Silence !
Vous n’êtes pas dignes de la civilisation moderne !
(Georges
Duhamel, Deux hommes,
Mercure de France, 1924)
C’est
quoi, la civilisation moderne ? Celle où l’on bombarde à
tout-va, où l’on teste les nouvelles armes (de plus en plus
meurtrières) sur des populations civiles, où l’on met au chômage
et pousse à la misère, à l’exil, à la prostitution, au crime, des millions de
personnes parmi lesquelles des enfants, sous le prétexte du
sacro-saint PROFIT et avec notre complicité ?
Vu
hier au soir le beau film de Mordillat sur Arte Mélancolie
ouvrière, qui raconte la vie de
Lucie Baud, première femme syndicaliste, ouvrière du textile et
meneuse de grèves, à une époque (fin du 19ème, début du 20ème)
où on faisait travailler en usine les enfants dès dix ans, et pour
des journées de 12 heures minimum. Où
les femmes n’étaient guère considérées que comme de la chair à
reproduction. Merci à Michelle Perrot d'avoir fait surgir de l'oubli cette jeune femme, Lucie Baud, trublion du temps du patronat de droit divin, et à Gérard Mordillat d'en avoir fait un film. Quand je vois ce qui se passe dans les pays du
Tiers-monde, sur l’exploitation desquels repose notre richesse, je
vois qu’on n’a guère progressé depuis, ou que le même système perdure ailleurs. Avec le libéralisme à toute
vapeur qui s’impose aujourd’hui partout (comme il y a un siècle),
on est même en train de régresser à grande allure…
Relisons
Victor Hugo :
MELANCHOLIA
(extrait)
... Où
vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
« Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait — c'est là son fruit le plus certain —
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? Que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, saint, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !
Ces doux êtres pensifs, que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes,
« Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! »
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait — c'est là son fruit le plus certain —
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? Que veut-il ? »
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, saint, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !
(Les
Contemplations, 1856)
Texte
intégral du poème sur internet :
https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-melancholia.php
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