samedi 29 mai 2021

29 mai 2021 : reboiser l'âme humaine

 

C’est la société qui est malade. Il nous faut la remettre d’aplomb et d’équerre, par l’amour, et l’amitié, et la persuasion. Sans vous commander, je vous demande d’aimer plus que jamais ceux qui vous sont proches. Le monde est une triste boutique, les cœurs purs doivent se mettre ensemble pour l’embellir, il faut reboiser l’âme humaine. 

(Julos Beaucarne, Lettre ouverte après la mort de sa femme, 1975)


Sortant de mes examens médicaux sous anesthésie et encore tout engourdi (j’ai dormi presque dix heures d’affilée cette nuit, ce qui ne m’était plus arrivé depuis… disons une trentaine d’années !), je me prépare à mon tout premier déplacement à la rencontre d’amis et de membres de la famille non vus depuis deux ans : comme disait Julos Beaucarne, j’ai envie de reboiser mon âme et, s'il se peut, celle des autres.

Ce chanteur belge m’avait tellement plu que je suis allé deux fois le voir, à Tarbes quand j’étais encore célibataire, vers 1976, puis à Toulouse avec Claire, après notre mariage, sans doute en 1980 : nous l'appelions entre nous Julos, sans préciser le nom, tant c'était pour nous un ami. J’avais un ou deux 33 tours de lui. Il a aussi écrit pas mal de livres, il a été conteur (écoutez son sketch le petit Jésus : https://www.youtube.com/watch?v=3N5bwshWLm0), comédien et même sculpteur. Il a maintenant 84 ans, et est toujours anarcho-écologiste : il avait un disque intitulé Front de libération des arbres fruitiers, ce dont Claire s'est souvenue en nous faisant adhérer à l’Association des croqueurs de pommes



Il a chanté les poètes (Victor Hugo, Verlaine, Éluard et bien d’autres), s’en est même gentiment moqué dans des sketches (Le lac de Lamartine : https://www.youtube.com/watch?v=tqyRgOxtoU4, qu’on devrait bien faire écouter aux lycéens pour leur faire apprécier ce très beau poème) ou les a mis en musique pour les faire chanter par d’autres (par exemple Marceline Desbordes-Valmore, un peu trop oubliée aujourd’hui, victime du machisme des professeurs de littérature). Julos ne l'a jamais été, machiste.

En attendant la prochaine chanson du mois, écoutez la Chanson pour Loulou, sa femme, composée après son assassinat :

https://www.youtube.com/watch?v=dI8wRPTniSo

T’es partie sur l'coup d’une heure
En février, à la chandeleur
Et l'hiver a repris vigueur
Au fond d'mon cœur

Je suis resté seul sur le pont
 

Avec nos deux p'tits moussaillons

I parait qu'on t'a vu passer
Dans les pays de l'autre côté

Ceux qui l'ont dit en ont menti
Car quand le soir est doux ici
Je sens ton sourire qui revient
Et la caresse de ta main

Je sens que tu es tout contre moi
Que ta fraîcheur pénètre en moi
Que tu me dis dedans l'oreille
Des mots d'amour doux comme le miel

Pourtant des fois quand j'y pense pas
Je m'dis que j'te reverrai pas
J't'entends alors rire aux éclats
De l'aut' côté de la paroi

Il est des amis du Québec
Qui te parlent parfois le soir
En même temps t'es à Carpentras
A Méthamis et à Java

La mort fait voyager son monde
Tu vas plus vite que le son
T'es partout sur la terre ronde
T'es devenue une chanson

 

mercredi 26 mai 2021

26 mai 2021 : la vie continue


J’ai besoin d’air ; j’ai besoin d’être entourée de champs nus, de sentir mes jambes arpenter les routes ; besoin de sommeil et de vie tout animale. Mon cerveau est trop actif.

(Virginia Woolf, Journal intégral : 15 octobre 1930, Stock, 2008)


En attendant mes prochains déplacements, et entre deux rendez-vous médicaux, j’essaie de faire du vélo (quand il ne pleut pas), je lis beaucoup, j’écris un peu et j’ai recommencé à voir des films au cinéma !



C'est mon premier livre venant de Guyana (ex-Guyane britannique) d’un auteur qui m’était absolument inconnu, Edgar Mittelholzer, et d’ailleurs non référencé dans Wikipedia. Ce métis, qui a beaucoup souffert du racisme (difficile d’échapper aux questionnements identitaires dans son cas), a fini par se suicider à cinquante-six ans. Il est donc originaire de ce petit pays (enfin, pas tant que ça, près de trois fois la Guyane française), situé à l’est du Venezuela. Il fut découvert par le mari de Virginia Woolf, n’oublions que ce dernier avait lancé avec sa femme une maison d’édition devenue célèbre, la Hogarth press. Mittelholzer a écrit plusieurs livres dont un publié par Gallimard dans les années 50

  Eltonsbrody est paru en 2019 aux éditions du typhon. Ce roman gothique se déroule à la Barbade dans les années 50. Un jeune peintre, Woodsley, débarque pour une villégiature ; les hôtels sont complets. Il est accueilli dans une grande maison étrange, battue par les vents et la pluie. Mrs Scaile, la propriétaire, a condamné plusieurs chambres de la maison à la suite de la mort de son époux, un médecin noir très apprécié dans le pays. L’atmosphère est plutôt troublante, lugubre. La logeuse se révèle un personnage inquiétant, morbide : elle prétend voir une "marque" sur les personnes dont la mort est programmée. Eltonsbrody (nom de la maison et titre du livre) se montre haletant, aux frontières du fantastique et du polar ; le narrateur mène une enquête sur les secrets de la vieille dame. Que va-t-il découvrir ? Un bon livre qui, bien que venu de la Caraïbe, est très "british". Une belle découverte faite en bibliothèque.

Et un nouveau livre de l'auteur vient de paraître aux mêmes éditions : Le Temps qu'il fait à Middelshot.

 

Un homme, John, qui vit en Californie avec son mari, Eric, et leur fille adoptive Monica, décide avec sa sœur Sarah, de faire venir leur père Willis (qui habite dans une ferme de l’Illinois, mais est atteint de démence sénile) quelques temps en Californie, afin de lui trouver une maison pas trop éloignée pour pouvoir le secourir. À partir de ce point de départ, ce drame familial, Falling, réalisé par l’acteur Viggo Mortensen (que j’ai eu le plaisir de voir de près au Festival de Marrakech il y a quelques années), fait le portrait d’un homme fruste, tyrannique avec sa femme et ses enfants, et finalement malheureux. Et quand il découvre l’homosexualité de son fils, il ne décolère pas. Le montage est éclaté, de fréquents retours en arrière font appel aux réminiscences du père… Je ne veux pas trop en dire pour ne pas dévoiler l’intrigue davantage. Mais c’est un film humain, centré sur le pardon : en effet, John a besoin de pardonner afin de pouvoir continuer à vivre.

L’acteur qui joue le père, Lance Henriksen, est extraordinaire, ainsi que toute la distribution. Viggo Mortensen s’est réservé le rôle du fils. Fera-t-il, comme Paul Newman, une belle carrière de réalisateur très exigeant ? On verra.

 *                *                *

Sur ce, je file en clinique pour une fibroscopie-coloscopie.

vendredi 21 mai 2021

21 mai 2021 : ciné, la reprise

 

« Je pense depuis longtemps déjà que si un jour les méthodes de destruction de plus en plus efficaces finissent par rayer notre espèce de la planète, ce ne sera pas la cruauté qui sera la cause de notre extinction, et moins encore, bien entendu, l’indignation qu’éveille la cruauté, ni même les représailles de la vengeance qu’elle s’attire… mais la docilité, l’absence de responsabilité de l’homme moderne, son acceptation vile et servile du moindre décret public. »

(Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne, Flammarion, 2019)



Me voilà enfin un peu plus libre, puisqu’il a bien fallu accepter toutes les contraintes de cette dernière année : confinement, attestations pour se placer, interdictions de ceci ou de cela, obligations diverses (dont de se faire vacciner, alors qu’il n’y avait nul endroit pour ce faire), fermetures de tous les lieux culturels ou de réunion. On nous a rendus dociles, comme disait Bernanos. Autrefois, c’était les religions qui nous faisaient cet effet-là ; aujourd’hui, c’est la démocratie associée aux dictatures ! Et pendant ce temps-là, marchands d’armes, pollueurs d’océans, de rivières, de lacs et de terres cultivables, déforestateurs et massacreurs de populations réfractaires au déboisement, fabricants de réchauffement climatique et milliardaires de tous bords ont doublé leurs fortunes, et aucune contrainte ne leur est appliquée.

J’ai quand même pu étrenner les salles obscures et y aller à vélo, en privilégiant le chemin des écoliers, mercredi et jeudi ayant été de belles journées. J’ai pu retrouver à nouveau les Amis de l’Utopia 33 et partager un pot. J’ai donc vu à l’Utopia mes quatre premiers films depuis sept mois.

Passons rapidement sur Slalom, un film qui narre l’emprise d’un coach sportif sur une ado de quinze ans abandonnée par sa famille à ce pervers qui va jusqu’à la violer. Ce film, au demeurant bien fait et parfois beau, m’a mis extrêmement mal à l’aise, et je le déconseille aux âmes sensibles. 


À l’opposé, Josep, tout aussi tragique, puisqu’il raconte l’arrivée en France en février 1939 des réfugiés espagnols - et précisément catalans. La IIIème République ne sort pas grandie du triste accueil qu’elle leur a fait. Le comportement de la police française, raciste, haineuse, est fustigé. Un gendarme, toutefois, se révèle humain, et aidera Josep à fuir. Ils se retrouveront après la guerre au Mexique, où Josep Bartoli a trouvé refuge et s’est lié à Frida Kahlo. C’est un film d’animation que j’avais raté l’an dernier, et une réussite merveilleuse, à la fois humaine et artistique. Je n’en dis plus, mais courez le voir.


Un pays qui se tient sage, documentaire choc de David Dufresne, rend compte d’une actualité longtemps ignorée, sous-estimée, celle de la brutalité policière envers les gilets jaunes. C’est tout bonnement sidérant. On y voit des images de violence projetés sur grand écran et des personnes les regarder, les commentant éventuellement : des éborgnés, des femmes gilets jaunes en colère, des philosophes, des sociologues, des policiers, des avocats, des juristes, etc. C'est impressionnant, ça abasourdit, dans un premier temps. Ce qu’on voit ce sont des images captées par des manifestants eux-mêmes, avec les smartphones (pour une fois que ces engins servent à quelque chose), mais aussi par la police qui semble fière de son travail (la scène des lycéens humiliés, mis à genoux pendant trois heures et demie, filmée par un policier goguenard, qui n'arrête pas de dire : "Au moins, voilà une classe qui se tient sage) : tabassages en règle de manifestants projetés à terre et recevant des coups d’une barbarie, d’une férocité, d’une cruauté, d’une sauvagerie à peine croyables. Il s’agit clairement, en termes de maintien de l’ordre, de faire peur à de futurs manifestants pour qu'ils ne viennent plus ! Cette irruption du réel au cinéma (habituellement réservé au factice), nous permet de mieux saisir les mensonges des politiques, la désinformation constante et immuable des chaînes d'infos en continu et des télés, ça m’avait frappé dès les premiers reportages biaisés qu’elles nous donnaient et les commentaires des fameux "experts". Un documentaire nécessaire et essentiel (mot à la mode, je sais).

 

Quant à Mandibules, la nouvelle comédie de Quentin Dupieux, elle m’a fait bidonner, ce qui est rare et inhabituel. On nage dans l’absurde avec ses deux anti-héros Manu et Jean-Gab, deux amis un peu idiots du village, à la diction traînante, qui se trouvent aux prises avec un insecte géant qui leur fait louper un coup qui devait leur rapporter 500 €. Certes, on peut trouver les deux loufdingues un peu épais (les acteurs David Marsais et Gregoire Ludig, épatants), un peu lourdauds et demeurés. Mais quand ils débarquent (à la suite d’une erreur de ressemblance) dans la villa bourgeoise occupée par de jeunes amis en vacances, où ils paraissent incongrus (mais les jeunes, trois filles et un garçon, semblent tout aussi déjantés), les deux compères sont pris au piège. La mouche géante va pouvoir jouer son rôle, que je ne révélerai pas. Les dialogues deviennent plus vifs, le personnage d’Adèle Exarchopulos, hilarante, aide les scènes de la villa à dynamiter le film : ça devient encore plus dément. Le cinéma comique gagne à être court : 1 h 15 ici. Ceci étant, je pense que ça ne plaira pas à tout le monde : tant pis pour les pisse-froid, j’ai passé un bon moment. 

                                    derrière le guichet, l'homme à la casquette rouge, c'est moi !

                                                (photo Michel Ibanez)
 

lundi 17 mai 2021

17 mai 2021 : le bonheur sans smartphone

 

Il faut résister à cette évolution dramatique. Chaque fois qu’on privilégie le contact humain, qu’on enseigne à un enfant ou qu’on soigne sans écran interposé, c’est une forme de résistance. Ce sont des valeurs humaines fondamentales qu’il s’agit de défendre aujourd’hui.

(La décroissance, avril 2021, n°178, Sabine Duflo, psychologue clinicienne)


Je suis de plus en plus frappé par l’addiction contemporaine au smartphone. De plus en plus difficile de trouver un lieu où cet instrument n’a pas envahi les mains de 90 % des individus : que ce soit dans les rues ou sur les trottoirs, dans les magasins, sur les bancs publics, dans les parcs, dans les bus, les trams, les trains, les couloirs et salles d’attente des cliniques et hôpitaux (où je suis malheureusement obligé de traîner un peu trop à mon goût), sur les chantiers, au volant (assez souvent), juché sur un vélo (id.), debout, assis, couché, chacun pianote de bon cœur ou fait défiler des trucs avec son doigt. On parle d’utilisation de cette machine plus de six heures par jour. Elle sert même à téléphoner de temps à autre, figurez-vous ! Le confinement aurait développé son usage d’une façon exponentielle.

Et moi, comme un dinosaure, je fais partie des 1 % qui refusent l’engin ! Il paraît que mon téléphone portable que, d’ailleurs, j’oublie souvent à la maison quand je sors, devrait être mis dans un magasin d’antiquités… C’est que je ne suis jamais si heureux que quand je suis déconnecté : à pied, à vélo, dans le train, en cargo, en voyage de façon générale, quand je suis avec des amis, quand je lis ou écoute de la musique, quand je vais au cinéma ou au théâtre (c’est pour bientôt), quand je vais au café et au restaurant (id.), quand je suis en réunion, etc. Et je suis déconcerté quand je vois telle ou telle personne garder en permanence son smartphone à la main et l’allumer quand elle reçoit une notification, ce qui est fréquent. Je ne veux pas de ça, donc, je me limiterai à un téléphone minimaliste. Et tant pis pour moi si je c’est plus compliqué puisque maintenant tout semble passer par ce redoutable outil : "les institutions passent de plus en plus par le numérique, que ce soit les impôts, Pôle emploi, la CAF, etc, et qu’elles nous rendent incapables de gérer notre propre vie sans numérique" (Christophe Cailleaux, La Décroissance, N° 163, octobre 2019)


C’est une plaie pour l’éducation : "Le bébé est capable de regarder l’autre parce qu’il a été suffisamment regardé, il ne peut dire « je » que parce que quelqu’un lui a dit « tu ». Or, on observe aujourd’hui des interférences de la technologie dès les premiers mois de la naissance : des futures mamans qui consultent en moyenne leur portable six heures par jour ne se défont pas si facilement de cette habitude une fois devenues mères" ai-je lu. C’est de la maltraitance numérique que de les placer devant des écrans à six mois : "Je me demande si cette société est encore capable de supporter les enfants, quand elle préfère les placer devant des contenus qui les hypnotisent", nous dit une orthophoniste.

Et ne parlons pas des dégâts causés dans les apprentissages des enfants et des adolescents : "le smartphone est en train de devenir un prolongement du cerveau, de la pensée. On ne sait plus mémoriser les numéros de téléphone par cœur, on perd la capacité de s’orienter en s’en remettant au GPS, les compétences en calcul mental déclinent avec l’utilisation des calculettes". Sans compter l’aspect espionnage ou flicage des parents qui veulent savoir en permanence où sont leurs enfants : finis les jeux de piste en plein air en liberté sans les adultes de notre enfance, sans parler des plaisirs intenses de l’école buissonnière. Je suis comme cette adepte de la sobriété volontaire : "je ne veux pas d’un truc qui fait bip-bip dans mon sac, je veux rester injoignable quand je suis dehors, c’est tout. C’est comme pour la consommation : si je ne dépense pas, ce n’est pas forcément par démarche écolo mais parce que je ne veux pas me compliquer la vie avec des trucs inutiles".

Je reviens de Poitiers où j’ai passé deux jours avec l’amie Odile qui, à quatre-vingt-seize ans, n’a évidemment pas de smartphone. Eh bien, c’était le bonheur absolu d’être ensemble, de parler ou de faire silence, de se promener sans être dérangés par des bip-bip, de rencontrer d’autres promeneurs avec qui échanger quelques mots, de vivre, quoi, et pas par écrans interposés ! Sans compter le coût écologique de toutes ces machines qu’il faut recharger sans cesse et dont les matériaux qui les composent sont souvent extraits dans les mines des pays pauvres par des quasi-esclaves, parfois des enfants. 

 

jeudi 13 mai 2021

13 mai 2021 : garde à vue pour la liberté

 

ne pas regarder les informations télévisées est une condition de l’hygiène mentale et intellectuelle.

(Bernard Legros, La Décroissance, N° 177, mars 2021)



Je reçois ce jour le communiqué de l’Association France Palestine Solidarité. Cette association organisait hier une manifestation de soutien à la population palestinienne emprisonnée (rappelons qu’on ne peut pas sortir de Gaza), humiliée quotidiennement par la soldatesque extrêmement violente, obligée de passer par des check points qui la bloquent chaque jour, qui voit ses enfants mineurs arrêtés, violentés et torturés en prison, et désormais chassée de chez elle, de ses maisons (qui sont régulièrement détruites), de ses champs (envahis et confisqués par des colons), qui voit ses champs d’oliviers arrachés, à qui on rend la vie impossible, et qui se défend comme elle peut, les résistants étant immédiatement criminalisés et classés comme terroristes.

La France sous la botte allemande aurait-elle accepté d’être occupée plus de soixante-dix ans ? On peut en douter. Encore que, quand on voit la dictature de la peur qui s’est installée par une propagande effrénée depuis deux ans, et qui fait que la population dans son ensemble se confine, accepte masques, couvre-feu, gestes barrière (je dois être un redoutable criminel de ne pas m’écarter systématiquement quand je croise un pékin sur le trottoir : il ou elle me lance un regard furibard neuf fois sir dix), lois liberticides et confiscation de presque toutes les libertés, on n’en doute plus tellement. L’interdiction de manifester pour toute autre chose que d’approuver les béni-oui-oui du système médiatique en est un signe.

Le président de l’AFPS a donc été arrêté, menotté et placé en garde à vue une nuit entière. Le gouvernement pourtant et le médias mainstream n’ont pas de mots assez durs pour dire le mal qu’ils pensent du traitement infligé aux opposants en Chine, en Russie, au Venezuela ou ailleurs, mais quand il s’agit d’Israël qui, depuis plus de trois semaines, essayaient de chasser les Palestiniens de leurs maisons de Jérusalem-Est, on n’en soufflait mot ni à l’Élysée, ni dans la presse. Et maintenant que les Palestiniens se rebellent, on considère en haut lieu que ce sont eux les coupables, à entendre les sons de cloche de la radio, de la télé et du gouvernement. Pardi, ils n’ont qu’à se laisser faire, c’est la raison du plus fort qui "est toujours la meilleure", on le sait bien depuis La Fontaine.

On sait pourtant depuis pas mal de temps que la colonisation est dégueulasse : pourquoi ne le serait-elle pas en Palestine ? Les colons israéliens seraient-ils meilleurs que les autres ? Ils sont tout aussi racistes, prédateurs, massacreurs, voleurs de terres, destructeurs de sociétés que le furent les Américains, les Anglais, les Espagnols, les Portugais, les Néerlandais, les Italiens, les Allemands et les Français (et sans doute d’autres encore) en leur temps, le joli temps des colonies. On croyait ce temps fini. On avait tort. La puissance des armées, des forces de police et des capitalistes s’est tellement accrue que c’est devenu plus facile aujourd’hui. La FrançAfrique ou les USA avec leurs républiques bananières ont bien démontré qu’on peut continuer la domination coloniale sous d’autres formes : toujours "la raison du plus fort" !

Enfin, voici le texte publié par l’AFPS :

Ce mercredi 12 mai peu avant 19 heures, le président de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS), Bertrand Heilbronn, 71 ans, a été arrêté à la sortie du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères où il avait été reçu par un conseiller du Ministre au sein d’une délégation comprenant des parlementaires, des représentants associatifs et syndicaux.

Ironie de l’histoire : ce sont les policiers qui ont escorté la délégation jusqu’au lieu du rendez-vous, qui ont ensuite arrêté Bertrand Heilbronn à la sortie de l’entretien.

Nous exigeons sa remise en liberté immédiate !

L’AFPS avait fait une déclaration de manifestation appelant, dans le cadre du Collectif pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, à un rassemblement de soutien au peuple palestinien.

La préfecture de Paris, de manière totalement inédite, avait interdit ce rassemblement alors que jamais il n’y a eu le moindre problème pour les manifestations que nous avons toujours organisées en lien avec les autorités.

L’AFPS avait informé par tous moyens de l’interdiction. Bertrand Heilbronn et les responsables d’associations étaient présents pour informer ceux qui se présentaient de l’interdiction et faire en sorte que les choses se passent le mieux possible.

De fait, à part la restriction de la liberté d’expression, les choses se sont passées sans aucun problème : aucun trouble à l’ordre public.

Quel est ce pouvoir qui cueille à la sortie d’un ministère le président d’une association défendant le droit et les droits humains, juste après l’avoir reçu, lui signifie sa garde à vue, le menotte à un banc à son arrivée au commissariat ?

L’interdiction de cette manifestation nous amenait à dire – ce que nous savions déjà – que la liberté d’expression et les libertés publiques sont en danger dans notre pays, mais cette arrestation nous amène à dire qu’un seuil a été franchi.

Demain, dans la semaine, la semaine prochaine, les groupes locaux de l’Association France Palestine Solidarité, aux côtés de leurs partenaires, organisent des rassemblements de solidarité avec les Palestiniens de Jérusalem, de Gaza qui sont sous le feu de l’armée d’occupation israélienne. Ce ne sont pas des méthodes dictatoriales qui nous empêcheront de le faire.

Si les inconditionnels du gouvernement israélien pensent nous faire taire et nous intimider avec de tels procédés, ils se trompent.

Nous sommes du côté du droit, ils le savent et c’est ce qui fait notre force. Nous exigeons la remise en liberté immédiate du président de notre association.

Le bureau national de l’AFPS
Le 12 mai 2020

 

Vive le droit de manifester ! Sinon, "nous ne sommes plus maîtres de nos vies. Nous sommes prêts à tout accepter, tout le temps. Nous ne devrions pas admettre cela. [...] Bon, voyons quand même le côté sympathique : braver un peu les interdits – on ne risque quand même pas grand-chose – a un côté agréable". (La décroissance, avrll 2021, n°178, Sous la dictature sanitaire).

mardi 11 mai 2021

11 mai 2021 : Migrants 11, un exemple de solidarité active

 


Un oiseau, pour nous, c’est toujours jeune ; ça ne vieillit pas.

(Hoda Barakat, Courrier de nuit, trad. Philippe Vigreux, Actes sud, 2018)


Et voilà que je tombe encore sur un livre qui fait du bien, grâce à la manif du 1er mai, où ledit livre était vendu à la criée par le Secours populaire de Bordeaux : Cathy et Adam, Notre solidarité n’a jamais été confinée.

Cathy, dans les 70 ans, vient de perdre son mari d’un cancer du poumon. Elle, atteinte depuis vingt ans d’une sclérose en plaques, vit très mal cette solitude nouvellement imposée par le deuil. Adam, la vingtaine, nouvellement arrivé du Tchad, où il a laissé sa mère et ses sœurs, veut continuer ses études et, en attendant, est bénévole au Secours populaire, où il est très apprécié, notamment par Vincent, la cinquantaine, fils de Cathy. Adam vit dans un foyer où ils sont huit par chambrée. Vincent propose à sa mère de loger Adam dans la chambre d’ami et ainsi de rompre la solitude et de trouver une raison de vivre. Il pourra l'aider dans des tâches diverses, au jardin et à la maison, et lui offrira sa compagnie et, peut-être, son amitié.

Et la mixture prend. Adam se révèle indispensable. "Adam a sauvé Cathy d’un isolement qu’elle n’était pas en mesure, là, de supporter. Cathy a sauvé Adam d’une promiscuité et d’une précarité qui l’auraient peut-être, là, fait sombrer". Cathy lui apprend à cuisiner. Adam, qui a appris la couture au Tchad pour payer ses études, se révèle formidable pour fabriquer des masques anti-covid. Sa juvénilité rend une sorte de joie de vivre à Cathy. Leur belle histoire donne lieu à des articles dans Sud-Ouest, le Huffington Post, Le Parisien, Femme actuelle. "Maintenant, je voudrais vraiment faire connaître l’histoire de ces jeunes qui viennent chez nous, pas pour « manger notre pain », comme disent certains, mais pour se construire un avenir", dit Cathy. Et ceci malgré les réticences des méchants : « Et il vous paye un loyer, au moins ? », entend-elle dans son entourage.

Son mari était le petit-fils d’un résistant, fusillé par les nazis ; Cathy et son mari ont toujours vécu dans la bienveillance. "Lorsque je vois des enfants, des femmes, des hommes à nos frontières, je me dis que c’est nous hier. Il n’y avait pas de mer à traverser", dit Cathy. Et Adam : "J’espère que cette amitié, cette fraternité, vont durer encore longtemps" ! Souhaitons-le aussi pour conserver une bonne image de notre France accueillante, ouverte, solidaire, humaine, capable de recevoir et de donner, et qui refuse de se replier sur elle-même !

 

dimanche 9 mai 2021

9 mai 2021 : le poème du mois, Paul Éluard

 

La poésie indispensable. Je conçois cependant qu’on puisse l’ignorer absolument. N’est-ce pas le cas d’une majorité écrasante ? Cette singularité, cet anachronisme, ce ridicule (ce mauvais goût), c’est le tribut à payer à l’opinion générale.

(Jacques Morin, Quelques éditos un peu rigolos ou pas trop sur cent numéros, Rhubarbe, 2018)


En ce temps de dureté générale (je viens d’écouter à 9 h un reportage sur le traitement de la pandémie par Bolsonaro au Brésil), et je songe à ma grand-mère qui avait vécu des temps difficiles avec les deux guerres mondiales, et qui aurait reculé d’horreur devant tout ce qu’on voit depuis trente ou quarante ans. Elle m’aurait dit : « Tu vois, au fond, moralement, c’est Hitler qui a gagné la guerre. Les civils sont en première ligne contre les soudards de toute sorte. »

Dans ces moments, je me plonge dans la poésie, peut-être pas la plus grande, mais celle qui fait du bien. C’est pourquoi je propose pour ce mois-ci (Gabriel Péri fut arrêté le 18 mai 1941) un poème de Paul Éluard paru Dans Au rendez-vous allemand (Minuit, 1944) ; j’ai mis en caractères gras la strophe 3, qui m'aide quand je pense toujours à mes amis migrants :

« Gabriel Péri »

 Un homme est mort qui n’avait pour défense 
 Que ses bras ouverts à la vie
 Un homme est mort qui n’avait d’autre route
 Que celle où l’on hait les fusils
 Un homme est mort qui continue la lutte
 Contre la mort contre l’oubli

 Car tout ce qu’il voulait
 Nous le voulions aussi
 Nous le voulons aujourd’hui
 Que le bonheur soit la lumière
 Au fond des yeux au fond du cœur
 Et la justice sur la terre

 Il y a des mots qui font vivre
 Et ce sont des mots innocents
 Le mot chaleur le mot confiance
 Amour justice et le mot liberté
 Le mot enfant et le mot gentillesse
 Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
 Le mot courage et le mot découvrir
 Et le mot frère et le mot camarade
 Et certains noms de pays de villages
 Et certains noms de femmes et d’amis

 Ajoutons-y Péri
 Péri est mort pour ce qui nous fait vivre
 Tutoyons-le sa poitrine est trouée
 Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux
 Tutoyons-nous son espoir est vivant.