vendredi 3 août 2018

3 août 2018 : le roman de Madagascar



Sa grand-mère lui avait dit ceci quand il lui avait demandé de lui apprendre à conter : « Apprends d’abord à te taire et tu sauras conter, c’est du silence qu’on extrait la parole. »
(Jean-Luc Raharimanana, Revenir, Rivages, 2018)


Pour préparer mon voyage à Madagascar, comme d’habitude, je lis de la littérature du pays. C’est ainsi que je viens de découvrir Raharimanana, né à Antananarivo en 1967 et vivant en France depuis l'âge de 22 ans, poète, nouvelliste, romancier et dramaturge. Je dois dire que ce roman Revenir, probablement en partie autobiographique, est exceptionnel. Une sorte de Recherche du temps perdu malgache. Le héros, Hira, nom qui veut dire en malgache le chant, naît le jour, à sept années près, de la date de l'indépendance de Madagascar, donc le 26 juin 1967, comme l’écrivain. On remarque rapidement que l’enfant est doué, il apprend à lire très tôt et peut bénéficier de la bibliothèque très fournie de son père. Quand elle voit qu’il commence à écrire, sa mère lui offre des cahiers et ce sont quelques-uns de ces cahiers qui nous sont présentés ici, pas dans l’ordre chronologique, mais au fil des réminiscences du héros, devenu adulte et qui a dû s’exiler.

 
Il cherche en fait non pas seulement à retrouver le fil de son enfance, mais aussi celle de son père, qui n’a jamais parlé de la sienne, mais dont il devine qu’elle fut très éprouvante. Car nous sommes à Madagascar, terre de colonisation et de violence (car l’une ne va pas sans l’autre) : chemin faisant, nous découvrons l'insurrection de 1947  et la répression terrible par l'armée française, les chemins douloureux de l’indépendance, avec la guerre des chefs, généraux et colonels à la conquête du pouvoir notamment vers 1972, les lynchages des Comoriens en 1984. Le jeune Hira joue aux cow-boys et aux Indiens dans les collines avant de voir son père, intellectuel, membre un temps du gouvernement, puis devenant figure de l’opposition par intégrité, disparaître du jour au lendemain ; torturé, humilié, puis condamné, se demandant : "Qu’est-ce qu’une justice dans un pays de non-droit ?"
L’écriture devient alors pour Hira un refuge qui, en fin de compte, lui permet d’exprimer la révolte et de dénoncer l’horreur, celle qu'il voit et celle qu'il devine. Exilé, devenu un écrivain reconnu, dérouté par l’absurdité du monde, il éprouve le besoin de revenir au pays natal. Ne serait-ce que pour interroger son père avant qu’il ne soit trop tard. Superbe roman sur le rapport au père, sur le regard d’un enfant sur ses parents. Sur les rapports amoureux aussi, car son père lui fait découvrir que "la femme est la renaissance de l’homme". Sur la rapport à la lecture aussi, car la bibliothèque du père va fasciner et façonner le fils. Et bien sûr, sur le rapport à l’écriture. Au début, Hira écrit des poèmes. En exil, il se plonge dans la quête de ses origines et de la mémoire familiale, faite de fragments. Il découvre l’histoire de son grand-père, administrateur colonial, mais nationaliste farouche, sans doute empoisonné à trente-deux ans, et qu’il n’a jamais connu.
Roman d’amour aussi. Hira pense souvent à sa bien-aimée, il souffre d’être un mari trop souvent absent. Et roman de l’exil : Hira, confronté à la misère en Occident, ne peut que constater : "ICI, en plein milieu de la rue, l’on ne cache rien. La richesse comme la pauvreté. Elle est même exaltée, Madame la Pauvreté ! Elle est nue ! Elle est humaine ! Elle est sensuelle ! Elle est simple ! Elle a le sourire ! Pas comme Madame la Richesse qui stresse ! Qui a peur de tout perdre ! Madame le Pauvreté n’a pas peur de perdre quoi que ce soit ! Elle a la richesse de son âme [...] ! Et l’âme, ça ne se perd pas !" Mais quand il est en Afrique ou à Madagascar, il a une sorte de nausée devant les contrastes encore plus violents : "La nausée est le spectacle des contrastes et des décors dévorants. ICI lui mange la gueule des richesses nouvelles : belles bagnoles sur pourriture de route et enseignes criardes sur ruine des murs. La nausée est le spectacle des artifices qui s’ignorent comme tels, et le triomphe de l’erreur, et le triomphe de l’injuste. La nausée est le spectacle de l’impuissance et du reniement, la fascination à nous offrir, proies sans résistance et sans héroïsme".
Un roman magnifique, d’une écriture dense et poétique...

Aucun commentaire: