nous qui ne savons plus ce qu’est la mort somptueuse, nous qui cachons la mort, qui la taisons, l’évacuons au plus vite comme une affaire gênante, nous pour qui la bonne mort doit être solitaire, rapide, discrète
(Georges Duby, Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde, Gallimard, 1986)
La ville de Bordeaux a accueilli le 2ème Contre-salon des vieilles et des vieux du 26 au 28 septembre dernier, organisé par le CNAV (Conseil National Autoproclamé de le Vieillesse). L'idée est de "ne rien vendre, partager simplement des expériences, des bouts de savoir, histoire de prendre en main notre vieillesse et de ne pas laisser des experts parler en notre nom", ainsi que le proclame la devise du CNAV, "RIEN POUR LES VIEUX SANS LES VIEUX". Des expositions, des assemblées plénières, des ateliers, des animations artistiques (musique, danse, théâtre, lectures), des conférences faisaient partie d'un programme très chargé. Il y avait du monde et ce fut un grand succès.
Parmi les thèmes abordés, projets inter-générationnels, habitat partagé pour seniors, la vieillesse des minorités, la place des vieux dans la cité, les vieux et la transition écologique, la transmission, la représentation des vieux, la grande dépendance, les coopératives d'habitants, que pense-t-on des vieux ?, la précarité, apprivoiser la mort, l'isolement, le corps, l'accès à la culture, l'accès aux droits, les EHPAD, la retraite, le sens de la vie, etc... C'est dire la variété des échanges qui entraînait qu'il y avait quatre ateliers en même temps dans des lieux différentes. Impossible donc de participer partout. Il fallait choisir.
Pour ma part, je n'y suis allé qu'un après-midi et j'ai pu assister à l'atelier "Le sens de la vie" où les intervenants avaient interviewé un certain nombre de vieilles et de vieux pour leur demander comment ils avaient eu l'impression d'avoir réussi à donner un sens à leur vie. C'était impressionnant. Puis j'ai enchaîné sur les conférences "comment apprivoiser la mort aujourd'hui". Dans un monde où la mort est souvent médicalisée et masquée, voire tabou, les intervenants ont parlé de se préparer à la mort, d'en parler (les fameux cafés mortels - comme celui où j'ai participé au mois d'avril dernier où on discute de la mort, de la relation qu'on a avec elle et des derniers moments vécus avec ceux ou celles qui sont parti.e.s, les festivals de la mort, oui oui ça existe), de l'euthanasie et du suicide assisté, etc.
Et je dois dire que j'en suis sorti revigoré. Oui, on peut et on doit parler de sa propre mort, sans en avoir peur, on peut s'y préparer peu à peu, penser à "ses" morts sans attendre un prétendu "jour des morts" : pour ma part, mes morts sont surtout ma grand-mère maternelle, celle qui vivait chez nous et que j'ai donc côtoyée intimement pendant l'enfance et l'adolescence, mon frère aîné Michel qui m'a tant protégé dans ma jeunesse, ma femme Claire qui m'a si efficacement préparé à sa disparition, quelques-uns de mes amis, Igor, Georges, Odile, que j'ai accompagnés jusqu'au bout, quelques autres encore...
Comme m'avait enseigné ma grand-mère, tant qu'on pense encore à eux, nos morts gardent une place dans notre cœur. Ils vivent en nous. Ainsi, quand je dois prendre une décision importante, je me dis toujours : "Qu'aurait fait ma grand-mère ?", et elle me dicte encore une réponse. Pendant mes voyages en cargo, Claire m'a accompagné, elle dont le dernière phrase audible fut : "le voyage en cargo, il faut que tu le fasses, pour moi". J'en ai fait quatre, en 2010, 2013, 2015, 2019-2020, et elle fut là, qui veillait sur moi sur chacun des cargos. Chaque fois que j'écris un poème, mes amis poètes, Georges et Odile, sont là aussi, et je sais instantanément, rien qu'en pensant à eux, si ce que j'ai écrit est bon ou mauvais. Quant à Igor, que j'ai assez peu connu, les trois dernières années de sa vie seulement de 2010 à 2013, j'ai eu l'heureuse idée de l'emmener à Venise avec moi en août 2012 : je ne savais pas qu'il était au bout du rouleau, mais mon invitation a été pour lui une bouffée d'air et un grand moment, comme me l'ont affirmé ses parents le jour de l'enterrement.
Maintenant, je suis apaisé, Claire m'a fait apprivoiser la mort, je n'ai pas peur, ni de la maladie, ni de la douleur, ni des derniers moments. J'ai bien et longtemps vécu. Je sais que je laisserai des traces dans les cœurs de celles et ceux que j'ai aimés. Et ma vie va continuer, simple et tranquille, comme j'ai toujours vécu, dans le partage, la solidarité et le souci des autres.
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