Sa
grand-mère lui avait dit ceci quand il lui avait demandé de lui
apprendre à conter : « Apprends d’abord à te taire et
tu sauras conter, c’est du silence qu’on extrait la parole. »
(Jean-Luc
Raharimanana, Revenir,
Rivages, 2018)
Pour
préparer mon voyage à Madagascar, comme d’habitude, je lis de la
littérature du pays. C’est ainsi que je viens de découvrir
Raharimanana,
né à Antananarivo en 1967 et vivant en France depuis
l'âge de 22 ans, poète, nouvelliste, romancier
et dramaturge. Je
dois dire que ce
roman
Revenir,
probablement
en partie
autobiographique, est
exceptionnel.
Une
sorte de Recherche
du temps perdu
malgache.
Le
héros, Hira, nom qui veut dire en
malgache le chant, naît
le jour, à sept années près, de
la date de l'indépendance de Madagascar, donc
le 26 juin
1967,
comme l’écrivain.
On
remarque rapidement que l’enfant est doué, il apprend à lire très
tôt et peut bénéficier de la bibliothèque très fournie de son
père. Quand elle voit qu’il commence à écrire, sa mère lui
offre des cahiers et ce sont quelques-uns de ces cahiers qui nous
sont présentés ici, pas dans l’ordre chronologique, mais au fil
des réminiscences du héros, devenu adulte et qui a dû s’exiler.
Il
cherche en fait non pas seulement à retrouver le fil de son enfance,
mais aussi celle
de son père, qui
n’a jamais parlé de la sienne, mais dont il devine qu’elle fut
très éprouvante. Car nous sommes à Madagascar, terre
de colonisation et de violence (car l’une ne va pas sans l’autre) :
chemin faisant, nous découvrons l'insurrection
de 1947 et
la répression terrible
par l'armée française, les
chemins douloureux de l’indépendance, avec la guerre des chefs,
généraux et colonels à la conquête du pouvoir notamment vers
1972, les lynchages des Comoriens en 1984. Le jeune Hira joue
aux cow-boys et aux Indiens dans les collines avant
de voir son
père, intellectuel, membre
un temps du gouvernement, puis devenant
figure de l’opposition par intégrité,
disparaître
du
jour au lendemain ; torturé, humilié, puis condamné, se
demandant : "Qu’est-ce
qu’une justice dans un pays de non-droit ?"
L’écriture
devient
alors
pour Hira un refuge qui,
en fin de compte, lui permet
d’exprimer
la révolte et de
dénoncer
l’horreur, celle qu'il voit et celle qu'il devine. Exilé,
devenu un écrivain reconnu, dérouté par l’absurdité du monde,
il éprouve le besoin de revenir au
pays natal. Ne
serait-ce que pour interroger son père avant qu’il ne soit trop
tard. Superbe roman sur le
rapport au père, sur le regard d’un enfant sur ses parents. Sur
les rapports amoureux aussi, car son
père lui fait découvrir que "la
femme est la renaissance de l’homme".
Sur
la rapport à la lecture aussi, car la bibliothèque du père va
fasciner et façonner
le fils. Et
bien sûr, sur le rapport à l’écriture. Au début, Hira écrit
des poèmes. En
exil, il se plonge dans la quête de ses
origines et
de la mémoire
familiale,
faite
de fragments. Il
découvre l’histoire de son grand-père, administrateur colonial,
mais nationaliste farouche, sans doute empoisonné à trente-deux
ans, et qu’il n’a jamais connu.
Roman
d’amour aussi.
Hira
pense
souvent
à
sa bien-aimée, il
souffre d’être
un mari trop
souvent absent.
Et
roman de l’exil : Hira, confronté à la misère en Occident,
ne peut que constater : "ICI,
en plein milieu de la rue, l’on ne cache rien. La richesse comme la
pauvreté. Elle est même exaltée, Madame la Pauvreté ! Elle
est nue ! Elle est humaine ! Elle est sensuelle ! Elle
est simple ! Elle a le sourire ! Pas comme Madame la
Richesse qui stresse ! Qui a peur de tout perdre ! Madame
le Pauvreté n’a pas peur de perdre quoi que ce soit ! Elle a
la richesse de son âme [...] ! Et l’âme,
ça ne se perd pas !"
Mais quand il est en Afrique ou à Madagascar, il a une sorte de
nausée devant les contrastes encore plus violents : "La
nausée est le spectacle des contrastes et des décors dévorants.
ICI lui mange la gueule des richesses nouvelles : belles
bagnoles sur pourriture de route et enseignes criardes sur ruine des
murs. La nausée est le spectacle des artifices qui s’ignorent
comme tels, et le triomphe de l’erreur, et le triomphe de
l’injuste. La nausée est le spectacle de l’impuissance et du
reniement, la fascination à nous offrir, proies sans résistance et
sans héroïsme".
Un
roman magnifique, d’une écriture dense et poétique...
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