Hé, vous êtes toute pimpante, on vous croquerait ! »
« N’exagérez pas, Monsieur. Mais merci quand même ; c'est pas tous les jours qu'on me fait des compliments. »

Sur le parvis du centre commercial : un groupe propose "L'arbre à palabres", pour organiser des rencontres de quartier, et se parler. Première rencontre : pendant que je serai en Guadeloupe. On verra au retour...

Dans le parc, je rencontre de nouveau mon bonhomme ; assis sur un banc, il déguste sa première (?) bière de la journée.
« Ah ! Ça fait du bien, il fait bon, ce sera une belle journée ! Et la première gorgée de bière, y a rien de meilleur ! »
Aurait-il lu Philippe Delerm ???



Le Belem, qui stationne à Bordeaux en ce moment






mercredi 8 mars 2017

8 mars 2017 : rencontres d'un autre type ou les joies de la découverte


J’ai voulu écrire mon journal, l’envie de dormir m’en a empêché
D’ailleurs, des événements d’une journée, lequel noter,
lequel laisser de côté, j’ai toujours du mal à en juger
(Shuntarô Tanikawa, L’ignare, trad. Dominique Palmé, Cheyne, 2014)


Il y a des jours plus propices aux rencontres avec des inconnus ou quasi-inconnus que d’autres... Le destin ? Le hasard ? L’inattendu ? Le monde est finalement plus riche de possibilités qu’on ne le croit. Seule la pantalonnade électorale écœurante actuelle (qui me fait regretter de ne pas être sur un cargo pour n’en rien savoir) pourrait nous faire croire le contraire.

Ainsi, en l’espace de deux jours, j’ai rencontré Sonja et Guilhem, deux randonneurs cyclistes catalans heureux, de retour d’un parcours de 13 000 km qui les a emmenés de Barcelone jusqu'au sultanat d’Oman à travers l’Europe et le Moyen-Orient, participé à une nouvelle réunion des Amis de l’Utopia 33, revu Grégory, le "fiancé" landais rencontré en 2012 lors de mon voyage à Tanger (voir mon blog du 5 mars 2012), enfin marié et qui m’a présenté sa femme marocaine et son bébé, et découvert l’artiste cinéaste Simon Quéheillard venu présenter ses œuvres.

Une arrivée colorée
C’est par le site Warmshowers, qui permet de mettre en relation les randonneurs cyclistes et des hébergeurs potentiels, que Sonja et Guilhem ont abouti chez moi, après un retour d’Oman par avion. Je suis inscrit sur le site depuis 2014, mais c’est seulement cette année que j’ai hébergé mes premiers cyclo-randonneurs, Tony en janvier, et les deux Catalans lundi 6 mars. Dans les deux cas, ce fut mémorable. Mes deux Catalans (29 et 31 ans) ne manquent pas de force : leurs vélos surchargés de bagages pèsent autour de 50 kgs (un peu plus pour Guilhem, un peu moins pour Sonja), et les transporter par avion est une épreuve. Après les avoir installés chez moi, je leur ai fait manger les reliefs du festin familial de la veille, puis les ai promener à la découverte de la ville, où nous sommes allés à pied, et pendant qu’ils sont rentrés préparer le repas du soir, je suis allé à la réunion des Amis de l’Utopia 33 où, à défaut de refaire le monde, nous espérons mettre en place une aide ponctuelle à l’animation de ce petit complexe cinématographique d’excellente qualité.

Un festin pour l'hôte !
En rentrant en V3 (le vélib bordelais), je n’ai eu qu’à mettre les pieds sous la table et à déguster l’honorable tortilla catalane accompagnée de toasts préparés par mes deux invités. J’apprends que de tous les pays visités lors de leur périple, le préféré fut l’Iran, où l’accueil populaire fut formidable, aussi bien chez l’habitant que pour planter leur tente. Comme quoi la propagande occidentale médiatique anti-iranienne est à prendre avec des pincettes. Ils vont rentrer à Barcelone en longeant la Garonne puis le Canal du Midi jusqu’à Carcassonne, se reposer quelques mois, puis repartir visiter cette l’Asie centrale musulmane (les ex-républiques soviétiques ouzbèkes, turkmènes, kirghizes et tadjikes). Leur site internet est en construction. Et, mardi matin, après ma séance de kiné, je les ai raccompagnés à vélo jusqu’au Pont de pierre pour leur dire au revoir... Qui sait ?

devant le Monument des Girondins

Depuis 2012, j’avais perdu de vue Grégory et ses problèmes matrimoniaux. Mais j’ai le privilège qu’on aime garder mon contact, et il y a trois semaines, il m’a téléphoné pour me dire qu’il serait ravi de me revoir et de me présenter sa petite famille. Chose faite donc depuis hier : ils sont venus à Bordeaux pour le renouvellement de la carte de séjour de Khadija – les arcanes de l’administration sont toujours aussi effrayants de lourdeur et de suspicion, heureusement qu’ils ont fait un enfant, car on le soupçonnerait de mariage blanc ! – et je les ai invités à déjeuner à la maison, vu le temps assez maussade qu’il faisait. Le bébé de onze mois, levé tôt, et qui n’avait guère dormi depuis, était assez grognon, mais tout s’est bien passé. Les retrouvailles ont été suffisamment fécondes pour qu’ils m’invitent à leur rendre visite à Lubbon, où ils habitent... Qui sait ?






 De commencements en commencements 
    (image du film, cop blog de l'artiste)


Quant à Simon Quéheillard, venu présenter ses trois courts métrages Le travail du piéton (où des plans fixes nous montrent la bouche d’un escalator : des objets intrusifs, bouts de plastiques, cartons, cannettes, bouteilles en plastique, verres, viennent perturber à peine le passage des piétons), Maître-Vent, où le cinéaste, placé en bord de route s’efforce de de mettre en place des objets empilés (cartons, plastique, bois, parapluies) que les courants d’air engendrés par la circulation font vaciller puis voler, et De commencements et commencements (qui pourrait s'intituler De catastrophe en catastrophe), où des objets tombés du ciel perturbent la marche d’un piéton impassible sur les trottoirs d'une ville sans habitants. Ces films d’artiste font montre d’un sens du burlesque proche du cinéma muet ancien (Keaton, Laurel et Hardy, Chaplin) et m’ont paru d’une étonnante qualité visuelle (aucun dialogue, plans fixes, bande sonore très élaborée) : j’étais scotché devant cette poésie en images. Près de cent personnes assistaient à cette séance exceptionnelle. Peut-être reverrai-je cet artiste... Qui sait ?

dimanche 5 mars 2017

5 mars 2017 : une pièce de Goethe


Malheur à qui, loin de ses parents et de ses frères et sœurs, mène une vie solitaire, le chagrin l’empêche de profiter même du plus grand bonheur, l’essaim de ses pensées le ramène toujours vers la demeure de son père, là où le soleil d’or, pour la première fois, lui ouvrit le ciel, où dans les jeux fraternels se nouaient les liens les plus tendres et aimants.
(Johann Wolfgang von Goethe, Iphigénie en Tauride, trad. Bernard Chartreux, L’Arche, 2016)




Je n'avais pas lu de pièce de Goethe depuis des décennies. je me souviens que son théâtre m'avait enthousiasmé pendant mes années lycée. Qu'on avait même joué Egmont à la télévision vers 1962 (?). Impensable aujourd'hui, où le théâtre classique (même français) est relégué aux oubliettes !


Iphigénie en Tauride se passe plus de dix ans après le début de la guerre de Troie. On retrouve Iphigénie, sauvée du sacrifice à Aulis par la déesse Diane, exilée comme prêtresse de cette même déesse dans ce lointain pays barbare, où elle a réussi à convaincre le roi Thoas de renoncer aux sacrifices humains des étrangers qui débarquaient sur le rivage, sacrifices que l’on offrait à la déesse. Le roi Thoas, veuf et qui vient de perdre son dernier héritier, demande à la jeune femme de l’épouser. Elle réserve sa réponse. Or, voilà que débarque Oreste, accompagné de Pylade, venus dérober la statue de la déesse. Oreste était un tout jeune garçon quand Iphigénie disparut soudain à Aulis. Aussi ne se reconnaissent-ils pas. Mais Thoas, ulcéré par le refus possible d’Iphigénie, lui ordonne de reprendre les sacrifices en sacrifiant les deux étrangers qui viennent de fouler le sol de Tauride. Iphigénie, peu encline à relancer les sacrifices humains, interroge Oreste et Pylade, et de fil en aiguille, découvre qu’Oreste est son frère. En fin de compte, Iphigénie, Oreste et Pylade pourront quitter la Tauride, Iphigénie réussissant à panser par sa douceur et sa bonté l’âme revêche du roi

 
Bien sûr, on peut voir ici, dans cette modernisation de la tragédie d’Euripide, le fruit du siècle des Lumières et de la condamnation des coutumes barbares. Oreste, qui arrive, après avoir tué sa mère Clytemnestre (pour venger le meurtre de son père Agammemnon), n’est qu’un jeune homme rongé par le remords, Il est devenu presque fou, et il faudra le tendre dévouement d’Iphigénie pour le convaincre de renaître à la vie et de la ramener avec lui en Grèce. Pylade avait conseillé à Iphigénie de mentir au roi Thoas, pour masquer leur fuite. Mais Iphigénie, noble âme, choisit de dire la vérité au roi. Thoas, bien que rustre et sauvage, est ébloui par la persuasion de la jeune vierge, et les laisse quitter la Tauride.

Cette superbe pièce de Goethe est présentée ici dans les deux versions, la primitive en prose, et la version finale en vers. C’est tout bonnement merveilleux !